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Le Nouvelliste

Art : Contemporain ?

Jan. 27, 2021, midnight

Alors que le public haïtien semble vouloir s’habituer à l’art abstrait, le voilà confronter à toute une série de nouveautés qui lui arrivent sous le label : « art contemporain », terme dont l’utilisation ne porte aucun sens précis autre que « actuel ». Encore que beaucoup de ce qui est proposé comme « actuel » remonte souvent à des décennies. « Art contemporain », c’est en fait une expression parapluie sous laquelle se regroupent l’interdisciplinaire mais aussi un refus de toute discipline. D’où la difficulté pour le public de s’y adapter et de le comprendre. Le résultat qui est palpable est que le spectateur semble devenir incompétent.  L’expression : « ce n’est pas pour moi » vient alors manifester un refus d’aller plus loin dans les efforts pour essayer de comprendre pourquoi on peut considérer ces expressions nouvelles comme de l’art et ceux qui les proposent comme des artistes. Personne n’est réellement parvenu à dater le début de ce qu’on appelle art contemporain. En vérité, une telle date n’a pas d’importance car la chronologie ne joue qu’un rôle infime dans la compréhension de ce que représente le terme « art contemporain ».  Ce terme ne serait que l’expression d’une volonté commune à des artistes d’aller plus loin que l’art moderne dans sa rupture avec l’art classique et l'art figuratif. Ces artistes veulent tout simplement mettre fin à des canons jugés surannés. On comprendra dès lors que l’art contemporain s’est construit à partir des expérimentations faites dans le domaine de l’art moderne, particulièrement dans les années 1960, qui ont donné lieu notamment au Pop Art. Mais à côté de ces mouvements qui ont fait entrer dans l'art les objets et les images de la culture populaire, de la bande dessinée ou encore celles de la publicité, il y a eu tout au cours des années 1970 une grande variété de productions artistiques, qui ont ébranlé l'art « moderne » mettant en cause des notions jusque-là immuables :  la définition d’une œuvre d’art et même celle de l’artiste.  Au cours des années 1970, en Haïti, la clientèle locale, se faisant sans cesse croissante, s’est sentie en droit de faire connaître ses exigences. Cependant on a pu constater l’évolution de certaines formes d’expression qui ont clairement été des facteurs pavant la voie pour l’arrivée de « l’art contemporain ».  On a alors noté le dépassement de formes d’expression qui nous étaient les plus familières, notamment ce genre où le regard des artistes s’arrêtait à l’aspect superficiel du sujet.  Pour plaire, ils s’interdisaient d’aller en profondeur pour en scruter l’âme. Dans ce genre, on peut classer ceux qui se disaient adhérés à ce qu’on a appelé l’École de la beauté.  Il y avait aussi tout un ensemble de peintures de types divertissants :  marines, natures mortes…etc...  Est venu alors s’ajouter à cela le mouvement Saint-Soleil.  Le marché international l’a alors très vite récupéré pour y apposer le sceau de l’authenticité, refaisant, en quelque sorte, un geste qui nous renvoyait à la fin des années 1940. Alors, on a vu pointer ce qui allait être les tendances nouvelles réunies sous le label « art contemporain ». On a vu par exemple apparaitre toutes sortes de techniques mixtes et une utilisation de matériaux inhabituels comme le ciment, des objets qui ont déjà servi ou qui sont tout simplement insolites.  Suivra plus tard l’utilisation de technologies nouvelles comme le numérique, la vidéo. Il est ainsi devenu de plus en plus difficile de distinguer ce que traditionnellement on considère comme les Beaux-Arts, les arts décoratifs et les arts mineurs (artisanat). D’ailleurs, il faut dire et le redire, la notion même d’art contemporain implique une fusion avec la culture populaire comme c’est le cas dans le Pop Art. Il suffit de voir comment a évolué la tradition du travail du fer et de la tôle établie par Georges Liautaud. L’œuvre de Liautaud a marqué, entre autres, un artiste comme Patrick Vilaire (1941 - ) qui, dans une démarche résolument contemporaine, a mis à profit des matériaux et des techniques industriels. Il est vrai que bon nombre d’artistes haïtiens modernes ont osé explorer l’univers de l’imaginaire populaire. L’erreur que certains ont commise a été de rester dans le superficiel comme l’avaient fait leurs aînés indigénistes.  Il leur fallait justement dépasser le folklore et tenir compte de leur temps, ce temps marqué par le social et le politique. C’est une telle exploration d’un univers plus large qui donne leur force aux œuvres d’Édouard Duval-Carrié résolument contemporaines.  On peut aussi prendre en compte le travail de Georges Laratte qui, vivant près de la rivière Froide, a trouvé dans la pierre à savon le matériau idéal. Sa manière de traiter la pierre a été reprise par son fils puis par un grand nombre d’artisans qui l’ont employée pour faire toute une série d’objets allant de la figurine à des raviers de formes diverses.  Ces exemples montrent comment, lentement mais sûrement, artistes et artisans se sont rapprochés, facilitant ainsi des échanges entre eux.  Si celles-ci ont été favorables aux artistes, elles ont incontestablement aidé au développement de l’artisanat.  Pour le prouver, il suffit de voir la participation au festival annuel « Artisanat en fête ». Depuis, on a si souvent vu des objets utilitaires de grande qualité qu’il a fallu, pour les classer, créer une nouvelle catégorie ;     « artisanat d’art », une autre manière de dire qu’en effet l’art et l’artisanat s’étaient rapprochés au point d’arriver à presque se confondre.  En 2001, le Fowler Museum de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), connu pour son intérêt pour l’anthropologie, organisait l’exposition itinérante « Sacred Art of Haitian Voodoo » qui est venu montrer comment cette fusion s’est opérée dans le domaine de la religion. Gérald Alexis