Le Nouvelliste
Le Théâtre national d’Haïti sous les verrous au Bicentenaire
Jan. 29, 2020, midnight
« W al pase nan VAR la avè m chofè ». La flippante ritournelle des habitués de la route nationale #2, contraints d’emprunter le Bicentenaire de Port-au-Prince, siège de plusieurs institutions étatiques, dont le Théâtre national. Cette zone, la VAR comme ils l’appellent, devient depuis longtemps déjà un champ de tirs à ciel ouvert, un cauchemar incessant, une source de stress incessant. Sur cette voie reliant l’Ouest à quatre autres départements, on n’est jamais trop prudent. Un moment de calme apparent peut, en un clin d’œil, se transformer en un concert d’armes automatiques et une course contre la montre. Résultat : automobilistes et piétons sont obligés de s’y aventurer en mode « fast and furious ». Des bureaux fonctionnent sur le qui-vive, d’autres à l’instar du Théâtre national ont tout simplement vidé les lieux. Ce mercredi matin, il est 10 heures. Un véhicule blindé de la police nationale, pare-brise amoché, assure le guet devant la grande barrière bleue du Théâtre national. Dans la cour dudit bâtiment, symbole d’une fierté et d’une gloire d’antan, aucun signe de vie. Nez à nez avec le Village-de-Dieu, tous se sont réfugiés vers un espace beaucoup plus tranquille et serein. Un endroit où l’on ne risque pas d’esquiver une balle perdue ni de franchir, un de ces jours, un cadavre déchiqueté qui se prélasse au soleil. D’après les informations recueillies, les danseurs de la troupe de danse du Théâtre national se sont réfugiés au gymnasium Vincent, sis à la rue Romain, pour leur séance de répétition. « Réparties en deux groupes, le groupe A s’entraîne le lundi, le mercredi et le vendredi. L’autre devrait s’y mettre mardi. Actuellement, ils sont en pleine préparation pour le carnaval national. On ne pouvait pas les contraindre à se rendre là-bas. Les responsables ont dû envisager cette solution. Cela remonte, si je ne m’abuse, à la dernière vague de «peyi lòk», a confié un contact. Dans son fauteuil, bien au frais, au ministère de la Culture, cette situation parait normale pour le directeur du Théâtre national d’Haïti. Confortable dans son poste, le déplacement des services de l'institution qu’il « dirige » depuis son autre siège de directeur général de la Culture, Yves Penel, n’a pas voulu piper mot concernant l’actuelle situation de travail du Théâtre national. Ni sur les raisons qui ont poussé les occupants de l’institution à prendre la poudre d’escampette. Entre-temps, le Théâtre national vogue à qui mieux mieux et peine à devenir comme l’avait promis M. Penel, le 10 avril 2013 au Nouvelliste, cet « espace capable d'accueillir tout type d'événement, tout type de public à toutes les heures de la journée ». Les illusions et les promesses n’ont jamais tué personne après tout.