this used to be photo

Le Nouvelliste

Haïti n’a pas les moyens d’utiliser le revenu universel de base comme mécanisme d’éradication de la pauvreté

May 13, 2020, midnight

À cause de cette situation sans précédent causée par la pandémie, plusieurs pays envisagent le revenu universel comme modèle de transfert monétaire pour aider les ménages laissés sans revenu à faire face à cette crise et pallier les pertes d’emploi dues aux mesures de confinement et à l’arrêt des activités. En Haïti, à cause de la situation d’extrême pauvreté qui sévit, l’Etat se retrouve avec peu de moyens pour se lancer dans un programme de revenu universel de base. C’est ce qui ressort de la présentation « Le Revenu universel de base comme mécanisme d’allocation monétaire ou ration sèche dans le contexte de la pandémie de Covid-19 » effectuée par Jean Marie Cayemite et Ludmilla B. Allien, deux cadres de la direction monnaies et analyses économiques de la BRH, lors de la 5e édition du Sommet de la FinTech le 30 avril dernier organisée par le Group Croissance et ses partenaires. Une définition unique du revenu universel de base n’existe pas. Toutefois, Jean Marie Cayemite a précisé qu’il s’agit généralement d’une allocation régulière en espèces versée à l’ensemble des membres d’une population sans condition. Avec son caractère universel, individuel et inconditionnel, ce mécanisme constitue, pour les pays à faible revenu comme Haïti, un défi de taille sur le plan budgétaire. « Un revenu universel de base suffisant pour éradiquer la pauvreté coûterait environ 45% du PIB haïtien, soit 284,3 milliards de gourdes en considérant le PIB nominal de 2018 », a fait savoir Jean-Marie Cayémite, affirmant que ce mécanisme n’est pas budgétairement soutenable en Haïti à cause de la situation de la pauvreté endémique. En effet, de 1961 à 2018, le taux de croissance moyen annuel du PIB en Haïti n’a été que de 1.4%, alors que la population totale a progressé de 1.8% sur la période. L’Enquête sur les conditions de vie des ménages après séisme (ECVMAS), réalisée en 2012 par l’Institut haïtien de statistique et d'informatique (IHSI), a estimé officiellement le taux de pauvreté modérée à 58,5 % (soit 6,3 millions d’Haïtiens) contre 23,8 % pour la pauvreté extrême (2,5 millions de personnes), dont un total de 67% de ces personnes pauvres vivant dans les zones rurales. Pour pouvoir évaluer la pauvreté en Haïti, l’ECVMAS a établi un seuil alimentaire évalué à 41.6 gourdes par tête et par jour (1 dollar), et 81.7 gourdes (2 dollars) avec l’ajout d’une composante non alimentaire. À défaut de consentir une dépense de l’ordre de 45% du PIB pour éradiquer la pauvreté, selon le seuil susmentionné, les autorités pourraient, comme possible alternative, assurer un revenu universel de base tout au moins égal au transfert moyen reçu par les bénéficiaires actuels des programmes sociaux. « Dans ce cas, le coût total du revenu universel de base se chiffrerait à 4% du PIB, ce qui tout de même correspondrait à 25,3 milliards de gourdes en considérant le PIB nominal de 2018 », a calculé Jean-Marie Cayemite, estimant qu’à la place d’un revenu universel de base, dans le cas d’Haïti, des allocations monétaires ciblées sont plus envisageables. Suivant le modèle mis en place avec succès en Ethiopie et au Rwanda. Par ailleurs, « les programmes existants, malgré leurs déficiences en termes de ciblage, couvrent une part relativement plus large de la population extrêmement pauvre », a reconnu le cadre de la BRH au moment de présenter les résultats du revenu universel sur la pauvreté. Globalement, pour l’année 2014, environ 2 millions d’Haïtiens étaient touchés par au moins un programme social sous forme de transfert en espèces ou en nature. Le PNUD en 2017 a recensé 22 programmes de transferts monétaires immédiatement après le cyclone Matthew. « Au final, les années 2014 et 2017 sont importantes pour comprendre la dynamique entre les programmes sociaux, les importations et la production », a souligné Ludmilla B. Allien, notant qu’entre 2011 et 2017, la croissance du volume des biens agricoles importés était de 16% contre 2% pour la production agricole au niveau local. « Pour le niveau du volume des importations, il est possible que les programmes de transfert de fonds et d’aliments aient pu jouer un rôle durant la période considérée », a poursuivi Ludmilla B. Allien, considérant l’ampleur du programme panye solidarite (1.8 million de personnes), pour ne citer que celui-là, et du plan de riposte des organisations internationales après le cyclone Matthew ont été assez considérables pour impacter les importations de produits agricoles, à côté des transferts privés sans contrepartie.