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Le Nouvelliste

Dictature entre l'état d'esprit et les faits et actes

Jan. 31, 2020, midnight

Par Hérold Jean-François La dictature est avant toute chose un état d'esprit. Tout commence par une mauvaise pensée, un mauvais projet qui hante ceux qui sont au pouvoir et qui veulent être les seuls à bord, au détriment de la société, des institutions, des citoyens et à contre-courant des lois et de la Constitution. À contre-courant surtout avec l'air du temps, dans un monde où les citoyens s'impliquent de plus en plus et demandent des comptes sur toute la planète, après avoir mis fin à l'ère des dictatures qui ont dominé jusqu'à la fin de l'avant-dernière décennie du XXe siècle. Les bouleversements survenus à la fin des années 80 et qui ont mis fin au monde bipolaire qui dominait jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est avec l'éclatement de l'ancienne Union soviétique; la chute du mur de Berlin et la réunification allemande; les recompositions nationales dans l'espace des Balkans avec le réveil des ethnies qui ont débouché sur des drames dus à une expression féroce du nationalisme des peuples dont on a contenu les expressions de la nationalité par une cohabitation forcée pendant trop longtemps; tous ces éléments qui ont constitué le réveil civique qui a réchauffé des antagonismes et des contentieux mal gérés jusqu'au nettoyage ethnique ont redessiné les contours du monde et donné le jour à un nouveau contexte et à de nouvelles réalités. Avec la fin des utopies qui avaient créé des réalités artificielles et des commotions sociales, des déplacements de populations entières, les purges dans les goulags et les limites de l'État qui donnait réponse à tout dans un collectivisme qui a brimé les esprits et frustrés la pensée libre, le monde voulait s'affranchir de tout ce qui lui rappelle les brimades et la pensée unique. Les peuples se sont soulevés en réclamant le droit à la participation à la gestion de la chose publique. Cette demande de réinvention de l'État qui devait désormais se cantonner dans son rôle d'arbitre pour organiser le cadre du développement et du progrès social en promouvant le développement et la réussite personnelle, la libre entreprise et la pleine jouissance des droits et libertés, était en contradiction avec l'ancien ordre des choses où des figures charismatiques s'imposaient comme les pères de la nation, de «petit Père des peuples» et autres qualificatifs ridicules vendus par une propagande omniprésente. La dernière décennie du XXe siècle a été une décennie de libération, du retour à la nation surtout en Europe de l'Est. En Afrique, les vieux dictateurs sont arrivés à la fin de leur vie, pour la plupart, ces sorties ont permis un regain d'espoir pour la démocratie, bien que dans certains cas, le système a montré qu'il avait la vie dure, il s'est reproduit à travers les héritiers. Dans bien des cas, le renouveau démocratique devra attendre encore... En Amérique latine, la fin des années 80 a vu la sortie des derniers vieux dictateurs Alfredo Stroessner et Augusto Pinochet, après qu'Haïti ait ouvert un nouveau chapitre le 7 février 1986 mettant fin à près de 30 ans de dictature de la famille Duvalier. Mais en Haïti, 34 ans plus tard, l'on confond encore l'État et le chef de l'État. La moindre réalisation du pouvoir est présentée comme un don de la bonne volonté du président. Même l'inauguration de latrines est l'expression de l'amour du chef pour le peuple bénéficiaire. Ici, le dernier démagogue s'insère dans l'espace et gave de promesses un peuple aux abois, fatigué de survivre au moyen d'expédients dans l'espace déconstruit de notre pays et livré à la mendicité et à la compassion internationale... En Haïti, nous avons en plus une culture de la présidence qui produit  des comportements bizarres de notre classe politique. Cette dernière est friande d'accords, d'arrangements et de négociations dont la finalité ne met pas toujours les intérêts du pays au-dessus des intérêts personnels. Les politiciens haïtiens, pour la plupart, n'ont aucune gêne à se coucher dans la boue nauséabonde, la fange entretenue par le pouvoir, pour servir de marchepied au président de la République. Déjà disposés à le faire, ils sont aussi encouragés par l'acteur international dont le seul intérêt est de sauver les apparences. Un gouvernement fonctionnel, légitime ou pas, pour justifier soi-disant, le déblocage d'une aide dont l'essence aurait dû nous faire avoir honte de nous. Quelques millions de dollars ou moins et le tour est joué, tout le monde fait des courbettes et des contorsions. Nous avons hypothéqué notre souveraineté et notre dignité, pour un plat de lentilles... Notre société, notre jeunesse, notre opinion publique est dans une situation de confusion, quand, comme des acrobates, nos leaders politiques participent à une danse macabre du pouvoir alors qu'ils ne semblent pas percevoir la graine d'autoritarisme qui rode dans l'air, porté par ce vent de janvier qui a soufflé fort pendant des jours et des nuits en disséminant toutes sortes de germes qui se sont traduits par maintes épidémies de grippe, de fièvre et d'autres maux. Il faut veiller à ce que cette graine d'autoritarisme ne puisse germer pour éviter à notre pays de revenir sur des sentiers battus qui lui ont valu des régimes ténébreux qui, sur plus de deux siècles, ont broyé tant de patriotes qui n'étaient motivés que par la soif du changement... Pour un pays qui a un si long passé autoritaire et qui a joui pendant trente-quatre années de toutes les libertés acquises au prix d'un combat sans répit, nous sommes en droit de nous inquiéter de l'attitude de certains membres de notre classe politique. D'autant que dans certaines parties du monde, nous assistons parallèlement à une remontée du fascisme pour laquelle plusieurs auteurs et personnalités de référence, dont Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'État américain, ont donné l'alerte dans des ouvrages récents. L'extrême-droite a le vent en poupe en Europe, notamment en France comme on l'a vu lors de la dernière présidentielle de 2017; au pouvoir en Autriche même si elle a perdu 10 points aux dernières élections; en Russie, en Hongrie, en Asie, en Corée du Nord, et aux États-Unis avec l'élection de Donald Trump et dans d'autres pays... L'élection de M. Trump aux États-Unis a donné lieu à un ensemble de remises en question des avancées connues depuis l'adoption du Civil Rights Act le 3 juillet 1964 mettant fin officiellement au système d'apartheid par le président Lyndon B. Johnson, après l'assassinat du président John F. Kennedy. De même que les agressions scandaleuses et tolérées des suprématistes blancs inquiètent aux États-Unis, nous ne devons pas rester passifs et insensibles à la perspective de l'émergence d'un pouvoir autoritaire sans contrepoids en Haïti. Ce texte a été initialement présenté à l'émission Questions-Réponses du vendredi 31 janvier 2020, sur Radio IBO, 98.5 FM Stéréo.