Le Nouvelliste
Faut-il sauver l’année scolaire, à tout prix ou sauver les réformes urgentes ?
April 2, 2020, midnight
Tout faire pour ne pas perdre l’année scolaire, j’y croyais en novembre dernier dans un article publié sur le site du Partenariat Mondial pour l’Education[1] : « Laisser les enfants d’Haïti retourner à l’école”. J’insistais en invitant toutes les parties à travailler ensemble « pour permettre au moins aux enfants de retourner immédiatement dans le cadre sécurisant de leur école, parce qu’il ne fait aucun doute que cette situation a des conséquences graves sur des millions d’enfants en Haïti, victimes innocentes. » Pourtant, c’est hélas la menace permanente qui pèse sur les enfants haïtiens. On pourrait remonter au 26 avril 1963, suite à une apparente tentative d’assassinat de Jean-Claude Duvalier, où toutes les écoles ont dû fermer leurs portes jusqu’à la prochaine rentrée scolaire d’octobre. Ni plus, ni moins. A la réouverture les écoles ont dû faire à leur rythme les rattrapages et examens nécessaires. Depuis, pour différentes raisons, surtout politiques, le calendrier scolaire qui fixe officiellement à environ 189 jours de classe est rarement atteint et les élèves haïtiens arrivent à bénéficier de 140 – 150 jours. Aujourd’hui, la même question se pose, d’autant plus que la majorité des élèves a déjà perdu environ trois mois de scolarité entre septembre et décembre 2019, à cause des évènements politiques liés au « pays lock ». Le ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle a présenté, en décembre dernier un calendrier scolaire réaménagé pour l’année académique 2019-2020 où on passe de 189 à 147 jours de classe pour combler le programme scolaire avec un programme de compétences minimales. Aujourd’hui avec l’incertitude entourant la pandémie du COVID-19, la nouvelle fermeture officielle condamnera une majorité à rater l’essentiel des apprentissages de l’année scolaire qui sera pratiquement perdue, en dépit de efforts louables de certaines écoles qui poursuivent les apprentissages à distance à travers différentes plateformes. Le MENFP vient d‘annoncer le lancement de sa propre plateforme d’apprentissage à distance dans moins de 10 jours maintenant, via internet et l’utilisation prochaine des médias d’Etat pour assurer la poursuite des cours. Dans ce climat particulier et traumatisant tant pour les directeurs d’écoles, les enseignants et les parents, le pari de sauver l’année scolaire, parait titanesque, compte tenu des trois premiers mois perdus, du faible niveau de préparation générale et de la qualité des infrastructures. Ne nous précipitons pas de bâcler une année scolaire et de terminer par des évaluations pour des apprentissages qui n’ont pas eu lieu pour la grande majorité des apprenants. Ce serait une double peine pour un système scolaire déjà inéquitable, tant pour les parents que pour les élèves. La solution la plus réaliste serait déjà de considérer un réaménagement curriculaire, avec une nouvelle ingénierie des programmes et cours pour que les compétences qui devaient être acquises en trois ans d’études le soient sur les deux prochaines années, exception faites des classes d’examens officiels qui méritent un traitement particulier. Ce qui revient à dire que les écoles qui pourront boucler l’année scolaire de manière crédible à travers ces plateformes et en présentiel pourront faire subir les tests et examens de leurs écoles. Mais la grande majorité ne devrait pas être pénalisée et devrait avoir la possibilité de poursuivre tant bien que mal des apprentissages. Mais question de justice, pas de redoublement, ces élèves devraient poursuivre ces apprentissages sur les deux prochaines années et subir les évaluations correspondantes. Conclusion, on poursuit les apprentissages par tous les moyens possibles cette année, on rattrape et on est évalué au cours des prochaines années. C’est déjà une porte d’entrée pour expérimenter les classes qui de toute façon devront passer au « passage automatique », notamment aux premières années de l’école fondamentale. Toutefois, cet arrangement ne répond qu’à une première préoccupation qui est celle de la poursuite des activités scolaires “normales”. Mais, elle devra conduire à une réingénierie profonde du curriculum pour les années à venir dans un monde post-COVID-19 où l’école doit se réinventer pour s’adapter aux nouveaux enjeux économiques et sociopolitiques. Bien plus qu’un simple accommodement pour sauver une ou deux années scolaires, il s’agit de repartir sur les fondamentaux du plan opérationnel 2010-2015 et du Pacte sur l’Education. Pour le MENFP, il s’agirait de remobiliser immédiatement la Commission nationale de Réforme Curriculaire (CNRC) mise en place en 2014 ou tout autre organe pouvant remplir cette mission. Il faut passer en revue le curriculum actuellement à l’essai de la petite Enfance, jusqu’aux programmes de baccalauréats classiques et techniques en insistant sur les protocoles d’homologation des manuels scolaires et des e-books à venir. Il s’agit aussi de reprendre en urgence le chantier de la carte scolaire et de l’accréditation des écoles tels