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Le Nouvelliste

Le monde change et l’art avec

Jan. 28, 2021, midnight

Mario Benjamin (1964 -), quelques années après son exposition de peinture d’un réalisme photographique impressionnant, avait rejoint en 1987 un groupe d’artistes réunis autour de Nasson. Parmi eux, certains allaient devenir les leaders du mouvement Atis Rezistans.  En 1992, lors d’une exposition collective à la Galerie Marassa, Mario Benjamin présentait un chien en bois, amputé, qu’il a électrifié.  Il n’avait pas sculpté le chien, n’avait pas cassé sa patte et, s’il l’avait électrifié, le matériel utilisé était vendu dans une quincaillerie. Toutes proportions gardées, cette œuvre était dans la lignée de « Fontaine » (1917), le ready-made de Marcel Duchamp, parce que comme Fontaine, elle questionnait la définition même de l’œuvre d’art. En effet, ce chien mutilé semble écarter tout un ensemble de notions que nous associons à l’œuvre d’art : la technique, la beauté…   Mais il y avait dans ce chien quelque chose qui pourrait l’associer à une œuvre conceptuelle si, et seulement si, elle n’était pas présentée dans une galerie d’art. Il faut préciser ici que, dans leur démarche, les artistes conceptuels marquent un rejet de la commercialisation de l’art.  Pour cela, ils produisaient des œuvres où l’accent est mis sur les processus de pensée et les méthodes de production comme valeur de l'œuvre. Ils aboutissent ainsi à des objets qui ne seraient pas facilement achetés ou vendus. Mario Benjamin, quoiqu’il ait réalisé des œuvres en mix média (notamment des affiches pour Boukman Eksperyans) et des installations, est resté surtout attaché au support bidimensionnel faisant des portraits d’une expressivité très poussée. J’ai franchement l’impression que, depuis la présentation de ce chien, les œuvres tridimensionnelles ont bénéficié d’une importance sans précédent. C’est alors qu’on a vu apparaitre sur la scène artistique l’œuvre de Nasson (Camille Jean pour l’état civil) (1961-2008), entre autres. Nasson a réalisé, dans un premier temps, des sculptures sur pierre puis des assemblages réalisés à partir de rebuts.  Les unes comme les autres, faisant un effet incontestable, sont venues solliciter les émotions du public et proposer une expérience qui peut changer son regard sur non seulement l’œuvre elle-même, mais aussi sur la condition humaine seulement. Claude Bernard Sérant a qualifié d’iconoclaste le sculpteur Nasson à l’occasion d’une exposition de ses œuvres aux Ateliers Jérôme à la fin de l’année 2005. Le journaliste a utilisé ce terme dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui qui diffère de son sens initial de destructeur d’images. Sérant l’utilise en effet pour signifier un refus d’enfermer les images dans des conventions. Le choix de ce terme ne repose pas seulement sur les matériaux utilisés, sur la manière dont ils ont été traités. Il repose aussi sur la prise en compte de l’emprunt fréquent d’images chrétiennes et de leur réinterprétation possible quand on a affaire à des œuvres haïtiennes inspirées du vodou. Il est difficile pour l’être humain d’accepter des nouveautés, mais nous devons, en nous basant sur l’histoire du dernier demi-siècle, évaluer avec un esprit ouvert les changements opérés dans le monde de l’art chez nous. Et il y en a eu.  Pour ce faire, il faut considérer tout un ensemble de données, de références afin de passer d’un « j’aime ou je n’aime pas » à un « pourquoi j’aime ou pourquoi je n’aime pas ». Pour comprendre ce procédé, le mieux est de considérer un exemple. Il apparait évident que l’on ne peut pas évaluer un portrait fait par Killy (Patrick Ganthier pour l’état civil) (1966 - ) comme on évalue un portrait fait par Lionel Laurenceau (1942 - ).  Le premier a joué sur l’expressivité de l’image tandis que le second a visé le réalisme. En dehors de ces deux constatations évidentes, il faut tenir compte du fait que ces œuvres, conçues par des artistes d’âges différents, de milieux différents, ont été créées à des moments différents, dans des contextes sociopolitiques différents.  À cela il faut absolument ajouter la différence des moyens mis en œuvre pour la réalisation de ces portraits. Chez Killy, il s’agit d’une image traitée par la juxtaposition de zones de couleur où celles de lumière et d'ombre prennent le dessus sur le dessin linéaire.  Chez Laurenceau, au contraire, bien qu’il soit caché sous les nuances de couleurs appliquées en empâtement, le dessin est très présent et revêt toute son importance. Toutes ces différences expliquent pourquoi ces portraits ne peuvent pas être jugés sur la même base. Il devient alors évident que plus on assemble des informations sur le contexte dans lequel l’œuvre a été créée, sur l’œuvre d’art elle-même et sur l’artiste, plus l’évaluation sera raisonnée et objective. Une telle démarche se révèlera très utile à ceux et celles qui veulent approcher l’art contemporain. Des artistes comme Mario Benjamin, Pascale Monnin, Barbara Stevenson, qui s’étaient déjà fait une réputation, prenaient un virage décidé vers le contemporain. On a pu découvrir l’œuvre de Tessa Mars, une artiste qui introduit son corps dans ses travaux, question de faire comprendre que le corps peut être un sujet légitime d’attention et de valeur. On a pu découvrir aussi Patrick Ganthier (Killy), Pierre Pascal Mérisier (Pasko), Sébastien Jean… qui ont privilégié le support bidimensionnel, après avoir eu, pour certains d’entre eux, des pratiques rattachées à l’artisanat.  Démontrant la diversité des techniques pratiquées chez nous par les artistes contemporains, il y a les réalisations de Maksaens Denis (1968 - ) dans le domaine de l’art vidéo, une discipline qui en rassemble d’autres. L’art vidéo n’est pas de la télévision même si, pour exister, il utilise souvent l’écran d’un téléviseur. Cet écran devient alors le support de l’œuvre comme une toile est le support d’une peinture.   D’ailleurs, dans son évolution, l’art vidéo a quelquefois dépassé l’usage de l’écran de télévision pour prendre comme support les murs de monuments historiques, entre autres structures architecturales.  Le monde de l’art a fait une place à ces artistes. Leurs œuvres sont exposées et vues ici comme à l’étranger.  En dehors de toutes autres considérations, nous devons réaliser qu’à travers la variété des œuvres qui nous sont proposées, nous pouvons percevoir les changements qui se produisent dans notre vie.  Comme dans les œuvres qui nous sont parvenues du mouvement Indigéniste et de l’avant-garde des années 1950, nous pouvons voir d’où nous venons, et ceci au même titre que toute autre forme de témoignage. Gérald Alexis