Le Nouvelliste
Jovenel Moïse : « J’assume les passifs d’aujourd’hui »
Aug. 28, 2020, midnight
Le fait est assez rare pour être souligné. Le président Jovenel Moïse, lors d'une rencontre, vendredi 28 août, à la Banque de la République d'Haïti (BRH) sur « la maîtrise de l’inflation et la stabilisation du taux de change », a assumé les passifs au niveau macroéconomique. « J’assume les passifs d’aujourd’hui », a-t-il reconnu après trois ans et demi de présidence marqués par des convulsions politiques, la recrudescence de l’inflation (plus de 23 %) et par la dépréciation de la gourde qui a flirté avec les 125 gourdes pour un dollar avant la mise à disposition de 150 millions de dollars sur le marché des changes par la BRH début août. Le président Moïse, lors de ce mea culpa, n’a cependant pas manqué de souligner que des problèmes structurels qui ne datent pas d’aujourd’hui se sont aggravés. À l’encre forte, le chef de l’État a aussi souligné que sa volonté de « crever l’abcès », de libérer l’État s’est achoppée à des menées déstabilisatrices d’oligarques « corrompus », des « groupes dangereux » aux « pratiques démoniaques ». « Le peyi lòk » a été imposé par des oligarques corrompus », a assené le président. Jovenel Moïse, maître de sa narrative, sélectif dans les responsabilités à assumer, n’a pas évoqué les décisions aux effets désastreux de son administration dont la dédollarisation en mars 2018, la décision d’effectuer des augmentations significatives des prix des produits pétroliers ayant provoqué des casses les 6 et 7 juillet 2018 et encore moins l’ultime confrontation avec l’opposition au Sénat en septembre 2019 autour de la ratification du Premier ministre Fritz William Michel qui s’était greffée sur une énième rareté de produits pétroliers. Le passif de sa gouvernance politique soigneusement gommé, le président Jovenel Moïse, avec une crise institutionnelle sur les bras, sans Parlement, sans CEP et sans accord politique en vue avec l’opposition, a évoqué le « plan de relance économique 2020-2022 » en cours de préparation. Le chef de l'État n’est pas rentré dans les dudit plan. L’inflation, entre-temps, flirte avec les 24 %. Sans le revendiquer, le président Jovenel Moïse a semblé surfer sur le petit succès d’un coup de frein à la dépréciation de la gourde. La BRH, en vendant au 26 août 47 millions des 150 millions de dollars américains disponibles jusqu’à la fin de l’exercice, a donné un petit parachute à la gourde. Le taux de référence de la BRH indique qu’il faut 118 gdes 76 pour acheter un dollar le 26 août contre 121 gdes 17 le 10 août. Pour maîtriser la dépréciation et l’inflation, le président Moïse croit qu’il faut une répartition équilibrée des 150 millions de dollars. En d’autres termes, que les entrepreneurs de la province puissent trouver des dollars en cas de besoin. L’État, a par ailleurs soutenu le président Moïse, doit avoir un œil à la fois sur l’argent qui circule dans le pays dont les 3,6 milliards de dollars américains annuel de transfert de la diaspora et sur l’argent utilisé pour importer des produits de la République dominicaine. L’État doit contrôler, a-t-il ajouté, appelant l'UCREF (Unité centrale de renseignements financiers), l’ULCC (Unité de lutte contre la corruption) et la BAFE (Bureau des affaires financières et économiques) à se mettre au travail. Avec 651 millions de dollars de réserve nette de change, la BRH ne fait pas de mystère sur sa volonté de continuer à utiliser les réserves -dont l’une des vocations est de protéger la monnaie nationale pour casser la spéculation et les anticipations négatives. Cependant, le gouverneur de la banque centrale, Jean Baden Dubois, a, une nouvelle fois, souligné que la maîtrise de l’inflation et la stabilisation du taux de change n’incombe pas uniquement à la BRH. Le pays n’a toujours pas agi efficacement sur le déséquilibre de la balance commerciale. Le pays importe pour près de cinq milliards de dollars et exporte pour près d’un milliard. Ce sont les transferts de la diaspora qui permettent de diminuer ce gap. Reste que 70 % des produits consommés dans le pays sont importés, a souligné Jean Baden Dubois qui n’a pas écarté l'idée que plus de 60 % des dépôts dans le système sont en dollars, la monnaie refuge pour les épargnants.