Le Nouvelliste
Crédit rapide de 111,6 millions du FMI, financement monétaire à contenir... le gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois fait le point
April 20, 2020, midnight
Le Nouvelliste: Quel est votre premier commentaire après l’annonce de ce crédit rapide de 111,6 millions de dollars du FMI à la balance des paiements pour alléger les charges de l’État qui doit consentir des dépenses dans la santé et le social en ces temps de lutte contre le Covid-19? Jean Baden Dubois- Les institutions financières internationales ont mis au point des programmes pour aider les pays à faibles revenus à faire face aux impacts négatifs de la pandémie de Covid-19 sur leurs économies. C’est dans ce contexte que nous avions sollicité et obtenu ce financement au titre de la Facilité élargie du crédit (FCR). C'est une bonne chose pour notre économie ; c'est aussi un bon signal lancé par le FMI. Eu égard aux impacts négatifs de la propagation du coronavirus dans presque tous les secteurs des économies du monde, en particulier le secteur externe, différents pays membres de l’institution avaient sollicité du FMI son concours pour un appui au titre des instruments disponibles, soit jusqu’ici le RFI ou la RCF (Rapid Financing Instrument ou Rapid Credi Facility). De rares pays comme le Sénégal ont pu avoir accès aux deux à la fois. Ainsi, à cause de la pandémie, nous avons anticipé une dégradation du compte courant de la balance des paiements dans un contexte où des pressions s’exercent sur les dépenses publiques pour faire face aux besoins urgents découlant du Covid-19. Le mécanisme est tel que cet appui sera rétrocédé à l’Etat haïtien pour la contrepartie en gourdes du montant de 111,6 millions de dollars EU représentant le prêt octroyé par le Fonds monétaire international (FMI) au titre de la FCR. Dès que le compte de la BRH est crédité à l’extérieur, elle créditera à son tour le compte du Trésor public de l’équivalent en gourdes. Un accord de rétrocession sera signé entre le MEF et la BRH. Le Nouvelliste: Le Fonds demande un rapport mensuel des dépenses et un audit financier. Est-ce que ces dispositions seront prises? Jean Baden Dubois R- Dans le cadre des discussions avec le FMI, les négociations sont conduites conjointement en général par le gouverneur de la banque centrale et le ministre de l’Économie et des Finances. Le gouvernement s’est engagé à produire un rapport mensuel sur les fonds qui seront décaissés. Je crois que le nécessaire sera fait au moment opportun. Je laisse le soin au ministre des Finances d’apporter plus de précisions sur ce point. Le Nouvelliste : Le FMI appelle à contenir le financement monétaire du déficit public. Comment réagissez-vous à cette recommandation et qu’entendez-vous faire? Jean Baden Dubois- Le financement monétaire a été et reste une préoccupation pour les autorités économiques et financières compte tenu de son impact négatif sur le taux de change et l’inflation. Le contexte sociopolitique a réduit considérablement la capacité de l’Etat à mobiliser des recettes en raison du ralentissement de l’activité économique. Parallèlement les obligations de dépenses demeurent, en dépit d’un environnement difficile, où d’intenses pressions budgétaires existaient depuis les épisodes de «peyi lòk» connus durant ces deux dernières années. Les autorités agissent dans le sens de limiter les impacts négatifs et de préserver la stabilité macroéconomique et financière. En témoignent les mesures qui ont été adoptées. Certainement, les autorités fiscales nous ont assuré qu’elles vont s’atteler à améliorer la performance fiscale par une amélioration de la mobilisation des recettes et du contrôle des dépenses. Cela devrait contribuer à créer de l’espace pour des investissements productifs et prioritaires et réduire le recours au financement de la banque centrale. À noter que l’accompagnement de nos partenaires techniques et financiers est crucial dans ce processus. De plus, si vous regardez l’ensemble des mesures que nous avons adoptées, vous verrez que l’une d’entre elles favorise le système financier à acquérir des billets de trésorerie en leur permettant une marge de 20% sur les réserves obligatoires. Autrement dit, les banques effectivement utilisent cette fenêtre, le gouvernement n’aura pas nécessairement à recourir au financement monétaire pour continuer à répondre à ses besoins essentiels. Le Nouvelliste : Le seuil de financement monétaire au 29 février est de 21,1 milliards de gourdes, a rapporté le PM Jouthe dans sa lettre de cadrage budgétaire en date du 31 mars aux ministres. Est-ce qu’il y aurait un seuil de financement monétaire à ne pas franchir? Jean Baden Dubois- Le financement de 21.1 milliards de gourdes représente une situation des finances publiques à un moment donné dans un contexte particulier marqué par des chocs que nous avons mentionnés précédemment. Idéalement un financement très faible en pourcentage du PIB et qui financerait essentiellement des dépenses d’investissement serait bon pour l’économie. Mais, face à la faiblesse des recettes, les dépenses quasiment incompressibles dans un contexte d’énormes besoins sociaux, la subvention à l’énergie, la subvention des prix à la pompe…. autant d’éléments qui représentent des contraintes pour les finances publiques. Au fait un dépassement avait été constaté, certes, mais vu l’évolution de la conjoncture (dynamisme des bons du Trésor et retour de l’assistance externe), c’est une tendance réversible, dans le sens où le niveau actuel peut se stabiliser ou diminuer. Le Nouvelliste: Le FMI annonce un Staff Monitored Program pour bientôt afin d’aider à revenir à la stabilité macroéconomique. Pouvez-vous nous en dire plus? Est-ce que Haïti est satisfaite du montant reçu? Est-ce qu’il y a autre chose dans le pipeline dans le cadre des discussions avec d’autres bailleurs? Jean Baden Dubois- Un Staff Monitored Program (SMP) est un programme qui devrait normalement servir de tremplin à un programme plus élaboré, pouvant servir à préparer le terrain en vue d'un accord au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC). Rappelez-vous l’accord FEC assorti de ce décaissement de 100% quota qu’on n’avait pas pu mettre en œuvre à cause des perturbations politiques en 2019. Dans un SMP, on fixe des objectifs indicatifs trimestriels et des repères structurels dans les domaines fiscaux et financiers. Il n’y a pas de décaissement associé au SMP. Nous reconnaissons l’importance du support du Fonds monétaire international bien qu’il subsiste un écart de financement qui reste à combler. Ce qu’il faut retenir, c’est que le décaissement du FMI devrait jouer le rôle de catalyseur pour les autres bailleurs de fonds. La BID, la Banque mondiale, l’Union européenne et d’autres partenaires vont suivre le FMI en apportant leur appui à Haïti. Propos recuillis par Roberson Alphonse