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Le Nouvelliste

Rien que pour le Printemps de l’Art, deux belles journées d’excursion avec l’agence Citadelle

Jan. 25, 2021, midnight

Sautons plusieurs étapes. On y reviendra. Revenons au samedi 23 janvier. 9 heures du matin. La colonie de visiteurs bien escortée, guides, agents de la PNH, une nuée de journalistes pour cristalliser l’instant, occupent la maison Dufort de la rue du Travail. Ceux qui visitent pour la première fois cet édifice en gingerbread félicitent la FOKAL pour sa vision qui participe à la dynamique de sauvegarde du patrimoine architectural gingerbread du Bois-Verna. Cet espace accueille l’âme de ce printemps : « Rèl », une exposition fascinante qui met en vedette neuf stars : Celeur, David Boyer, Dubréus Lhérisson, Guyodo, Johnny Cinéus, Killy, Max Grégoire Benjamin, Paskò et Pascale Théard. Pourquoi ajouter Pascale Théard ? Durant deux jours d’affilée, le nom de cette scénographe a résonné. Que vous alliez à Galerie Monnin, aux Ateliers Jérôme, à Kalewès, Festival Arts, à la Galerie trois visages, dans la cour chez les Frères de l’instruction chrétienne, celui-ci résonne. Pour peu, si vous n’aviez pas visité l’exposition à la maison Dufort, vous auriez pu croire qu’elle a aussi accroché une œuvre dans le décor. Pour la 247e exposition du Centre d’art, une institution mythique créée en 1944, le paquet est mis. Guyodo, que je n’ai pas rencontré jusqu’à présent, aurait dit, pour reprendre son expression à l’exposition Haïti, deux siècles de création artistique au Grand palais : « C’est énorme ! » Guyodo dans les yeux et dans le coeur Guyodo domine l’exposition. Cinq jours auparavant, j’avais rencontré des enfants, des lycéens, ils étaient baba, fascinés, ne trouvait pas de mot devant les œuvres de l’artiste. Ils disaient « Sa sa ye sa? Avèk ki sa yo fè sa ? » « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui entrent dans la composition de ça ? » Le jeune guide, servant de médiateur, répondait aux questions. Les enfants qui ont avoué avoir mis le pied dans une exposition pour la première fois ont jubilé et ont voulu rencontrer Guyodo pour apprendre son métier. Divers languages expressifs à la maison Dufort Les pièces de Max Grégoire Benjamin ont fasciné les enfants autant que la colonie. On appréciait le génie de ce virtuose de l’art de la récupération. À partir d’« epeng titèt », de bijoux incrustés dans du bois, il a réussi à créer des étoiles diverses. Ces formats stellaires mettent en valeur les esprits vodou dans des tracés religieux, des codes scripturaux que sont nos vêvê. Patrick Ganthier dit Killy intriguait. Les encres et acryliques sur toile (monotype) de l’élève de Jean-Claude Garoute suscitait des questions. Pourquoi les mêmes têtes reviennent ? C’est lancinant. Les acryliques sur toiles de Pierre-Pascal Mérisier, alias Paskò mobilisaient les regards. On voulait avoir l’artiste sur place pour répondre à plusieurs questions qui brûlaient les lèvres. Ces plantes sorties tout droit de l’imaginaire de Paskò alimentaient des idées.  De questions en questions, on aurait pu s’éterniser à la maison Dufort. Boby Chauvet, en métronome, mesurait le temps, la cadence de l’excursion. Il fallait traverser l’espace au pas de course. On découvrait David Boyer et ses poupées confectionnées à partir d’une technique mixte qui inclut boutons, chiffons, paillettes et autres matériaux hétéroclites qui nous font suivre les pas de Dubréus Lhérisson. L’univers vodou est là avec Erzulie et les cavaliers Ogou Chango, Ogou Balenjo et Saint-Jacques Majeur. Mèt Kafou aux yeux étincelants dans la nuit est là.  Si Dubréus était présent, je n’aurais qu’une question à lui poser : est-ce que la scénographe a arrangé dans l’ordre les esprits vodou ?  