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Le Nouvelliste

Des souvenirs de Me Gérard Gourgue

Dec. 18, 2020, midnight

Un matin d’avril 2004, le trouvant devisant dans un groupe de gens de la basoche au lobby d’un parloir funéraire à Turgeau, Me Gérard Gourgue m’accueillit par ces mots : - Voici l’homme qui m’instruit tous les jours. Allusion à ma chronique « Carte blanche » chez le « doyen ». Je fus surpris de la révélation, lui de qui j’ai tant appris. Sur les bancs de la faculté de droit. Par la voie des ondes. Au hasard d’une rencontre. Arnold Antonin insiste sur son penchant pour le compromis mais pas pour les compromissions. Ce qui fait penser à une confession due à son bref passage dans les avenues du pouvoir : «J’ai connu les brûlures, pas les souillures du pouvoir.» L’homme, d’une remarquable culture, avait le sens de la formule. D’une élégance d’esprit, il était doté d’une enviable autorité morale. Il en imposait, avait des convictions mais aussi le sens de l’écoute. Il fallait le voir déambuler dans la ville pour réaliser combien il inspirait le respect. Sur le plan académique, il confiait au micro de Marie-Lucie Bonhomme avoir eu la chance au lycée Alexandre Pétion d'assister aux cours des professeurs émérites tels que Emile St-Lot, Dr Catts Pressoir, Castel Démesmin, Daniel Fignolé, Ulrick Duvivier, Louis D. Hall … Or, à son tour à la faculté de droit, Grégoire Eugène, Michel Fièvre et Gérard Gourgue marquèrent les étudiants de ma génération. Après le procès des Timbres, il y eut un engouement pour le droit. En effet, selon le professeur Gourgue, ce procès mémorable suscita des vocations. Quant à l’approche du 45e anniversaire du procès, je le visitai en sa résidence privée pour lui faire part de mon intention de célébrer l’événement pour le « doyen », dans l’interview qu’il m’accorda, il en parla comme d’une épopée judiciaire. Effectivement, depuis 1975 jamais les joutes oratoires n’ont été aussi épiques, aussi retentissantes, sous la voûte de la première chambre du palais de justice. Il faut dire que Me Gourgue, tel Démosthènes, cultivait l’éloquence. C'était un tribun, maniant le verbe. Avec panache. Le préambule de sa plaidoirie aux débats généraux du procès des Timbres marque les esprits ». « Quand gravissant les marches pour pénétrer dans cette enceinte et passant entre les deux lions, gardiens du temple, je sais que je vais à la rencontre de la déesse Thémis qui, les yeux bandés, le glaive à la main, distribue la justice… » Je cite de mémoire sans en altérer l’esprit; Willer Léveillé, son beau-fils et mon camarade de fac, aimait beaucoup cette péroraison. Me Gourgue était très sollicité dans les médias. Presse écrite, pour se prononcer sur le démantèlement de l’armée. Le Matin recueillit sa réaction. À « Ces mots qui dérangent » de Robert Lodimus (radio Plus) ou à Rencontre de Rotschild François Jr (radio Métropole), Me Gourgue livrait son sentiment. Au journal du matin de « Métropole », la station sollicitait son point de vue d’historien. Historien ? Eh oui ! L’histoire était sa passion. Il suffisait de lui rendre visite à Pacot, d’aborder un pan de notre histoire mouvementée de peuple pour que, sur-le-champ, il partage avec son interlocuteur des documents historiques d’une très grande valeur. Ce qui signifie que la documentation était son fort. Cependant, il se refusait à écrire un livre d’histoire. Il versait, comme Fritz Valescot, dans l’oralité. Un historien de l’oral. Or, Jean-Robert Hérard devait finir par le convaincre d’évoquer son parcours de témoin et d’acteur dans un livre d’entretien. D’où la publication « Vivre dans le sillage des faits collectifs ». Le titre n’est pas anodin. Gérard Gourgue a vécu des tranches de notre « Histoire de peuple » (titre de Dantès Bellegarde) et laisse un livre témoin. J’ai rédigé des notes de lecture à l’initiative éditoriale. Deux des trois textes y relatifs parurent chez le « doyen ». J’avais rempli mon devoir envers mon ancien professeur de droit pénal et de procédure criminelle. Surprise : un matin, mon téléphone retentit. Paula Gourgue, au bout du fil, me remercia d’emblée avant de passer le combiné à Gérard qui ne me cacha pas son enthousiasme pour ma lecture critique. En réalité, je ne faisais que lui rendre ce qu’il m’avait appris. Ultime devoir filial : le 1er décembre 2015, le bâtonnier Stanley Gaston me choisit pour être le maître de cérémonie à la petite fête organisée pour les 90 ans de notre ex-bâtonnier. En réalité, le barreau tenait à honorer le grand homme de son vivant. Je m’acquittai de la tâche à la satisfaction du bâtonnier Gaston, lequel après la cérémonie m’avoua que je fus extraordinaire. Mais ce n’était pas le plus important. J’accomplissais mon devoir. Raccompagnant Carole Gourgue sur le séparateur du boulevard Harry Truman pour remonter dans sa voiture, elle me remercia ainsi : « Vous avez toujours été à nos côtés. Merci, Jean-Claude. » Dans l’après-midi du jeudi 3 décembre, en route j’allumai la radio pour entendre la voix de Wendell Théodore annoncer la disparition du grand homme, je reçus un choc. Radio Métropole diffusait un extrait de son discours d’installation comme président « symbolique » le 7 février 2001, alors je lançai à ma fille qui était au volant de notre voiture : « Me Gourgue est mort ! » Le 1er décembre, Evans Paul sur le plateau de « Mise au point » (TNH) Jean Serginho Lindor lui souhaitait un bon anniversaire pour ses 95 ans. Je terminerai cet hommage par une confession dans notre savoureux créole : « Me Gourgue ba nou anpil ». Jean-Claude Boyer                                    Mardi 8 décembre 2020