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Le Nouvelliste

L'Haïtien, son habitat et son bien-être

March 16, 2020, midnight

La capacité de l’homme à s’adapter aux conditions qui l’entourent a constitué un élément fondamental de sa survie à travers les âges et de l’expansion de sa présence sur la planète. Il est le seul être qui soit capable de modifier son milieu au gré de son imagination. Ses facultés exceptionnelles lui ont permis de répondre à ses besoins immédiats, d’améliorer sa situation et de faciliter son lendemain. Son bien-être en dépend grandement. En histoire, en géographie et en ethnologie, la notion d’habitat décrit un mode de localisation et d’appropriation de l’espace par les hommes. C’est la manière dont les différents groupes humains ont habité l’espace selon leur perception de l’environnement naturel qui leur est propre. Elle reflète leurs pratiques par rapport à l’utilisation qu’ils en ont fait, dépendamment de leurs compréhension et moyens. Leur culture et leur histoire en sont imprégnées. Cette notion indique le cadre de vie dans lequel l’être humain évolue, la représentation socioéconomique de son environnement.   Une autre conception intéressante et plus complète veut que l’habitat se caractérise comme des formes de dispersion ou de groupements des habitations de la dissémination des maisons individuelles en milieu rural à la concentration dans les villes ou des agglomérations, en passant par les hameaux, les villages et les bourgs. (Ségaud, Brun, Driant : 2002). La notion d’habitat est ainsi synonyme de peuplement ou d’établissement humain.  En urbanisme et en aménagement du territoire, l’habitat est perçu comme le logement et les prolongements du logis (Merlin, Choay : 2002).  Le concept du logement, l’espace de base de la cellule familiale, configure l’habitat en se prolongeant dans l’espace extérieur. À cet effet, l’habitat doit être associé au logement ainsi qu’aux services de base tels que la fourniture de l’eau et de l’électricité ainsi que le traitement des déchets. L’habitat est également associé aux équipements et infrastructures nécessaires au fonctionnement des structures sociales pour le bien-être humain. Aussi le logement est-il connecté à la rue, au jardin, au quartier, aux services du quartier, de la ville, de l’habitation agricole ou du village. Selon la localisation des communautés dans l’espace, par l’existence des services de base et l’intégration des services de proximité nécessaires à leur confort, l’habitat contemporain traduit la relation qui existe entre les habitants et leurs lieux de vie. Il en est de même pour nous, Haïtiennes et Haïtiens. Notre habitat ou les formes d’habiter en Haïti est la manière dont nous vivons dans nos territoires. Notre habitat transmet les pratiques spatiales liées à notre histoire de peuple, à notre culture nationale, les coutumes de nos différentes régions. Il traduit notre façon de vivre, d’être et d’exister dans l’espace haïtien. Si tel est le cas, il y a donc lieu de se pencher sur les phénomènes de bidonvilisation de nos espaces et de dégradation de nos mégapoles qui se déshumanisent. Le chaos est là : au fil des jours, de plus en plus de familles haïtiennes se retrouvent dans une pauvreté grandissante et doivent faire face à des conditions de vie inhumaines. Quand on considère la promiscuité et l’insalubrité dans lesquelles vivent nombre d’habitants de certains quartiers précaires, on pourrait parler d’habitat indigne. En effet, la santé et la sécurité de ces humbles gens sont à risque, leur vie même étant en danger permanent. Certes, notre manière d’habiter nos lieux de vie dépend de nous, mais les notions élémentaires appropriées ne devraient pour autant échapper à nos techniques de construction des logements et nos méthodes d’occupation des espaces. D’ailleurs, nous devons habiter l’espace en tenant compte de notre environnement. Nous ne pouvons ignorer que notre pays est situé dans une zone sismique et que notre terre tremble ; nous ne saurions continuer à construire dans les ravins, par exemple. Habiter l’espace, c’est être en harmonie avec le génie du lieu. Alors il est essentiel pour nous de décider comment optimiser et maximiser l’occupation de notre habitat et y adapter notre mode de vie, l’habitat humain devant converger de plus en plus vers la santé, la sécurité et le bien-être des personnes. Cependant, pour en assurer une appropriation effective, tous les acteurs doivent être mobilisés : l’État, les collectivités territoriales, les organisations communautaires et la société civile ; chacun selon ses attributions. Bref, chaque citoyen doit s’y intéresser. Toutefois la responsabilité de l’Etat demeure primordiale. Pour rendre le cadre de vie meilleur en Haïti, l’État doit concevoir le développement adéquat des populations, l’habitat moderne étant entendu comme une approche globale, axée vers les besoins divers de l’homme : matériel, psychologiques, spirituels et affectifs. Généralement les responsables s’en acquittent par l’entremise de politiques publiques adaptées et d’interventions d’aménagement planifié. Avec les autorités locales compétentes, l’État a le devoir d’améliorer notre habitat, en milieux urbain et rural, en y introduisant des services de proximité tels que la santé, l’éducation, la sécurité civile, la protection judiciaire et les loisirs. Certainement, on peut entamer cette transformation en assainissant et en embellissant les quartiers comme les zones d’habitation. Cet embellissement comprend, entre autres, l’aménagement des services tels que des espaces de jeux pour enfants ou des centres sportifs verts. On doit penser aussi à cette bonification par l’aménagement des espaces verts et des jardins publics qui prodiguent de l’ombre et donnent une meilleure qualité de vie, particulièrement en milieu urbain. Un autre exemple qui vise une grande amélioration de l’habitat rural, prévoit des interventions telles que l’aménagement de jardins maraichers ou potagers, des cultures vivrières et le développement de pépinières devant contribuer au reboisement. En fait, les interventions sur l’habitat urbain et rural préconisées par l’État et les citoyens doivent s'appuyer sur la recherche de la qualité de vie des différentes couches sociales dans les localités spécifiques. Ces démarches doivent également être supportées par les communautés respectives pour qu’elles s’approprient les aménagements effectués et participent tant à leur protection qu’à leur entretien. Nous devons apprendre à maximiser les atouts et les potentiels de l’habitat dans lequel nous vivons au quotidien et à l’adapter à notre environnement. Nous devons aussi penser des interventions durables et pérennes pour améliorer notre habitat qui soient respectueuses tant de l’environnement que de notre patrimoine. Notre mode d’habiter doit être une réponse aux conditions climatiques et aux risques naturels auxquels le territoire haïtien est exposé. À cet effet, l’État haïtien, secondé par les collectivités locales, doit mettre en place des interventions permettant de développer des zones d’habitat résilient, capables de résister à différents types d’aléas. On ne saurait oublier que l’article 19 de la Constitution en vigueur assigne à l’État haïtien « l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine de tous les citoyens sans distinction, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme ».  De notre côté, nous devons prendre conscience, en tant qu’Haïtiennes et Haïtiens, que façonner nos espaces et améliorer nos lieux de vie doit être une attitude citoyenne qui correspond à nos aspirations de peuple, à notre droit à la poursuite du bonheur. Aménager notre habitat nous interpelle. C’est un devoir civique de s’assurer du développement planifié et intégré de notre pays en vue de l’épanouissement des populations actuelles et pour le bien-être des générations futures.   Chantal V. Céant, experte en sciences sociales Sabine Malebranche, architecte urbaniste  1er mars 2020