Le Nouvelliste
Port-au-Prince, l’odorat décadent
Nov. 5, 2019, midnight
En temps normal Port-au-Prince puait, mais la décadence de notre olfaction était bénéfique pour les usagers de la voie publique. Au temps de peyi lòk, avons-nous jamais pensé à réaliser un panorama des odeurs de Port-au-Prince? Dur métier que celui de citoyen. Comme un travailleur de mine, je descends dans le ventre de Port-au-Prince. Les émanations des rues influent sur mon humeur autant que les nouvelles qui me sautent à la gorge. Les rues de ma ville sont envahies d’odeurs écœurantes, elles sentent des matières corporelles que le citoyen urbanisé élimine dans les lieux d’aisance. Mais aujourd’hui tous les verrous ont sauté. Partout dans ma ville je rencontre des évacuations fétides que tous les corridors, les rues et ruelles ingurgitent et vomissent. Ça jaillit de partout, la pourriture grasse, des chiens gonflés, des rats crevés, des mouches, des excréments à vous défoncer les fosses nasales. Après avoir respiré ces odeurs, elles me restent dans le nez. Cela devient troublant. Je suis traumatisé. J’ai un traumatisme olfactif. J’ai comme l’impression que ces odeurs viennent se loger pendant longtemps dans mes poumons. Marcher pour moi est un calvaire dans l’enfer de l’odorat de Port-au-Prince. Mais j’ai comme l’impression d’assister à un suicide olfactif. Et les gens ne sentent rien même lorsque le vent agite ces conflits de pourriture. Suis-je blâmable, moi ? Mon nez est-il dépassé, désuet, obsolète dans cet univers olfactif ? Ai-je vécu ces années pour connaître cet enfer ?