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Le Nouvelliste

Une visite au Camp Nous, base des jeunes footballeuses

May 4, 2020, midnight

Le Nouvelliste s’est rendu dimanche 3 mai au ranch de Croix-des-Bouquets. L’ancienne résidence de villégiature du dictateur Jean Claude Duvalier abrite aujourd’hui le ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique et le Centre technique national de Croix-des-Bouquets, communément appelé Camp Nous. Ce centre est devenu célèbre depuis le 30 avril quand le journal The Guardian a révélé que de jeunes footballeuses formées là-bas subissaient des abus sexuels de la part du président de la Fédération haïtienne de football, Yves Jean-Bart.  Traverser Port-au-Prince, Delmas et Tabarre est nécessaire pour arriver jusqu’au centre, situé dans la commune de Croix-des-Bouquets. Pour accéder au centre, il faut se soumettre au contrôle des agents de sécurité du ministère des Sports et passer sous la loupe du regard désabusé des policiers d’un point fixe de la PNH qui tient caserne dans une vieille Nissan Patrol. Pénétrer dans l’immense cour au calme impérieux, bordée de vieux arbres témoins des escapades de Duvalier, est un cadeau après avoir roulé sur des routes défoncées sur des kilomètres. L’accès au centre lui-même a été interdit à l’équipe du journal. Un agent de sécurité préposé à l’entrée a expliqué que personne provenant de l’extérieur n’y rentre depuis un mois et demi. « Nous sommes en confinement. Personne ne sort, personne n'entre. Je ne peux même pas me rendre chez moi », a expliqué l’agent, tempes grisonnantes, fusil calibre 12 en main. Interrogé sur ce que font les jeunes alors qu’ils sont confinés, l’agent a indiqué que les responsables organisent des championnats et des séances de cinéma. « Ils vont bien », a-t-il assuré. Au cours de cette brève conversation, le vieux briscard a gentiment esquivé une question sur les révélations fracassantes du journal The Guardian. « Excusez-moi. Je dois filer parce que je ne peux rester trop longtemps sous le soleil », dit-il avant de disparaître sous les buissons qui ornent l’entrée du centre.  Entre-temps, les réactions continuent de pleuvoir. Des associations de la société civile et des particuliers exigent une enquête pour faire la lumière sur ce « FHFgate ». Marie Mie Sophonie Louis, journaliste sportive, publie une lettre ouverte dans laquelle elle demande au président Jean-Bart de laver son image et celle des joueuses. « Je suis une passionnée du football qui vous admire et qui n’arrête pas de faire l’éloge de vos accomplissements dans le football haïtien et dans le centre Fifa-goal (NDLR: Centre Technique National de Croix-des-Bouquets). Je vous écris pour vous demander de laver votre image, celle des filles. Je vous demande également d’enlever la peur chez les parents qui vous ont confié leurs filles. Je ne sais pas qui se cache derrière cet article (du Guardian). Je ne sais pourquoi on a décidé de vous attaquer sous cet angle. Je parle d’attaque parce que je sais que moralement vous êtes attaqué ». Plus loin, la journaliste poursuit : « L’institution que vous dirigez est atteinte. La famille du football est atteinte. Moi particulièrement qui aime ce jeu et qui suis très sensible à la protection des filles et des femmes, je me sens choquée. Tout ce que vous avez réalisé dans le football féminin est atteint. Haïti a pris un gros coup. Je vous demande de ne pas ignorer cette attaque mais de tout mettre en branle pour ramener la confiance dans la famille du football. J’aime trop les joueuses, j’aime trop le football féminin pour vous demander d’abandonner », a-t-elle écrit. Sa lettre a été partagée par 150 personnes et a provoqué plus de 480 commentaires. Dans la plupart des commentaires, des internautes reprochent à l’auteur son indulgence envers le président de la FHF et réclament que ce dernier démissionne de son poste. L’Office de protection du citoyen (OPC) a publié une note de presse dans laquelle il exige une enquête sur ces allégations. « Fidèle à sa mission de veiller au respect et à la protection des principes généraux de droits humains (le droit à la justice et à la réparation, le droit au respect de la présomption d’innocence), l’OPC demande aux instances concernées, notamment le ministère de la Jeunesse et des Sports, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique, le ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes, l’Institut du bien-être social et de recherches, de diligenter, sous les yeux des défenseurs des droits humains, une enquête sur ces accusations afin de faire la lumière sur cette question, qui peut éventuellement avoir des conséquences sur le football haïtien », écrit Renan Hédouville, protecteur du citoyen.  SOFA et Kay Fanm, deux associations féministes, ont conjointement publié un communiqué exigeant des autorités de diligenter une enquête sur ces allégations. Les deux associations demandent aux autorités étatiques de prendre les mesures nécessaires pour démettre Yves Jean-Bart de ses fonctions de dirigeant de la Fédération haïtienne de football. « SOFA et Kay Fanm exhortent le commissaire du gouvernement à promptement mettre l’action publique en mouvement concernant les actes reprochés à M. Jean-Bart et toutes personnes qui auraient participé ou facilité ces actes condamnables. Toutes les institutions concernées doivent jouer leur partition dans le cadre de ce dossier. SOFA et Kay Fanm invitent les jeunes victimes de M. Jean Bart et leurs familles à se manifester et les accompagneront dans leur dépôt de plainte. SOFA et Kay Fanm encouragent toute personne ayant été témoin des agissements de M. Jean Bart à apporter son témoignage en appui aux jeunes femmes victimes et à leurs familles (...) », peut-on lire dans le communiqué. Dans des commentaires postés sur Facebook, une ancienne joueuse a révélé qu’elle a été témoin d’abus sexuels perpétrés sur des coéquipières. « Cette pratique ne date pas d’hier. Moi je suis une rebelle. Ils n’ont pas pu le faire avec moi. Mais ils m’ont découragé dans ce jeu. J’étais très performante mais je n’ai jamais été retenue. On trouvait toujours une excuse pour m’écarter à chaque fois que j’étais appelée. Ils ont détruit ma carrière », a écrit R.B. sur Facebook.  Dans une note de la Fédération haïtienne de football, le président Yves Jean-Bart a démenti les accusations d’abus sexuels portées contre lui dans un communiqué publié ce week-end. Il dénonce un complot contre le football haïtien.  Le centre de formation Camp Nous existe depuis plus de huit ans. Il accueille des enfants des deux sexes à partir de dix, onze ans et les garde jusqu’à leur majorité. Tous sont choisis pour leur dextérité balle au pied et sont retenus après des compétitions organisées par la FHF pour dénicher des talents.  Le centre est dédié à l’éducation et au football. Les enfants jouent au football toute l’année et suivent un parcours scolaire adapté. Les dortoirs des filles sont séparés de ceux des garçons.  Le centre accueille plus de 500 enfants et les filles sont majoritaires. En plus des enfants, l’endroit est aussi habité par le personnel de soutien composé notamment de cuisinières, d'encadreurs et de certains entraîneurs. Les jeunes quittent habituellement le centre après avoir disputé le championnat des moins de 20 ans. Difficile pour le moment de recueillir les témoignages des actuels pensionnaires du Camp Nous. Ils sont placés en confinement, loin des micros et caméras.  Les murs recouverts de graffitis du ministère des Sports et un cimetière d’autobus abandonnés, semblent protéger les jeunes sportifs des deux sexes des bruits de l’extérieur. Les nouvelles des accusations sont-elles parvenues jusqu’à eux ? Le centre vit-il son dernier dimanche avant une explosion ?