Le Nouvelliste
« L’économie ne devient pas plus compétitive avec l’appréciation de la monnaie nationale », selon Kesner Pharel
Sept. 11, 2020, midnight
Plusieurs économistes parlent de krach en se référant à la chute brutale du dollar par rapport à la gourde ces trois dernières semaines. De son côté Kesner Pharel note qu’en ce laps de temps, le billet vert a perdu près de 30% de sa valeur sur le marché des change. Une très grande perte pour ceux qui pratiquent la spéculation et qui avaient acheté de fortes sommes de la devise américaine à l’époque où le dollar s’échangeait à cent vingt-cinq gourdes. « De l’argent a été perdu sur le marché à cause de ce krach », selon le PDG du Group Croissance jeudi sur Magik 9 qui a aussi évoqué la notion de bulle dans le marché des changes. À en croire l’économiste, ce à quoi nous sommes en train d’assister n’est pas forcément une bonne chose pour l’économie haïtienne. Selon l’économiste, cela va affecter l’économie haïtienne de manière considérable. Kesner Pharel fait savoir que les fortes fluctuations, qu’elles soient à la hausse ou à la baisse, ne sont pas une bonne chose pour l’économie. « La force d’une économie, c’est la stabilité », insiste-t-il. Kesner Pharel rejette les critiques qui reviennent en boucle contre les économistes ces derniers jours sous prétexte qu’ils ont toujours affirmé que s’il n’y a pas de production la monnaie nationale ne peut que continuer à perdre de la valeur par rapport au dollar. « Il n’y a pas qu’un déterminant mais plusieurs », avance Kesner Pharel. Celui-ci cite entre autres la gestion économique, la politique fiscale, la gestion du service de la dette, l’environnement réglementaire, la transparence, la reddition des comptes. « Ce sont toutes ces variables qu’il faut prendre en compte et qui vont aboutir au taux de change », soutient Kesner Pharel. Quand le dollar était à cent vingt gourdes, il y avait la mauvaise gestion, la production mais aussi la spéculation, ajoute l’économiste tout en précisant que la spéculation ne se fait pas seulement à la hausse mais aussi à la baisse. Si la spéculation à la hausse était responsable du taux de cent vingt-cinq gourdes pour un dollar, aujourd’hui la spéculation à la baisse a fixé le taux quatre-vingt quinze gourdes pour un dollar, précise Kesner Pharel. Les cent cinquante millions de dollars annoncés par la banque centrale ne sont pas les seules raisons qui expliquent cette chute brutale du dollar. D’ailleurs, a-t-il souligné, le marché consomme près de quarante millions de dollars chaque semaine. Si certains accueillent avec satisfaction le renforcement de la gourde par rapport au dollar, Kesner Pharel fait remarquer que cela peut aussi entraîner des conséquences négatives dans les relations commerciales entre Haïti et la République dominicaine et également dans le secteur de la sous-traitance. « Quand le dollar s’échangeait à cent vingt gourdes sur le marché, il fallait cinquante-huit pesos pour un dollar. Les produits dominicains étaient beaucoup plus chers au niveau local et leurs exportations avaient donc beaucoup plus de difficultés à percer le marché haïtien », révèle Kesner Pharel, qui estime que la dévaluation du dollar ne peut être qu’un cadeau aux Dominicains. « Si comme le réclament certains, on fixe le taux de change à soixante gourdes pour un dollar, on va assister à une introduction en force des produits dominicains sur le marché haïtien », prévient l’économiste. Ayant constaté qu’ils ont perdu l’avantage qu’ils avaient quand le taux était très élevé, certains acteurs de la sous-traitance peuvent décider de délocaliser leurs entreprises dans des pays où le taux est jugé plus intéressant, toujours selon Kesner Pharel, faisant ressortir la « complexité du marché ». L’économiste fait remarquer que les gens qui ont l’habitude de recevoir des transferts de l’étranger ne peuvent plus acheter la même quantité de produits avec leur argent comme auparavant. « Ils sont perdants », souligne-t-il. « L’économie a déraillé à cause de la chute qu’on vient de vivre. Il y a eu beaucoup de victimes que ce soit au niveau micro ou au niveau macro. L’économie ne devient pas plus compétitive avec l’appréciation de la monnaie nationale », constate Kesner Pharel. Le président Jovenel Moïse a menacé ceux qui utilisent le taux de change pour le renverser du pouvoir. « Les autorités publiques et politiques auraient intérêt à laisser les techniciens contrôler cette situation », recommande Kesner Pharel.