Le Nouvelliste
La qualité à PAPJAZZ 2020 : quand le lendemain vaut la veille
Jan. 21, 2020, midnight
La scène Heineken s’est métamorphosée en scène « Air Caraïbes». L’affluence est sensiblement la même que celle du samedi soir. Des tables sur toute la surface de cette cour profonde du troisième niveau. Quelques rangées de sièges- les unes réservées- au pied de l’estrade. La circulation n’est pas trop difficile dans cet ensemble. En lever de rideau, les «Clowns sans frontières» amusent le public pour le faire patienter avec leurs jongleries de bateleurs et leurs espiègleries. Ils sont remerciés par la charmante MC. Béatris Compère, qui présente la soirée et son programme : la chanteuse de jazz, allemande, et de père libérien Pat Appleton, accompagnée par le Matti Klein soul trio ; l’excellent pianiste martiniquais Mario « Ti bange» Canonge et ses invités Annick Tangorra, Ralph Thamar, Michel Alibo et Arnaud Dolmen. Le super-groupe gospel «Take 6», au talent s’étendant aussi bien au jazz, au R&B et qu'à la soul ; une chorale de six voix masculines chantant le plus souvent « a cappela»- sans accompagnement- avec de superbes et modernes harmonies. En somme, le niveau ne baisse pas et se maintient. Bon choix. Pat Appleton back-up by Matti Klein soul trio Cette chanteuse assez jeune, auteure-compositrice, «membre du groupe De-Phazz ayant reçu deux nominations au German écho…» est considérée comme la nouvelle voix du jazz allemand contemporain par la chaîne de télévision 3 Sat. Le Matti Klein soul trio qui l’accompagne est constitué de son leader Matti Klein au clavier et synthé, d’un bon batteur et d’un fougueux saxophoniste ténor joueur également de clarinette-basse. Un répertoire constitué principalement de chants et musiques de fusion «binaire», un véritable mélange et «cross-over» des genres de la musique populaire américaine, blanche et noire, où la musique soul donne la main au jazz, au rock, au Downtempo, au trip hop, au «lounge», au «asmooth», au «blues-rock». Conceptions actuelles qui lient l’ancien au nouveau pour la survie des vedettes du jazz ; hommage à la pluralité rythmique et stylistique- Matti Klein trio est à dominante «soul». Pat Appleton commence son tour de chant par un morceau au rythme «binaire» genre soft-rock, à l’after-beat accentué à la percussion malgré tout, commenté par le sax ténor aux accents soul et bluesy. Ensuite vient un morceau de soft et smooth jazz, où l’on peut apprécier la bonne assimilation du maniérisme féminin du chant jazz, chez cette Allemande, les tours et les tics des vocalistes afro-américaines. Bon appui à la clarinette-basse. Il y a jusqu’à la fin une succession suivante: une ballade un peu triste «When you feel sorrow don’t matter», sorte de blues, avec un solo à effets de la clarinette-basse ; du rock et du R’N’B dans un autre morceau ; une ballade «binaire» et moderne, « Every day love», chant de rupture et de solitude amoureuse, nostalgique ; « Our relationship» au rythme à la limite du «ternaire» et du «binaire», au swing sous-entendu, duo du keyboard et de la voix ; «Jeunesse dorée» chantée en français – entre «binaire» et «ternaire»- moderne et sautillant, commentée par la clarinette-basse ; pour finir un franc rock-and-roll soul et bluesy. Chez la chanteuse et le trio, la préférence va aux rythmes à temps «binaires» et américains. C’est jeune et sympathique. Mario Canonge et ses invités Après le bon lever de rideau, à l’allure d’apéritif et de recréation- préparation pour les oreilles - de Pat Appleton, les choses prennent un tour plus sérieux avec Mario Canonge (piano acoustique) ; Michel Alibo (basse à 6 cordes), ancien du groupe «sixun» ; Arnaud Dolmen (batterie), excellent rythmicien et soliste ; Annick Tangorra et Ralph Thamar (chant) – Du jazz kreyòl très recherché et de pointe ; de la «biguine», du konpa, et du «zouk» créoles «jazzy» et chantés. Ce n’est pas de la plaisanterie, de la «gnognotte». Binaire pour binaire, je préfère les rythmes caraïbes aux rythmes «pop» et «rock» américains. Ils sont plus souples, plus sensuels et compliants aux exigences plastiques et swinguantes du jazz. En trio piano, basse et batterie, nous avons écouté avec l’attention et le respect dûs aux recherches suivantes : le morceau d’introduction, instrumental, introduit en équivoque de mesures-paires et impaires – puis s’affirmant dans la biguine, avec interaction du piano et de la basse ; le deuxième morceau avec des brisures rythmiques et le refrain chanté par Michel Alibo «Ouwo- ouwo», l’orage de la batterie; «carnaval blues», très antillais dans le rythme proche de notre «rara» ou «rabòday», chœur et chorus de Michel Alibo, épatant, changement et «switch» rythmiques pour un blues traditionnel et swinguant de Mario Canonge au piano, provoquant l’admiration et des tonnerres d’applaudissements ; enfin des chansons «jazzy»- zouk ou konpa, biguines- chantées en duo et en solo par Annick Tangorra et Raplh Thamar : « Si w vle gade anndan kè mwen» «biguine en français» ; konpa « Que j’aime ta peau brune». Du swing créole aux rythmes entraînants. Bravo Mario Canonge ! Compliments à vos invités ! Du grand art. Harmonies altérées du piano aux beaux «voicings» (deuxième morceau intrumental). Take 6 «Formé dans les années 1980, Take 6 est le groupe gospel, le plus récompensé de l’histoire avec 10 Grammy Awards, 10 prix Dove, 1 prix Soul train …» (Livret de présentation) Un groupe de six chanteurs avec les quatre catégories traditionnelles de voix masculines (basse, baryton, contre-ténor et ténor léger), excellant en plus dans le jazz, la soul et le R’N’B, a mis le feu à la scène Air Caraïbes en final de la soirée. Des harmonies très élaborées, des modulations surprenantes, du scat évidemment, des voix homorythmiques ou se contredisant, interactives ou se contredisant. Des solos accompagnés par des contrechants « a cappella» ou légèrement accompagnés. Ils connaissent la musique, certains jouent d’un instrument comme la guitare ou le piano (Denis Baptiste). Des mesures et rythmes «binaires» ou «ternaires». Du rock et du swing, tempos modérés ou rapides. De bonnes imitations d’instruments. Une basse et un ténor frappants, remarquables. Des hommages à Christopher Cross, Stevie Wonder dans « Over Joy», au spiritual instrumental «Amazing Grace» par Denis Baptiste ; Al Jarreau dans «Roof garden». Du tonnerre ! On est surpris, admiratif, médusé. On reste bouche bée. On ne trouve pas les mots pour les lecteurs qui devraient les voir sur scène pour s’en rendre compte. Exemples à suivre, à imiter par nos chorales. On en est sorti enivré.