Le Nouvelliste
DERNIERS MOTS A MON AMI EDDY ARNOLD JEAN
Jan. 3, 2020, midnight
Tôt dans la matinée de Mercredi dernier j’ouvre mon télephone sur un appel manqué de mon frère Antony. Un appel de mes proches le matin est toujours angoissant car ils savent tous que je suis un couche tard -lève tard. Un peu inquiet, Je m’empresse de retourner l’appel et j’apprends la mort de mon ami EDDY ARNOLD JEAN !... Quelques jours auparavant je parlais de lui à un autre ami de quelques souvenirs de son séjour à NEW YORK , d’un peu de littérature et surtout de quelques aventures de jeunesse. Sa mémoire et les divergences de nos trajectoires avec ses detours , hiatus et impondérables m’ont hanté toute la semaine dans l’une de ces retrospectives qui assainissent l’esprit, enlèvent les certitudes, nous déniaisent comme dirait Trouillot. Eddy, en ce matin de Décembre, la finitude, L’unique point de partage et de solidarité dans notre humanité partout devastée a croisé ton chemin. Toi l’ami, le penseur, le professeur, l’intellectuel et tout le reste... en un instant la finitude fait de ce bouquet une offrande au passé. Tu es parti de ton pays. Tu ne saurais choisir le moment mais pour ce dernier voyage tu avais longtemps déjà fixé le point de départ. Tu es parti de ton pays, ton pays que tu avais juré de ne plus laisser. Ton choix était decisif et sans appel. Tu aurais pu être n’importe où un enseignant respecté. Avec peu d’efforts tu aurais pu être un professeur à l’université de Montréal ou ailleurs... Mais tu as choisi de retourner a l’Alma Mater, de lier ton futur au destin d’un pays où on fait souvent du savoir un linceul. Pourquoi es tu revenu avec tant d’enthousiasme au pays qui a crevé sans regret et sans remous les yeux à l’intelligence d’un Jacques Stephen ALEXIS? Pourquoi revenir au pays qui a claqué hautainement la porte au nez d’un Antenor Firmin? Pourquoi? Et pourtant je le sais: tu savais très clairement les termes de l’équation. Pour tous ces hommes qui comme nous arrivent à l ’age adulte avec pour toute fortune rien d’autre que dans la tête un certain sens du Vrai, du Beau et du Juste. Joyaux précieux mais fragiles et lourds à porter dans le “NAGÉ POU SOTI”; si lourds que beaucoup s’empressent de se débarasser au moins d’un, parfois de deux et trop souvent des trois. Tu le savais trop bien que pour nous autres le choix n’était jamais entre l’exil et le royaume mais entre la fuite et cette précarité corrosive avec les risques de subir l’indolente érosion de toute fidélité à la Vérité à la Beauté et à la Justice face à la Bétise toujours gagnante quelque soit sa parure. Pourquoi? Simplement parce que c’est ton pays et tu l’aimais sans savoir pourquoi, et comme déjà disait Stendhal: “l’Amour avec le grand A ne connait pas le Pourquoi”. Notre equation existentielle reste sans solution. Nos capitulations et nos combats finissent sans Victoire et sans défaite. Ceux qui restent et Ceux qui partent. La valse macabre continue dans le cimetière de nos espérances bafouées, espérances de toute une generation, ou plutôt de chaque génération. Tu es revenu simplement parce que tu aimais ce pays et pas seulement pour son soleil, ses plages toujours tièdes, son bon rhum et ses belles femmes (Pardon je me suis peut-être trompé sur l’ordre des nourritures terrestres). Tu as fait le choix le plus courageux.Tu es revenu sans grand Espoir mais avec beaucoup de Foi. Et cette Foi comme toute autre Foi est toujours une Grâce. Peut -être que tu es parti désemparé devant l’absence de tout determinisme; épuisé devant l’impotence de l’intelligence qui ne cesse de comprendre et d’expliquer sans retrouver l’AGIR (dans le sens d’Habermas que tu m’as fait découvrir durant mon dernier passage en Haïti). Peut-être que tu es parti avec l’espoir qu’un jour tes élèves puiseront dans l’écho lointain de la voix du Maître (sens de G.Steiner) le soufle rédempteur pour nous restaurer un peu de verticalité. Mais la-bas non plus tu n’auras pas d’autre réponse. Peut-être que tout au fond de toi, au delà de la raison tu gardais précieusement un peu de cette lucidité téméraire qu’on rencontre souvent aux carrefours de l’histoire, pareille à celle de Défilée devant les restes abandonnés de l’Empereur, pour faire de ta jeunesse et de tes talents cet acte de foi et de reconnaissance. Pour tout cela, dans le malaise inguérissable de l’absence et de la fuite sans retour, Je te dis Merci. Merci pour ta petite pierre jetée dans l’abime. Quant à moi, je suis encore à New York dans cet hiver que tu détestais tant. Ne t’inquiète pas pour ce voyage tu n’auras pas besoin de manteau; d’ailleurs pour les hommes comme toi il faisait peut-être plus froid à Port-au-Prince car où que l’on soit l’hiver suit toujours l’automne des consciences. N’oublie pas tes grosses lunettes car en ton nom et avec toi je vais ce soir revisiter Maalouf et revivre la tragédie des Désorientés que nous avons été et que nous resterons chacun à sa façon puisque, comme a dit l’autre, “Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même facon”. Merci pour tout ce que tu as donné. Mille Mercis pour tout ce que tu aurais pu encore donner; Et souviens toi que ta main de semeur n’a pas gaspillé la semence, elle a simplement fait à sa Terre le don de l’espoir. Ton ami Bob Jean Robert Latortue Jrl2go@verizon.net Jrl247@me .com