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Le Nouvelliste

En mémoire de Me. Pierre C. LABISSIERE

Nov. 5, 2019, midnight

PARC DU SOUVENIR le Samedi 26 octobre 2019 Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs Il m’échet l’honneur, l’opportunité et la responsabilité de présenter, tant en mon nom personnel qu’en celui de l’assistance et de tous ceux qui voudraient être là, mais qui ne le sont pas pour des raisons diverses, comme, par exemple, Me. Carolle S. DENERVILLE, des condoléances sincères et émues à la famille restreinte et élargie du grand paterfamilias que fut Me. Pierre C. LABISSIERE; famille à laquelle j’appartiens d’ailleurs, pour l’avoir intégrée en octobre 1981, lorsque feu Jean-Claude BANICA, magistrat intègre, alors doyen du Tribunal de Première Instance de Petit-Goâve, me conduisit au Cabinet LABISSIERE situé à l’époque à Port-au-Prince, rue des Miracles #68, étage. Chaleur, courtoisie, mansuétude, amabilité, disponibilité caractérisaient cet avocat qui brillait déjà et qui rayonnait sur les barreaux de Petit-Goâve, de Jacmel et de Port-au-Prince. Il enseigna à la jeunesse, à tout apprenant le secret de la profession d’avocat qui réside, disait-il, dans la voracité pour les livres et l’assiduité aux travaux du cabinet et aux audiences du palais de Justice. C’est un professeur qui s’offrit en exemple à ses disciples. Ce sont là les premières notions qu’il inculqua à ce jeune apprenti qui venait à peine de boucler ses quatre années d’études à la faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince. L’histoire de la vie publique de Me. Pierre C. LABISSIERE est impressionnante et époustouflante. En effet, à l’aube de sa vingtaine, il fut licencié en droit. Il fréquentait à Petit-Goâve le cabinet de Me. Fernand DELBEAU, un notable de la ville. Il fut nommé substitut du commissaire du gouvernement au parquet de Petit-Goâve, poste qu’il ne tarda pas à quitter pour aller mettre de l’ordre dans les archives du notaire Clément LABISSIERE, son père, qui venait de décéder à Léogâne. Ce qui fut fait dans un laps de temps relativement court, puisqu’il s’empressa de reprendre sa serviette et sa toge d’avocat militant. La politique ne le laissa pas indifférent; c’est ainsi qu’aux élections de 1957, il brigua la députation de Léogâne sous la bannière de Clément Jumelle. Il repoussa l’offre de changer de camp et de se faire élire officiellement. C’est de là que vinrent ces premières persécutions politiques. Le président François DUVALIER le fit arrêter par un militaire, ami de Me. LABISSIERE, à qui ce dernier prêtait sa voiture presque chaque soir lorsqu’il revenait des tribunaux de Petit-Goave et s’engouffrait dans les livres et les dossiers de son cabinet à Léogâne. Il connut les affres du FORT-DIMANCHE où il fut le compagnon de cellule de l’incommensurable Leslie François MANIGAT. Il passa dix mois en prison où il fut accusé de communiste. À sa sortie, on lui promit que s’il y était retourné, il aurait été purement et simplement assassiné. Il dut choisir entre l’exil et le profil bas; il opta pour le second. Socialiste convaincu, il ne renonça pas à ces idées novatrices et salvatrices. Il saisit au vol le moment où le vieux tigre, rongé par le pouvoir et affaibli par la maladie, annonça à la nation et au monde entier qu’il allait passer les rênes du pouvoir à son jeune fils, pour prénommer son nouveau-né « Frédéreick Marx », en l’honneur et en souvenir de « Friedrich Engels et de Karl Marx ». Il continua à prendre ses distances avec le nouveau régime qu’il qualifia de l’autre face de la même médaille jusqu’á son effondrement le 7 février 1986. A la faveur de ces évènements historiques, la carrière politique de Me. Pierre C. LABISSIERE fut rouverte alors que sa carrière juridique atteignait son zénith. Au milieu