Au Grand Palais, à Paris, devant les pièces ruisselantes de paillettes dressées dans une belle mise en scène, Dubréus s’était confié à moi : « Mezanmi gad sa blan fè? Se pa konsa yo ranje lwa yo. Gade kote l mete mèt kafou? » Lorsque je demande à un expert qui passait par-là pour lui raconter ce qui se passe, l’artiste a répondu : « Ça va, ça va. C’est bien. C’est de l’art. » Les sculptures de Jhonny Cinéus autant que celles de Benjamin et de Dubréus parlent le langage vodou avec des accents personnels. Bois, pierre, toile, décoration, miroir signent l’univers des lakou où il a grandi. Ils rendent dans leur subjective vérité l’expression de l’imaginaire d’un enfant qui a grandi à l’ombre du houmfort de ses parents. Dans la cour, les sculptures de l’incontournable Celeur Jean Hérard attirent les photographes. On veut se poser devant ces pièces géantes représentant des oiseaux travaillés dans du bois et posés sur des socles de carcasse de ferraille vomis par la ville. Celeur, le fondateur du collectif Atis Rezistans de la communauté d’artistes de la Grand-Rue, est, aux côtés de Guyodo, d’André Eugène, des passeurs de tradition. Ils incarnent l’idée que l’ordre peut sortir du désordre, pour reprendre la conception de l’écrivain russe, Illya Prigogine « L’ordre naît du chaos ». Lorsque Manno Charlemagne, maire, de son État, avait transformé, à l’époque, l’espace où vivaient ces jeunes démunis, en dépotoir, c’est parce que la République n’avait que ça à offrir aux gens de la marge. Ils ne sont pas laissés abattre. Armés de leur imagination, Celeur, Guyodo, Eugène se sont lancés dans l’art de la récupération. Cette aventure les a menés au grand Palais. Lorsque je raconte à certains visiteurs que ces messieurs du ghetto de la grand-rue ont exposés au Grand Palais, à Paris, des yeux se sont arrondis d’étonnement. En effet, c’est aussi cela l’esprit d’Haïti, le Printemps de l’Art. Mettre en valeur nos artistes. Ils ont travaillé, c’est au public d’être sensible à leur création. Facile à dire.  Durant deux jours d’excursion, galeristes, artistes et visiteurs se sont passés le mot. Il faut toute une éducation pour amener les gens à prendre conscience que Haïti n’est pas pauvre. Dans les ghettos autant que dans les beaux quartiers, la richesse sommeille dans l’humus de la culture. L’homme, porteur de culture, est créateur et créature de sa culture. Il suffit de peu, d’une étincelle pour que tout s’éveille. Haïti n’a pas que la folie à répandre en raz-de-marée dans toutes les couches de la société. Si la conscience est toujours conscience de quelque chose, pour reprendre le philosophe allemand Husserl, nous n’avons pas conscience de l’enfer qui nous attend à l’horizon.  Peut-on encore cheminer dans cette détresse où l’espoir n’est plus permis ? Aux Ateliers Jérôme, rue Rébecca, Pétion-Ville, plusieurs guides voyagent avec nous au pays de l’art. L’espace n’est pas grand. On se bouscule un tout petit peu. On est environné de micros, de caméras de journalistes. J’ai envie d’être un peu seul pour avoir les tableaux à moi, rien qu’à moi. Après le départ de la colonie, je reste avec les galeristes, l’un d’entre eux devient mon guide pour un instant. Péguy Jérôme échange avec moi autour de l’exposition Rythmes et couleurs. On s’attarde sur Pascal Smart, ces grandes surfaces de la collection empreintes. Nos interprétations se rejoignent dans ces abstractions qui nous donnent l’opportunité d’ouvrir le champ de nos explications dans différents angles. Dans ce 48x48 on se dit qu’on est en face d’une explosion de couleurs, de rythmes, de feu. Et pourquoi pas un volcan ? Sur une autre dimension similaire l’artiste traite l’eau. Son acrylique joue avec l’eau dans plusieurs tonalités. L’eau bleu comme la mer endormi, l’eau limpide, l’eau blanche comme l’écume. Et puis on va vers un dialogue entre Sébastien Jean et Pascal Smart. Quel est le message dans cet univers abstrait ? « Le message passe mieux par le non-dit », a écrit Smart à côté de l’une de ses toiles. Haïti, le Printemps de l'Art, à travers deux belles journées d’excursion avec l’agence Citadelle, a offert une occasion unique de découvir les richesses culturelles d'Haïti. Samedi soir, la colonie a fait route vers l'hôtel Karibe pour se plonger dans un autre univers : le jazz. Le festival international de jazz a prolongé la soirée du printemps. C'est si bon, ces petites sensations. C'est merveilleux pour ouvrir l'année.