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Le Nouvelliste

Vienne la chance de parler pays

Feb. 4, 2021, midnight

Jovenel Moïse bloque encore l’horizon. Mais cela ne semble plus pouvoir durer longtemps. Il nous aura fait perdre du temps, de l’argent, et surtout des vies. Sa détermination dans l’inacceptable et ses obsessions nous auront contraint à parler « politique » au sens d’une lutte pour désinstaller un pouvoir et en installer un autre, provisoire, qui permettra la tenue de véritables élections. Si, dans cette bataille, des hommes et des femmes politiques, du militant de base au dirigeant de parti, ont montré un courage qu’il faut saluer, on a pu remarquer que, souvent, des politiques n’ont fait que citer le peuple : demande de procès, demande de respect de la Constitution, demande d’une vraie lutte contre l’insécurité et la criminalité, demande d'amélioration des conditions de vie de la majorité… Dans les propositions pour fixer les obligations d’un éventuel gouvernement de transition, toutes les feuilles de route se ressemblent. Certes, il y en a qui penchent plus à droite que d’autres, tel groupe obsédé par la protection de la propriété privée et « les conditions » pour favoriser les investissements privés, tel autre plus porté sur les questions sociales. Conjoncture oblige, toute feuille de route ne peut être qu’un compromis, trop chargée et jamais assez. Mais il reste que Jovenel Moïse, à force de mal faire et de dépenser son énergie à essayer de se maintenir au pouvoir, nous a amenés à nous détourner quelque peu de l’essentiel : transformer les conditions d’existence de ce peuple et transformer cette société vers plus de justice sociale et d’équité. Cela ne peut se faire qu’en partant d’analyses solides de la réalité, d’une intelligence sociale ouverte sur tous les domaines d’activité. La politique, c’est aussi penser cela. Et dans le concert légitime de protestations contre la folie Jovenel Moïse, des voix, qui ne sont pas égales dans leur intelligence des affaires du pays, sont mises à égalité. Ce n’est pas une vision technocratique ni intellectualiste de l’action politique que de demander aux politiciens ce qu’ils savent du pays et quelles sont les lignes d’action que leur dicte ce savoir. C’est une expression très à la mode : laisser la politique aux politiques. Certes, on peut insister pour que l’action politique soit conduite par des personnes qui ont fait métier d’y réfléchir, et on peut s’agacer des chanteurs-cryoto-entrepreneurs et autres aventuriers des affaires publiques qui se transforment soudain en dirigeants politiques. Mais on peut, on doit aussi s’interroger sur les politiciens qui ne parlent que pouvoir et desquels on n’apprend quasiment rien sur le pays, les multiples dimensions de sa réalité. L’après Jovenel Moïse ne doit pas être un cadeau aux politiques. Au contraire, il faut que ce soit un temps de mise en demeure pour les politiques : le pouvoir pour faire quoi, selon quelle intelligence de la réalité ? Raison de plus pour que Jovenel Moïse s’en aille au plus vite : forcer ceux qui veulent le remplacer à choisir le chemin de la démocratie et surtout à nous prouver leur capacité de parler pays. Et c’est sur ce savoir qu’il faudra désormais fonder nos choix.