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Le Nouvelliste

Un genou à terre en Amérique ; rien voir, rien entendre, rien dire, la posture haïtienne

June 5, 2020, midnight

Mouvement parti des États-Unis, puis popularisé dans le monde entier, des hommes et des femmes, de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes les teintes de peau, ont mis un genou à terre pour reprendre le geste initié en octobre 2016 par le footballeur américain Colin Kaepernick. Kaepernick, ce jour de match de football américain, avait refusé de se lever durant l'hymne national américain et avait mis un genou à terre. Il dénonçait déjà l’époque des meurtres de Noirs par des policiers blancs. Pour les mêmes raisons, cette fois après l’assassinat le 25 mai 2020 de George Floyd à Minneapolis, les États-Unis d’Amérique, pays idéal, pays référence, pays où chaque Haïtien espère être accueilli et avoir pour allié, mais pays que les Haïtiens adorent détester, a un genou à terre, depuis plusieurs jours. L’Amérique a un genou à terre pour protester, un genou à terre pour demander pardon, un genou à terre parce que l’Amérique est ébranlée dans toutes ses composantes par cet énième crime raciste commis par des policiers en service. Macabre ironie, c'est avec son genou que le policier a tué Georges Floyd.  Plus de huit minutes, huit minutes et quarante-six secondes insoutenables ont été filmées pendant lesquelles on voit un officier de police blanc écraser de tout son poids sous son genou la nuque d’un homme noir étendu sur le ventre, menotté, maîtrisé. Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il n’y a aucune différence entre ce que l’on peut voir sur cette exécution filmée en direct, en pleine rue, et les atrocités du temps de l’esclavage rapportées par l’histoire ou les expéditions contre les Noirs jusque dans les années 60 du siècle dernier. La grande différence est que cela ne se passe pas au XVIIIe siècle, ni en 1960, mais aujourd’hui, au cœur d’une grande ville américaine. En plein XXIe siècle, le Noir est moins que du bétail et le Blanc jouit de tous les droits et s’octroie même le pouvoir d’humilier et de tuer à sa guise aux États-Unis d’Amérique. Au cours de l'exécution de George Floyd, le bourreau se fiche d’être filmé et reconnu, ses collègues le laissent faire comme si cette mise à mort était un acte banal. Et comme si de rien n’était, tous les agents de police impliqués dans le crime ont paisiblement dormi dans leur lit ce soir-là. Il a fallu que des milliers de femmes et d’hommes indignés se mettent en marche, que les États-Unis plient sous le fardeau de la honte et de la colère, que du monde entier monte la clameur de la désapprobation pour que les autorités judiciaires se mettent en branle et activent les procédures de mise en accusation des fautifs, assassin et complices. Une semaine plus tard, les États-Unis d’Amérique continuent d’être agités par des mouvements de protestation et des hommes et des femmes du monde entier posent un genou à terre, geste qui est devenu le signe de ralliement de ceux qui désavouent ce crime et tous les autres passés et à venir dans une société raciste où la vie des uns n’a pas le même prix que la mort des autres. L’Amérique en révolte a lavé l’affront commis par l’Amérique coupable, par l’Amérique qui se tait, approuve ou refuse de condamner la cynique monstruosité.  L'Amérique dans les rues a rejoint l'humanité dans son meilleur pendant que l'Amérique coupable a fait le dos rond sous un manteau d'arrogante indécence.  L’Amérique est apparue cette semaine déchirée, aveuglée par son incapacité à déterminer le bien et le mal sans passer les faits dans le tamis de la partisannerie.  Le pays États-Unis a déçu plus d'un en se laissant voir tel qu'il est. L’Amérique, sourde aux cris de ses fils et à l’histoire, inquiète tous ses amis, tous ses alliés et alimente les bas instincts de tous les autocrates en herbe ou en puissance.  George Floyd est mort comme beaucoup avant lui et monte la triste chanson « Strange fruit » de Billie Holiday.  Près d'un siècle plus tard, les fruits étranges de l'Amérique sont tombés des arbres, poussent sur le bitume. Une pluie de balles ou le poids d'un genou a remplacé la corde, et l'Amérique continue de nous étonner par la capacité de résistance de ses citoyens et par les très mauvais exemples qu'elle projette.    La mise à mort des plus faibles par tous les moyens, sous les balles ou par la misère est une construction des sociétés. Aux USA, les Noirs croupissent au bas de l’échelle. En Haïti, hier les paysans, aujourd’hui les citoyens des quartiers pataugent au bas de l’échelle et meurent dans les mêmes conditions ignominieuses. Aux États-Unis, les genoux se plient. En Haïti, les yeux se ferment, personne ne veut entendre et rares sont ceux qui en parlent. Le racisme a plusieurs nuances. Plusieurs couleurs. Plusieurs motivations. Partout, il cible l'autre, celui qui est différent, le plus faible. Haïti n'échappe pas au fléau.  Frantz Duval