de l’année 1986, accompagné d’un colonel de l’armée, il fut dépêché en France et en Suisse aux fins d’enquêter sur l’état de la fortune des Duvalier et des procédures éventuelles de saisie à envisager. Après l’entrée en vigueur de la Constitution du 29 mars 1987, la Cour de cassation de la République eut la main heureuse en jetant son dévolu sur Me. Pierre C. LABISSIERE comme membre du premier conseil électoral provisoire, le seul d’ailleurs prévu par la Constitution. Il fut élu vice-président par ses pairs; mais l’indisponibilité du président, le représentant de la presse, l’obligea à conduire courageusement les destinées dudit conseil jusqu’aux élections du 29 novembre 1987 interrompues par le CARNAGE DE LA RUELLE VAILLANT. Dans l’après-midi, ce Conseil fut dissout et les membres durent gagner le maquis; Me. Pierre C. LABISSIERE partit pour l’exil. Son exil ne dura pas une année. Il revint au pays et garda une nouvelle fois le profil bas. Cette attitude ne plut pas aux avocats du barreau de Port-au-Prince qui attendaient les prochaines élections pour l’élire bâtonnier de l’Ordre. Les évènements se succédèrent à un rythme effréné. Arriva le mois de mars 1990 ; la juge à la Cour de cassation Ertha Pascal TROUILLOT accéda à la magistrature suprême. La présidente choisit son ministre de la Justice, Me. Pierre C. LABISSIERE, cet avocat de 66 ans, qui, à côté de la présidente et au milieu de ses collègues du gouvernement, brava tous les dangers pour faire aboutir les élections du 16 décembre 1990. L’éthique lui commanda de rester loin de son cabinet d’avocats pendant la durée de son mandat de ministre de la Justice qui prit fin le 7 février 1991. Il retourna à la profession; mais en l’année 2006, après s’être relevé d’une terrible maladie, il s’écarta des audiences des tribunaux et fit plaider les dossiers qu’il préparait dans son cabinet par ses plus proches confrères. Comme tout bon socialiste de la deuxième moitié du XXe siècle, Me. Pierre C. LABISSIERE se dota d’une solide formation frisant l’érudition. Avocat intégral et vertical, humaniste accompli, il s’ouvrit à tous, notamment aux professionnels du droit : huissiers, greffiers, officiers d’état civil, arpenteurs, notaires, fondés de pouvoir, avocats et magistrats. Il les reçut tant en son cabinet qu’en sa résidence, parfois même dans les couloirs du palais de Justice pour une consultation volante ou brève. Il collabora avec plusieurs institutions dont « l’Amicale des juristes » de Me René JULIEN, dit Me « État de droit », que la société haïtienne semble prête à récompenser à la Turneb DELPE. Il répondit favorablement à l’appel de l’« Université Jean PRICE MARS »(UJPM) où il enseigna le droit criminel. Il reçut plusieurs grandes distinctions comme celles du Conseil de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince et de l’instance dirigeante de l’U.J.PM. Un confrère, parent et ami, lui offrit une plaque virtuelle ainsi libellée : « Pierre C. LABISSIERE, philanthrope » en lieu et place de son enseigne intitulée Pierre C. LABISSIERE, Avocat. De toutes les distinctions, il accorda toujours sa préférence à la gratitude et à la sincérité de ses clients paysans. Voilà en quelques termes le résumé de la vie publique de cet illustre disparu qui fut, est et demeurera mon père spirituel. Me. LABISSIERE, si au cours de ta traversée ou à ton arrivée, tu rencontres d’anciens collaborateurs et amis du cabinet comme Me. Efton CELESTIN, Me. Bonny BENOIT, Me. Jean Wesner OVIDE, Me. Napoléon AUBOURG, Me. Arthur Gérard DELBEAU, dis-leur que j’ai une pensée spéciale pour eux, que je me souviens de leurs appréciations. Quant à toi, papa spirituel, qui as combattu le bon combat, PARS EN PAIX! Va directement auprès de Dieu! Que la terre te soit légère! _______________________________ Rith RATHON, av.