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Le Nouvelliste

2019: Jovenel Moïse a résisté à l’opposition, mais n'a rien construit …

Dec. 30, 2019, midnight

Le président Jovenel Moïse a résisté à trois épisodes de « peyi lòk », fait mentir tous les pronostics qui le donnaient K.O et bouté hors du pouvoir. Contre toute attente, il boucle 2019 au palais. Si le président Moïse a la baraka des bons appuis, Trump et des acteurs du secteur privé, a profité des dérives des radicaux de l’opposition politique, son année de résistance est cependant émaillée d’échecs cuisants. Les objectifs politiques et économiques qu’il s’était fixés lors de son discours solennel à l’occasion de la commémoration  des 215 ans de l’indépendance, aux Gonaïves, le 1er janvier 2019, n’ont pas été atteints.  Retour sur des temps forts d’une année au cours de laquelle Jovenel Moïse a échoué à mettre autour de la table les acteurs, à organiser les élections, à pousser en faveur des amendements à la Constitution et à agir en faveur d’une gouvernance apaisée susceptible d’éviter l’effet Titanic à l’économie et à la nation haïtienne. Impossible dialogue... Contrairement à l’annonce du président Jovenel Moïse aux Gonaïves, 2019 n’a pas été une « année décisive pour la nation ». Le « dialogue national constructif interhaïtien qui doit aboutir à une entente nationale » est resté un vœu pieux.  Des états généraux sectoriels, montés en 2018 avec une mission très large consistant à « créer les conditions pour rendre possibles des changements majeurs dans divers domaines couvrant les quatre grands secteurs d’activité : politique, économique, social et culturel… », au Comité de facilitation du dialogue interhaïtien composé de sept personnalités (certaines ayant fait défection) à la commission de dialogue formée par le président de la République en plein « peyi lòk » en septembre 2019, les positions des protagonistes ne sont pas pour autant rapprochés. Le dialogue, sous Jovenel Moïse, est devenu un peu plus synonyme de ruse. Élections à l’épreuve des jeux de dupes… Le temps a fait mentir le président Jovenel Moïse qui avait indiqué, lors de son allocution à la place d’armes des Gonaïves, que « 2019, c’est l’année électorale au cours de laquelle nous allons réaliser des élections libres, honnêtes, démocratiques et transparentes pour renouveler notre attachement aux principes démocratiques et à la stabilité des institutions républicaines ». Le Parlement sera en dysfonctionnement le deuxième lundi de janvier 2020, le président Moïse pourra diriger par décret. À cause de la non-tenue de ces élections annoncées, des maires de la République sont sur pied de guerre et jurent que seuls des élus pourront les remplacer. Une rhétorique qui arrange les affaires du président qui est sur la même longueur d’onde.  Le président Jovenel Moïse face à la non-tenue des élections a fait plus que Ponce Pilate. Il ne s’est pas contenté de se laver les mains. Il a jeté le blâme sur le Parlement qui, précise-t-il lors de récentes apparitions publiques, n’a pas voté le projet de budget avec une allocation de 40 millions de dollars pour les élections. Le Parlement n’a pas non plus voté la loi électorale, s’est défendu le chef de l’État. Le président n’a pas indiqué que le président de la Chambre des députés, Gary Bodeau, son allié, lui avait renvoyé le projet de budget 2018-2019 pour non-respect de la loi du 4 mai 2016. « Le bureau de la Chambre des députés  retourne la  loi de finances 2018-2019 à l’exécutif, en espérant qu’elle sera reformatée dans le strict respect de la loi du 4 mai 2016, qu’y seront opérés les ajustements stratégiques habiles à lui restituer cohérence et crédibilité et à la rendre conforme aux règles, aux exigences de l’heure et aux aspirations des populations », lisait-on dans une lettre du président de la Chambre des députés, Gary Bodeau, au chef de l’État, Jovenel Moïse, le 23 janvier 2019.   