que prévus dans les #12mesures à travers la carte d’Identité d’Etablissement (CIE), ce qui permettrait d’avoir désormais une base crédible pour subventionner ou non des écoles répondant à des normes minimales d’assurance qualité. Il s’agit aussi de reprendre en urgence le dossier du registre des maîtres donnant lieu au permis d’Enseigner, au plan de formation, qui garantit un statut particulier et une grille de salaire équitable pour les environ 200 000 enseignants du public et du privé recensés en 2014. Ce n’est que de que cette façon qu’on s’assurera d’avoir des enseignants qualifiés recrutés dans le vivier des étudiants finissants non seulement de l’Ecole Normale Supérieure, mais des diverses autres facultés de l’UEH, des UPRs et Universités privées sur base de concours. Et du même coup, ce registre des enseignants éliminera définitivement la corruption des “chèques Zombis” et permettra de remettre en place la Carte-Avantage-Enseignant afin de canaliser par ce biais diverses subventions et autres pour les enseignants. Aujourd’hui, cette menace que représente cette pandémie doit donc se transformer en opportunité. Cela ne sert à rien de mobiliser du temps, de l’argent et de l’énergie pour évaluer nos enfants sur des programmes a minima, pour des compétences minimales quand ils auront cruellement besoin de compétences crédibles du futur pour affronter le nouveau monde post COVID-19. De même pour nos enseignants, qui devraient pouvoir profiter de ce « répit scolaire » pour se ressourcer, réapprendre, pour mieux repartir dans un protocole clair de certification et de développement professionnel. Faute de ce permis d’enseigner, des imposteurs occupent aujourd’hui leur place et touchent salaires et subventions. Plus que jamais, c’est le rôle aussi du Conseil d’Administration de l’Office National du Partenariat en Education (ONAPE) organisme multisectoriel, public, privé, et de la société civile, aux cotés de la toute récente Inspection Générale de l’Administration de l’Education et de la Formation, de donner les grandes directives pour s’assurer que les programmes d'études, le profil des enseignants, l'évaluation et la promotion de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication dans l'éducation, les types de financements correspondent aux besoins du pays. A l’annonce de nouveaux financements nationaux et internationaux pour la riposte au CORONAVIRUS, le rôle du Conseil d’administration de l’ONAPE, aujourd’hui encore non renouvelé, devrait avoir toute son importance pour crédibiliser et rendre transparent le processus. Le Partenariat mondial pour l'éducation (PME) vient d’annoncer qu’il fournira immédiatement 250 millions de dollars pour aider 67 pays en développement dont Haïti à atténuer l’impact des perturbations immédiates et à long terme causées par la pandémie de COVID-19 sur l'éducation. « Les ministères de l'Éducation et les partenaires locaux de l'éducation pourront utiliser ces fonds pour assurer la poursuite de l'apprentissage, en particulier pour les plus pauvres et les plus vulnérables », lit-on dans le communiqué de presse. Haïti fait partie du groupe de pays qui pourront accéder jusqu’à 10 millions de dollars suivant leur requête et après évaluation. Rappelons que la semaine dernière, le PME avait accordé 8,8 millions de dollars à l'UNICEF pour faciliter la préparation des plans de réponse rapide au COVID-19 dans le secteur de l’éducation dans 87 pays. Tout ceci pour dire, que c’est le temps de grandes agitations internationales, nationales et locales autour du futur rôle de l’école qu’il convient de protéger. C’est aussi le temps pour que les acteurs de l’éducation public, privé se parlent et surtout s’ouvrent et consultent d’autres secteurs, car plus ne sera jamais comme avant dans un monde politique, économique et social qui nécessitera une très profonde révolution des mentalités et des relations humaines. Dans ce cas, le pire des confinements serait de confiner les réponses secteur par secteur et que chaque ministère, chaque association patronale, syndicale continue de présenter son plan de riposte, ses propres actions de mitigation et ses résultats. Il faudrait donc que la réponse du secteur de l’éducation soit une véritable réponse nationale et non uniquement « scolaire ». Elle doit être aussi nationale, locale et non uniquement gouvernementale en mobilisant les maires et autres élus locaux ainsi que la société civile et les communautés au sein des « Commissions Municipales d’Education ». Plus que jamais, pour qu’un enfant grandisse, en santé, en sagesse, en harmonie avec lui-même, sa communauté, l’environnement, il faut tout un village. Cette pandémie nous interpelle sur cette profonde révolution des mentalités, ce nouveau sens de la solidarité internationale, nationale, locale pour que reculent toutes ces ignorances, les mauvaises pratiques, les injustices sociales. Bien plus que sauver l’année scolaire, à tout prix, cette trop longue relâche scolaire nous fournit le temps de repenser et de sauver les réformes urgentes qui doivent nous préparer à mieux affronter ce nouveau monde incertain et complexe.