Le Nouvelliste
Haïti au temps de coronavirus
May 4, 2020, midnight
Haïti, à l'heure du coronavirus continue de vivre à son rythme lascif comme si au fond de chacun de nous et dans la tête, nous avions le son d'un tambour yanvalou qui module nos pas... Nous faisons figure de société d'exception, car notre réalité de désorganisation en tout, empêche le libre cours du mimétisme comme il se donne en Orient ou en Occident. Les réalités haïtiennes de dysfonctionnement social empêchent que l'État puisse, de façon très sérieuse, appliquer des consignes strictes de confinement comme nos voisins Dominicains ont réussi à le faire. Dans le cas d'Haïti, le copier-coller ne peut pas marcher. Le coronavirus qui met le monde à genoux et qui a dévoilé les lacunes des sociétés que l'on considéraient jadis comme les modèles, les chefs de file du monde libre a fini de certifier aux Haïtiens qu'ils vivent dans un espace non viable, ne disposant de rien ni sur le plan sanitaire, ni sur le plan infrastructurel. L'Hôpital Général qui a la réputation d'être un mouroir n'a aucun moyen pour mettre son personnel soignant en mesure de porter assistance aux malades. Tandis qu'en France, aux États-Unis et ailleurs, médecins et infirmières, auxiliaires et autres, sur la base du serment d'Hippocrate ont sacrifié leur vie pour sauver celle des malades. Ici, à Port-au-Prince, à cause du défaut du minimum indisponible, nos docteurs et infirmières ont déserté l'espace hospitalier. Pas de gants, pas de blouses, pas de masques et de bonnets de protection. Nos médecins qui n'ont aucune vocation de kamikaze sont tout simplement rentrés chez eux. L'État haïtien, pour se donner bonne conscience, dans le discours officiel, réfère aux systèmes de santé les mieux pourvus du monde développé, qui sont dépassés par les événements. Quand l'on sait qu'au cœur de New York, à Manhattan, pivot économique et vitrine des États-Unis, des médecins ont du transformer des sacs de poubelle en blouse, aux premières heures du coronavirus, quand on a vu les images de désolation dans les couloirs de maints hôpitaux des États-Unis, nos dirigeants n'avaient aucun souci à se faire quant aux défaillance du système de santé publique en Haïti. Mais aujourd'hui, à près de deux mois de la déclaration officielle du premier cas, le 19 mars dernier, l'État n'est pas en mesure d'offrir à nos médecins, infirmières et autres, tous les équipements requis, ou le minimum pour leur enlever le prétexte de leur démobilisation. Même les masques promis à la population se font attendre. Haïti, c'est le pays de la rareté justifiée en référence à la soi-disant pauvreté plus que bi séculaire. Mais que dément chaque jour le train de vie insolent de l'État et ses largesses à toute une large catégorie d'alliés, dont des bandits. Observez le passage du cortège présidentiel ou de celui du Premier ministre et des ministres. Toute une caravane de véhicules coûteux. Le cortège présidentiel que nous savons croiser sur nos routes dispose de pas moins d'une quinzaine de véhicules. La pauvre Haïti est aussi le pays de l'exagération. Pourquoi quinze véhicules au moins dans le cortège du Président. Trois à cinq auraient largement suffi. Cela relève d'une mauvaise répartition du Budget de la République qui alloue des parts démesurées aux instances du pouvoir exécutif, au détriment de la Santé publique et de l'Éducation nationale, sans parler de l'Environnement. Haïti, c'est le pays des mauvais choix dans tous les domaines. Le coronavirus met aussi en lumière les disparités nationales. A part la capitale, il y a très peu de nos villes qui respectent le couvre-feu officiel entre 8:00 du soir et 5:00 du matin. Les autorités qui n'ont pas peur du ridicule ont pris une toute dernière mesure effective au 11 mai prochain. Le port du masque exigible. L'État, au regard de la réalité haïtienne où l'on dit que de plus en plus de citoyens survivent avec 1 dollar américain par jour, a-t-il le droit, sans fournir le masque à tout le monde, d'en exiger le port, sous peine de sanctions? Le masque jetable coûte 200 gourdes (1,92 dollars au taux de 104/1) dans les pharmacies et autres commerces. Où est-ce que les gens les plus vulnérables de notre population vont trouver cet argent s'ils doivent eux mêmes acheter leur masque? Et il ne faut pas oublier que selon les recommandations les plus divulguées, la durée de vie d'un masque n'est que de trois (3) heures. Mais la vie au temps du coronavirus en Haïti, ne se résume pas aux nouveaux cas de personnes infectées, guéries ou mortes qui font d'Haïti, un pays très peu affecté par la pandémie. La guerre des gangs continue de faire les grands titres de l'actualité. Les dernières images de bandits de Base Pilate charcutés par leurs adversaires de village de Dieu ou de Grand Ravine nous révèlent à quel niveau nous avons perdu toute notre humanité, toute notre âme. Ces images dépassent ce que l'on montre en général dans les pires films d'horreur... Et dans la rue, les manifestations si elles ont pris une pause pendant cette période d'exception, la société a un souci au regard de policiers soi-disant fantômes qui défilent à une cadence de zombis, dignes de la video Thriller de Michael Jackson. Une démarche qui fait l'admiration de notre Sister M. Mais ces fantômes retrouvent toute leur agilité de mortels pour incendier des véhicules au Ministère des Finances, aggravant les problèmes de l'État. Et ils trouvent aussi l'énergie nécessaire pour s'affronter aux blindés de leurs camarades policiers, autant d'aspects qui renvoient à un éclatement de la Police Nationale d'Haïti prise entre les feux croisés d'unités qui n'ont pas la même vison des choses... Et la dernière averse de ce dimanche 3 mai et ses dégâts dans la zone métropolitaine, nous rappellent que nous devons surclasser l'environnement comme priorité. L'environnement à réparer fait partie de nos urgences oubliées. En cette période d'État d'urgence sanitaire en absence des corps constitués pour monter la garde sur la manière dont l'argent de l'État est dépensé, les citoyennes et les citoyens ont le droit d'être inquiets sur les risques de détournement de la manne de l'aide au titre de la gestion du coronavirus. Les mêmes pratiques continuent en offrant des avantages aux mêmes amis, aux mêmes alliés au titre de retour sur investissement et financement de campagne électorale. Les mêmes noms des mêmes personnes reviennent pour l'achat des kits alimentaires comme c'était le cas pour les kits scolaires. Et l'on continue de s'enrichir sur le dos de la République. Men comme Maurice Sixto aurait dit avec pragmatisme, «se pa premye vè ki kraze nan gouvènman»... Et comme partout ailleurs, étant donné les effets nocifs du coronavirus sur l'économie mondiale, sur les entreprises mises en pause, sur les emplois mis à mal avec des millions de chômeurs et des centaines de milliers d'entreprises à l'étranger qui ont appliqué pour un soutien des pouvoirs publics, etc. Chez nous aussi les économistes et la société en général, ont des préoccupations pour l'après coronavirus. Les mises en place à faire, des choix intelligents pour nourrir la population en attendant la reprise des récoltes et la relance des transactions internationales et la reprise de l'économie globale. Où en sommes-nous? Après le coronavirus, n'y-a-t-il aucun risque d'une nouvelle crise politique en perspective? Timidement, on parle d'élections législatives, n'y aura-t-il pas d'autres débats sur d'autres sujets liés aux élections et au pouvoir politique...? Ce texte a été initialement présenté à l'émission Point du jour sur Radio IBO, 98.5 stéréo du lundi 4 mai 2020.