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Le Nouvelliste

Covid-19 un mois plus tard : Pourquoi si peu de cas en Haïti ?

May 7, 2020, midnight

« Que cela soit clair, le Covid-19 est présent en Haïti. Les tests que nous avons réalisés sont spécifiques pour le Covid-19. On a pu détecter sans risque de se tromper la présence du virus SARS-COV-2 », avance le Dr Jacques Boncy en guise de prémices face à toute interprétation du nombre de cas en Haïti.  Ce spécialiste qui expérimente et met en évidence les agents pathogènes depuis des lustres estime qu'il ne faut pas perdre de vue l'essentiel.  "Après tout, si tout le monde arrive à comprendre que la maladie est bel et bien en Haïti, ce sera plus facile d'expliquer la cause du nombre de cas constatés", a expliqué le Dr Boncy. La démarche du Dr Jacques Boncy, directeur du Laboratoire National d'Haïti, qui s'exprime du haut de ses expériences personnelles, se veut méthodique.  Aucun pays ne peut détecter aujourd'hui le nombre de cas réels du Covid-19. Cela dit, certains pays s'en sortent beaucoup mieux que d'autres.  «Les États-Unis ont une population d'environ 300 millions d'habitants, ils ont réalisé 1 million de tests. Impossible de savoir de manière précise le nombre de cas réels», a fait remarquer ce professeur à l'Université d'État d'Haïti.  Haïti, fort de son état, ne se dérobe pas à ce souci mondial relatif à l'incapacité de préciser le nombre exact de cas de Covid-19. Les chiffres avancés, en plus d'être interprétés avec circonspection, doivent s'inscrire dans une dynamique nationale de compréhension de la crise du Covid-19 en Haïti à partir des données disponibles. « Comme pour tous les autres pays, il faut interpréter le nombre de cas sous la coupole de certains facteurs clés tels la densité de la population, les habitudes de vie et autres paramètres qui influencent l'évolution des cas », explique le Dr Boncy qui siège à la cellule scientifique de la gestion de la crise du Covid-19 en Haïti mise en place par le gouvernement haïtien.  La pandémie évolue beaucoup plus rapidement dans les zones à forte densité, rappelle le médecin Or, en Haïti, on recherche les cas suspects pour les tester, on ne fait pas un dépistage systématique. Fort de ce constat, les chiffres doivent faire l'objet d'une interprétation plus globale pour comprendre la transmission dans une zone donnée par rapport à une autre zone, mais ils ne doivent en aucun être pris pour des chiffres réels tenant compte des critères actuels du "testing", encore moins comme un prétexte pour ne pas mettre en pratique les consignes des autorités sanitaires.  « S'il faut extrapoler, il faut comprendre, sans minimiser le risque d'une explosion de la transmission communautaire, que le pays n'accueille pas beaucoup de touristes et cela explique la différence constatée dans la courbe de l'épidémie par rapport à nos voisins dominicains », souligne le Dr Jacques Boncy. En revanche, Dr Josette Bijou, ancienne ministre de la Santé publique et de la Population, est beaucoup plus inquiète par rapport à cette situation. «Je me pose constamment la question, j'en ai même parlé avec des confrères spécialistes en santé publique», confie madame Bijou, qui trouve étrange que les gestes barrières ont été si peu appliqués et que le pays connaît jusqu'à présent moins de 100 cas. Ce n'est pas qu'on aurait souhaité plus de cas, mais il faut trouver une explication scientifique à cela, propose cette grande figure de la santé publique en Haïti.  On sait que tous les pays ne réagissent pas de la même manière face au Covid-19. Il faut certainement des études pour voir s'il y a des points forts en Haïti sur lesquels on peut capitaliser en vue de mieux répondre à cette pandémie.  «Il y a des faits à partir desquels des esquisses d'une étude peuvent être dessinées. Pour l'année 2017-2018, les infections respiratoires aiguës comme la grippe faisaient partie des premiers motifs de consultation en Haïti. Pas moins de 195 000 consultations pour des symptomatologies qui intéressent le système respiratoire ont été enregistrées. Rien que pour les trois derniers mois à Grace Children's Hospital, on a repertorié plus de 800 cas d'infection respiratoire aiguë. Est-ce que cela ne peut pas expliquer notre manière de répondre face à cette épidémie ?, se contente de demander le Dr Josette Bijou.  Sans vouloir se verser dans l'euphorie héroïque de l'homme haïtien, elle soutient l'idée que seule une étude peut révéler si oui ou non on a des spécificités qui nous permettent de mieux faire face à la maladie. Entre-temps, dit la professionnelle de santé des Haïtiens, des jeunes Haïtiens en meurent aux États-Unis. Donc en attendant les études, qui ne doivent inexorablement pas tarder, il faut rechercher les cas contacts pour les tester, préconise Dr Josette Bijou qui croit, par ailleurs, qu'il faut des stratégies adaptées à notre réalité.  Si on constate déjà que les diabétiques et les hypertendus sont les plus touchés, pourquoi ne pas donner un support solide aux diabétiques et aux hypertendus avant de mieux contrôler leur état de santé et éviter une catastrophe chez les catégories les plus à risque ? L'évidence de l'existence du Covid-19 en Haïti, pendant environ un mois, n'a jamais réussi à ébrecher le flegme affiché et assumé par la population. Comme cause, elle pointe du doigt des cas invisibles confinés dans les petits papiers du gouvernement, une absence de stratégie, des autorités qui tâtonnent en plein air quand elles ne trébuchent pas sur des pentes prévisibles. Nous sommes à l'heure où tout doit être expliqué avec le plus de détails possible, si on veut mettre le compteur de la confiance à zéro et repartir suivant un plan mieux construit. Interrogé sur le même sujet, le Dr Jean Hugues Henrys, décoré à titre de Chevalier de l'Ordre national du mérite par l'ambassade de France en Haïti le 4 mars 2020, estime qu'il faut apprécier la question du nombre de cas à au moins 3 niveaux. La dernière expérience du pays face à l'épidémie de choléra est à ce point différente par rapport au Covid-19.  «Le choléra ne pouvait pas passer inaperçu, il n'y avait pas autant de porteurs sains, donc il était plus facile de repérer une personne avec une diarrhée. Dans le cadre du Covid-19, 80% des personnes vont présenter une grippe banale», relate le Dr Henrys, membre de la cellule scientifique de la gestion de la crise du Covid-19 en Haïti. La deuxième approche consiste à comprendre que la difficulté de repérer les personnes malades en Haïti n'est pas une découverte. «Environ 40% de la population n'ont pas accès au système officiel de santé», confie le Dr Jean Hugues Henrys, ancien doyen de la faculté de médecine de l'UNDH. Il n'y aura certainement pas de miracle pour retrouver et dépister les 40% qui n'ont jamais eu accès au système de santé haïtien.  La dernière hypothèse évoquée par l'épidémiologiste, qui fait office actuellement de président de l'Association médicale haïtienne, est la stratégie utilisée pour tester les gens. «Contrairement à la Corée du Sud qui a priorisé un système de dépistage actif, en Haïti, nous n'avons testé que ceux qui répondent à notre définition de cas suspects et secondairement quelques cas contacts. A ce rythme, il est impossible de détecter autant de cas que les autres pays», explique le Dr Jean Hugues Henrys, qui croit comme le Dr Josette Bijou qu'il faut initier le volet recherche en Haïti.