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Le Nouvelliste

Daniel P. Erikson :  pour éviter que 2020 soit pire que 2019 pour Haïti…

Dec. 12, 2019, midnight

1- Le Nouvelliste : Pourquoi avez-vous évoqué «l’apathie» vis-à-vis d’Haïti lors de votre audition au Congrès et appelé les États-Unis à prendre le leadership dans la conception, à côté du Core Group, d’une stratégie pour aider à trouver une issue à la crise actuelle ?  Daniel P. Erikson. : - Il m'est devenu clair qu'Haïti souffre d'une grave crise politique et économique et que le monde extérieur n'y a pas prêté beaucoup d'attention. Pour être honnête, Haïti a été quelque peu hors de l'écran radar parce que les médias américains et internationaux ont été distraits soit par l'administration Trump, soit par une série de crises explosives et de mouvements de protestation dans des endroits comme Hong Kong, l'Irak, le Liban, la Bolivie et le Chili, juste pour en nommer quelques-uns. Cependant Haïti est un cas particulier et il est plus important que les États-Unis, l'Europe, l'Amérique latine, les acteurs internationaux s'engagent à trouver une solution. Je pense que la crise politique se poursuivra jusqu'en 2020. C'est pourquoi je pense que les États-Unis ont besoin de relancer les efforts diplomatiques à travers le Core Group pour commencer à aider Haïti, à créer une voie de sortie de la crise. 2- Le Nouvelliste : Certains peuvent penser que vous appelez à une intervention, une de plus, avec peu de considérations des échecs des Etats-Unis et de la communauté internationale en Haïti. Daniel P. Erikson :-  Ma recommandation n'est pas une recommandation pour une «intervention» internationale en Haïti, encore moins dans un sens militaire. Haïti est un pays souverain et les dirigeants et le peuple haïtiens sont en fin de compte responsables des succès et des échecs du pays. Haïti est sans aucun doute un pays qui connaît un conflit interne de plus en plus intense et la diplomatie internationale peut aider à faciliter une résolution. 3- Le Nouvelliste : -Lors de votre déposition par-devant la commission des Affaires étrangères du Congrès américain, vous avez souligné la situation dramatique de l’économie haïtienne, entrée en récession, alors que le pays compte des millions de pauvres et tant de candidats à l’exode. Qu’est-ce que la communauté internationale devrait faire précisément pour aider au recouvrement de l’économie haïtienne ?  Daniel P. Erikson. : - Haïti a besoin de la croissance économique, grâce au commerce, à l'emploi, à la fabrication, à la production agricole et au tourisme. Alors qu'à court terme le peuple haïtien peut avoir besoin d'aide, à long terme l'aide n'est pas la solution et peut en fait créer de nouvelles dépendances. La communauté internationale doit rééxaminer les pratiques commerciales qui peuvent revitaliser l’économie agricole haïtienne, puis développer l’infrastructure pour soutenir la fabrication et l’économie du savoir. 4- Le Nouvelliste :- Que pensez-vous du président Jovenel Moïse et des appels pour qu’il quitte le pouvoir? Daniel P. Erikson- : Je n'ai pas pris position sur la question de savoir si le président Moise devait rester ou partir, et je n'ai pas l'intention de prendre position, bien que cela puisse bien sûr changer au fur et à mesure que les événements se déroulent. En fin de compte, la résolution de ce conflit est de la responsabilité des acteurs politiques haïtiens. Il est clair que le gouvernement pourrait prendre des mesures immédiates pour améliorer la transparence et créer un gouvernement plus stable et responsable. Dans le dernier rapport Freedom in the World publié en 2019, Haïti est classée 41 sur 100 pays décrit comme «partiellement libre». En Amérique latine, seuls le Nicaragua, le Venezuela et Cuba ont des scores inférieurs. Haïti devrait travailler à l'amélioration de sa démocratie, mais les choses iront dans l'autre sens si le président commence à gouverner par décret. 5- Le Nouvelliste : Que pensez-vous de la politique de l’administration Trump en Haïti ? Daniel P. Erikson. : - À mon avis, la politique étrangère des États-Unis à l'égard de tout pays en détresse peut être jugée de quatre manières : ignorer le problème, surveiller le problème, gérer le problème et essayer de le résoudre. Je pense qu'en 2018, la politique américaine est passée de l'ignorance d'Haïti à la surveillance d'Haïti. En 2019, les États-Unis sont passés à nouveau de la surveillance du problème à la tentative de gestion du problème, comme l'indiquent les récentes visites de haut niveau. Je crois qu'en 2020, les États-Unis doivent à nouveau changer de position, de la gestion du problème à la résolution du problème. C'est pourquoi je pense qu'Haïti doit être remise à l'ordre du jour américain, régional et international. Sinon, 2020 sera comme 2019 - mais pire pour le peuple haïtien. Propos receuillis par Roberson Alphonse *Daniel P. Erikson est un ancien conseiller au département d’Etat et à la Maison-Blanche entre 2015 et 2017. Il a travaillé sur l’hémisphère Ouest et sur des dossiers de sécurité nationale. Il a aidé l’administration de Barack Obama dans la mise en place d’une assistance de 750 millions de dollars en faveur de pays de l’Amérique centrale et supporter le processus de paix en Colombie. Il a travaillé au département d’Etat de 2010 à 2015 et reçu en 2017 une haute distinction du département d’Etat pour son travail en Amérique latine. Académique, Daniel Erikson a publié plusieurs ouvrages ayant reçu des distinctions diverses et contribué à la rédaction d’autres ouvrages. Actuellement, il est consultant sur l’Amérique latine et la Caraïbe.