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Le Nouvelliste

Les derniers mots de Me Monferrier Dorval

Sept. 18, 2020, midnight

Si, à chaque sollicitation, Me Monferrier Dorval prenait le temps pour planifier ses interventions dans la presse, le jeudi 27 août 2020 quand Radio Magik9 lui a demandé d’être l’invité de Panel Magik vendredi matin, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince n’a posé aucune condition, n’a demandé aucune précision sur l’heure ni le sujet à aborder au cours de l’interview. En seulement 28 secondes au téléphone, le rendez-vous a été conclu. Rien que pour la première question, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince a conservé la parole durant environ six minutes et n’a pas voulu être interrompu. « La question de changement de Constitution n’est pas pour le président. Elle est avant le président. Le pays n’appartient pas au président. Le président est un moment de l’histoire. Moi, je dis qu’on doit changer la Constitution avant les élections et en dehors du Parlement. Nous sommes dans une situation idéale pour le faire. Si l'on veut changer la Constitution avec un Parlement on ne pourra pas faire ce qu’on veut faire. Le Parlement a des pouvoirs énormes, il ne se dessaisira jamais de son pouvoir », a précisé le professeur Dorval. « Quelle que soit l’option choisie, je suis au-dessus de la mêlée, avec ou sans le président. Qu’il s’agisse d’une transition, on doit changer la Constitution. Il y a deux camps en conflit : le pouvoir et l’opposition. Il n’y a pas une opposition au pays, il y a des oppositions. Moi, je ne suis d’aucun camp », a-t-il affirmé, soulignant que les deux camps veulent changer la Constitution avec des appellations différentes. « On doit considérer cette année comme l’année zéro pour mettre de l’ordre et organiser le pays dans tous les sens. Haïti a un problème d’État. Haïti ne fonctionne pas comme État. L’État d’Haïti est dysfonctionnel, l’État d’Haïti n’est pas au service des citoyens, l’État d’Haïti ne remplit pas sa mission. Il faut changer l’État, on doit passer à un État régional… », a soutenu le professeur en droit constitutionnel. Dans ce changement de l’État et dans ce changement de Constitution qu’il a prôné, Me Monferrier Dorval a plaidé pour l’élimination du poste de Premier ministre. « Nous avons besoin d’un exécutif monocéphale et d’un Parlement bicaméral », a-t-il soutenu. Pour le spécialiste en droit constitutionnel, le président de la République, une fois élu, peut former et installer son gouvernement. Selon Me Dorval, le président n’a pas à prêter serment devant le Parlement, mais devant la population.  « Nous donnons l’impression que nous sommes incapables de diriger le pays », a-t-il tancé. Interrogé sur les démarches du chef de l’Etat pour organiser un référendum sur la réforme de la Constitution, Me Monferrier Dorval a répondu en ces termes  : « Prezidan an gen afè pa l, mwen gen afè pa m. Mwen pa pale pou prezidan. Mwen pa ka di prezidan an sa pou l di, prezidan an pa ka di m sa pou m di tou. Pa gen moun ki ka di m sa pou m di. » Selon le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, « il y a deux voies pour modifier la Constitution : la voie constitutionnelle qui est la voie parlementaire, une voie compliquée qui est la voie extra-constitutionnelle… » Le premier des avocats de Port-au-Prince a souligné que l’amendement de la Constitution sous l’administration de Préval a été un amendement minimal. « Ce n’est pas ce que le président Préval avait voulu faire », a-t-il ajouté. « Nous avons perdu cette fierté d’être haïtien. Les gens qui nous dirigent ne nous rendent pas fiers d’être Haïtiens. Le pays n’est ni gouverné ni administré. Il n’existe pas de partis politiques en Haïti capables de m’intégrer, les partis n’ont pas d’idéologie, ils n’ont pas de projets pour le pays », a fulminé le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince. Pour le professeur Dorval, la Constitution est inapplicable. Me Dorval n’est pas favorable à une assemblée constituante pour changer la Constitution.  « Il nous faut une équipe pluridisciplinaire composée non seulement de juristes-constitutionnalistes, de juristes-publicistes, de spécialistes en droit international public, droit international privé… Il vous faut aussi des gens qui ne sont pas des juristes comme des politologues, des sociologues, des historiens, des légisticiens, des grammairiens, des anthropologues, des ethnologues, des géographes… », a-t-il énuméré. Parmi les changements à apporter dans la nouvelle Constitution, Me Dorval a évoqué la question de la décharge qu’il faut retirer des mains du Parlement pour la transférer à la Cour des comptes. « La décharge ministérielle devient une arme politique et de blocage », a-t-il dénoncé, soulignant qu’il faut changer aussi la procédure d’amendement de la Constitution, entre autres. Interrogé pour savoir s’il a été contacté par le pouvoir sur le changement de la Constitution, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince a répondu en ces termes : « N’importe qui peut m’appeler. N’importe qui peut me consulter. En tant que bâtonnier, je suis dans une position centrale. Si je défends les avocats, c’est l’intérêt du pays qui m’intéresse actuellement.» Me Dorval a dit assumer toujours ses positions. « Me Dorval n’est pas au service de lui-même. Je ne m'appartiens plus, j'appartiens au pays. Je fais le sacrifice de ma vie pour servir le pays. J'aime ce pays. Nous avons une grande histoire ». C’est en ces termes que le professeur Monferrier Dorval a conclu la dernière intervention publique de sa vie.  Monferrier Dorval a été assassiné chez lui quelques heures après cette interview sur Radio Magik 9.