L’analyse profonde, sereine et objective de la « la loi de finances 2018-2019  n’a pas réussi à dissiper les préoccupations de la chambre relatives à la conformité du document » par rapport à la loi, « aux exigences de la conjoncture, aux attentes évidentes des populations», lisait-on dans la lettre du président du bureau de la Chambre des députés. « Le bureau a reçu à la date du 9 janvier 2019 une correspondance de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif par laquelle cette institution spécialisée exprime des doutes profonds sur le respect du cadre légal et réglementaire relatif aux ressources et aux charges, sur la pertinence des mesures à caractère fiscal et douanier, sur la cohérence budgétaire et une inadéquation patente entre les politiques du gouvernement et ces programmes », poursuivait la lettre du président de la Chambre des députés, Gary Bodeau. Amendement de la Constitution, rendez-vous raté… Au rendez-vous de l’amendement de la Constitution, le président Jovenel Moïse et sa majorité présidentielle au Parlement ont été aux abonnés absents. Le président Jovenel Moïse, froid et indifférent par rapport au travail de la commission du député Jerry Tardieu sur les amendements, a, ces dernières semaines, après le temps imparti par la Constitution à l’introduction de toute proposition d’amendement, mis en avant ses inconforts vis à-vis de la loi mère. Il regrette que le président n’ait pas plus de pouvoir. Moins de nourriture dans les assiettes sous Jovenel Moïse Le président Jovenel Moïse qui avait promis de mettre de la nourriture dans les assiettes et de l’argent dans les poches a été démasqué par les indicateurs macroéconomiques qui ont viré au rouge foncé. « C’est aussi une année de lutte acharnée contre la misère et la précarité. C’est pourquoi je demanderais au Parlement de voter le budget 2018- 2019, véritable outil pouvant faciliter l’apaisement social et la relance agricole », avait promis Jovenel Moïse dans son discours le 1er janvier 2019 aux Gonaïves. Il est en poste au moment où l’économie a coulé à pic.  Pour la première fois depuis le séisme du 12 janvier 2010, l’économie haïtienne, impactée par les incapacités à trouver le consensus politique minimal ayant provoqué en partie le « peyi lòk », est entrée en récession avec -1,2 % de croissance, une inflation supérieure à 20 %, la perte de plus de 30 % de la gourde face au dollar. L’économie n’est pas le point fort de Jovenel Moïse, l’homme d’affaires remuant qui n’est pas étranger au dépôt de bilan. Jovenel Moïse dans l’eau Céant… La promesse présidentielle aux Gonaïves que 2019, « l’année de l’entente sacrée, de la concorde patriotique qui nous permettra de récupérer les morceaux de fil et de tissu que Catherine Flon nous a légués, pour recoudre chaque composante de la nation, la rendre plus inclusive, plus juste, plus prospère et plus solidaire ». La barque nationale n’a pas été redressée, la prophétie de Toussaint Louverture ne s’est pas concrétisée. Plus d’un mois après ce discours aux Gonaïves, le président Moïse a été confronté, début février 2019, aux rugissements de la rue qui réclamait son départ. Le manque de leadership du président Moïse a été porté sur la place publique par des hommes d’affaires inquiets. Le chef de l’État, en février 2019, après les manifestations d’octobre et de novembre 2018  portées par le souffle chaud d’une partie de la jeunesse, des petrochallengers et d’autres couches de la population contre la corruption et plus tard pour son départ, s’était trouvé un parfait bouc émissaire en Jean-Henry Céant.  Le Premier ministre en qui le président a perdu confiance, en qui il voit quelqu’un lorgner sa place, a casqué. « … La crise que traverse le pays est très grave. Au mois de juillet dernier, le peuple avait gagné les rues pour demander du changement dans ses conditions de vie. J’ai entendu sa voix. C’est pour cela que j’avais choisi un compétiteur à l’élection présidentielle, le notaire Jean-Henry Céant, comme Premier ministre pour former un gouvernement. Cinq mois après, la crise s’est aggravée et menace la fondation du pays », avait balancé, le 14 février 2019, le président Jovenel Moïse, agacé par l’intérêt porté par Jean-Henry Céant à l’aboutissement de l’enquête de la Cour des comptes sur l’utilisation du fonds PetroCaribe. Jovenel Moïse et la douche PetroCaribe… À ce moment, très peu de gens savait que le président Jovenel Moïse  avait vu plus qu’un épouvantail dans l’enquête de la CSC/CA.  La machine était en marche, le projecteur en passe d’être braqué sur Jovenel Moïse dont la majorité à la Chambre des députés avait pris le soin de décapiter Jean-Henry Céant, au grand dam des alliés du notaire au Sénat dont les positions se sont radicalisées. En juin 2019, la CSC/CA, dans son second rapport sur l’utilisation du fonds PetroCaribe, a accusé Jovenel Moïse, responsable d’Agritrans, ingénieur auto-attitré d’être au cœur d’un stratagème de détournement de fonds ayant lien à des travaux de réhabilitation d’une route en 2014.   