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Le Nouvelliste

Haïti : corruption, la peste de la démocratie

Feb. 19, 2021, midnight

Le droit de savoir, le droit de demander des comptes aux responsables politiques et de l’administration publique sont tout aussi importants que le droit de vote dans une démocratie. Ce tout-vote, reddition de comptes et lutte acharnée contre la corruption- n’est pas sur nos tablettes. Et la démocratie, ici, est pervertie. Pour le grand malheur d’Haïti, ceux qui se battent jusqu’à la mort pour la démocratie, pour le renforcement des contre-pouvoirs, de la justice ne sont pas légions. On ne se bat pas non plus pour la vérité judiciaire. L’impunité, érigée en système, continue son travail de sape de ceux qui restent de fondement de la société. Cette dernière décennie, les «amis » de la communauté internationale, cent fois, et à raison, ont ressassé les vertus de la démocratie. Mais ils ont mis l’emphase sur les élections et pas assez sur la gouvernance. Ils ont poussé en faveur de la création de l'ULCC, de l'UCREF. Après 2008, ces amis d’Haïti ont laissé faire avec l’argent des fonds Petrocaribe et du Trésor public. Les mauvaises pratiques se sont installées et l’enrichissement des politiques et hauts fonctionnaires est devenu la norme. Le déficit d’un accompagnement efficient du peuple haïtien dans la lutte contre la corruption est palpable. Les amis de l’international s'en sont trop tenus à des déclarations de principe alors que des rentiers, avec les bons appuis politiques, ont continué l’œuvre de dépeçage de l’État. L’écosystème mis en place par des puissants du milieu politique et des affaires a permis de capturer l’État. Cet écosystème a généré la corruption, la pauvreté et la violence. Il a perverti la conscience citoyenne. Le sous-système médiatique de cet écosystème mafieux, fer de lance d’un appareil idéologique, continue de véhiculer des messages faits de bruits, d’inepties, de bêtises, de mensonges, de perversion symbolique, de détestation mutuelle et l’impossibilité  de " collectiviser ", désacralisant l’engagement politique et citoyen. La magico-religieux a aussi pris le pas avec une offre éditoriale importante en onde claire et dans des lieux de culte. Le ciel est la destination de millions d’Haïtiens qui croupissent pourtant dans la crasse, sans aucune volonté de s’insurger, de s’organiser pour que le pays où ils vivront encore plusieurs décennies ne soit plus une géhenne, le tombeau de l’espoir. Mauvais élève, Haïti s’essaie, flirte avec la démocratie. La démocratie, ici, a des qualificatifs, se rapporte quelquefois au nom d’un président toujours rongé de petits complexes. Le  clanique a le pas, le collectif continue de boire la tasse. À ce pays qui peine toujours à enfiler la démocratie et son corset d’exigences, l’on vient offrir le projet d’un retour au passé, du chef omnipotent, des institutions assujetties. Sans langue de bois, il faut souligner que fouiller les poubelles du passé en quête d’une pseudo-modernité a quelque chose de réconfortant pour les esprits paresseux, chagrins, avides de gains et de privilèges. Entre-temps, l’érosion de la démocratie n’est pas une vue de l’esprit. Aujourd’hui, le pays ne devrait pas avoir peur des élections. Mais personne ne devrait prétendre que l’on peut  tenir des élections libres, honnêtes et démocratiques sans une évaluation objective de conditions techniques, politiques et sécuritaires. Les gangs contrôlent une bonne partie du pouvoir. Les alliances entre forces d’argent, politiques et gangs sont connues de tous. Sans aucun doute, d’autres bandits, d'autres criminels s’achèteront une honorabilité et l’immunité aux urnes. Les bandits veulent rester légaux. Ils ne feront pas de cadeaux. Alors comment aider ce pays qui s’est essoufflé dans sa bataille contre la corruption pour la tenue du procès PetroCaribe et d’autres fonds publics dilapidés ? Est-ce qu’il faut appeler une coopération internationale pour démasquer les corrompus, les pilleurs des deniers publics ? Comment le faire quand ceux qui sont au pouvoir, en position d’autorités sont disposés à saborder ce qui reste du pouvoir judiciaire pour neutraliser les magistrats qui n’ont pas fait le serment d’allégeance sur une bible rose ? Il faudra se battre pour la démocratie, contre les velléités d’un retour au passé, à ces années de plomb. Mais entre-temps, Haïti est mal en point. Il est classé 170e sur les 180 pays dans le classement de l’indice de la perception de la corruption. Il perd plus de 300 millions de dollars à cause de la contrebande et où l’on compte au moins 6 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté avec un revenu journalier inférieur à 2 dollars américains. Les dépeceurs sont connus. Ils étalent en bons «intelligents» leur richesse. Ils ne se donnent même plus la peine de se cacher ou de cacher leur argent dans des paradis fiscaux. Ni l’ULCC, l’UCREF, la DGI ni l’AGD ne devraient pourtant éprouver de difficulté à obtenir la déclaration de patrimoine des concernés, leur déclaration définitive d’impôts, les états de comptes audités de leurs entreprises avec des informations sur le paiement des impôts sur le chiffre d’affaires, la masse salariale de leurs entreprises, leurs  bordereaux de douane.   Plus qu’hier, la bataille pour la démocratie ne peut se dissocier de la lutte contre la corruption. Roberson Alphonse