L’État a signé deux contrats avec deux entreprises aux noms distincts, Agritrans et Betex. Ces deux firmes partagent notamment le même matricule fiscal et le même personnel technique. «Les deux entreprises ont réalisé distinctement les mêmes ouvrages aux mêmes dates», révèle le rapport de la Cour, qui conclut qu'il s'agit «ni plus ni moins qu'un stratagème de détournement de fonds», dont la trouvaille a été contesté par l’équipe présidentielle. L’appui inconditionnel made in USA Affaibli, le président Jovenel Moïse, qui avait indiqué vouloir se battre contre la corruption, s’était retrouvé sur la sellette. Lâché par des églises et une partie du secteur privé des affaires, le président Jovenel Moïse, après le « peyi lòk » de juin, a pu sortir la tête de l’eau grâce au soutien des Américains, de Donald Trump, de John Bolton (conseiller à la Sécurité nationale) qui est allé jusqu’à donner un brevet de bon leader, de leader clean au président Jovenel Moïse, en mars 2019.  « J’ai hâte que nous entamions une série de rencontres productives avec les leaders de la région caribéenne tels que Bahamas, Haïti, République dominicaine, Jamaïque et Sainte-Lucie aujourd’hui à Palm Beach et à Mar-a-Lago. Ces pays ont choisi la prospérité et la démocratie au détriment de la corruption et de l’impunité », avait tweeté John Bolton avant de rejoindre le président Trump dans sa station balnéaire de Mar-a-Lago. Quelques mois après, Haïti, qui a choisi, selon Bolton, la prospérité, compte plus de 4 millions de personnes en insécurité alimentaire. Au point que le président Jovenel Moïse -qui n’a ni organisé les élections et porté chance à la justice qui n’a encore jugé aucun corrompu- a sollicité et reçu une aide alimentaire d’urgence des États-Unis fin octobre, début novembre. Le seul gros succès politique du président Jovenel Moïse qui n’a ni budget ni gouvernement depuis  les échecs successifs de Jean-Michel Lapin et Fritz William Michel, après la censure de Jean- Henry Céant, est cette alliance avec Donald Trump contre Nicolas Maduro. L’appui politique, venu sans appui financier, a laissé dans la déchéance l’État haïtien, incapable de réduire la subvention des produits pétroliers, d’ajuster les prix à la pompe et incapable d’éponger l’intégralité de sa dette envers les compagnies pétrolières. Cette situation qui a provoqué des raretés et autres difficultés a servi de combustible à l’énième et terrible « peyi lòk », expression, à ses débuts, d’un ras-le-bol d’une gouvernance catastrophique, de la pauvreté, de la violence, de la corruption et d’un président dont l’incompétence est devenue secret de Polichinelle. Jovenel Moïse : sans fard ni maquillage… Le président Jovenel Moïse qui a reconnu avoir trébuché, s’est accroché, a gagné l’opposition radicale à l’usure. La stratégie « peyi lòk », la souffrance en partage, l’arrêt de toutes les activités économiques, sociales, l’appui des Américains ont permis à Jovenel Moïse de reprendre la main sur des adversaires qui ont des revendications et une exigence : pas de dialogue avec le président. Le chef de l’État, protégé par le bouclier Trump, s’est trouvé l’ennemi et la cause. Les fournisseurs privés de courant électrique sont devenus les sacs à boxer favoris d’un président Jovenel Moïse qui a passé presque trois ans au pouvoir sans changer les conditions matérielles d’existence des Haïtiens. Ces proies, loin d’être des brebis, sont plus faciles que l’effort long et éreintant de nourrir la population dont les besoins sont à la base de la pyramide de Maslow. Le président Jovenel Moïse s’est inventé un costume de réformateur. Pour le moment, il n’y a aucune loi, aucun changement notoire pour évaluer l’impact de ces « réformes ». Le président « réformateur », entre-temps, ne se voile plus pour distiller la peur. Il se voit en « coupeur de têtes », en celui qui peut « provoquer des petits accidents » dans le camp qui lui barre la route, qui barre la route au peuple qui, soutient le président, doit avoir « les restes de l’État ». La phraséologie du président Jovenel Moïse inquiète autant que le sont des silences, ici et ailleurs, en des lieux où l’on milite, théoriquement, pour l’État de droit et dit non au retour à ces années de plomb, à ces temps où l’on se parlait en signes. « 2019 s’achève, Haïti se retrouve avec une démocratie orpheline de sens et de perspective », a écrit Frantz Duval. 2020 débutera avec un discours du président Jovenel Moïse. Aucun de nos problèmes n’a encore trouvé solution.   Roberson Alphonse