this used to be photo

Le Nouvelliste

Ignorance, individualisme sauvage et perte de repères en temps d’épidémie

May 12, 2020, midnight

À Delmas, l’une des communes comptant le plus de cas de Covid-19, un « club »  fait son boucan. Un voisin appelle le « manager ». Réponse : avec le couvre-feu il ne peut plus fonctionner la nuit, alors les gens viennent « fêter »  aux œuvres ouvrables. Il ne lui vient pas l'idée que réunir des gens dans son club-piscine, c’est les mettre en danger. Comme il ne lui est jamais venu qu’en tout temps, à toute heure, le vacarme qu’il fait est illégal. La loi ? Les autres ? Inconnus à cette adresse. L’homme fait pourtant des études universitaires dans une institution privée. Plus loin, plus haut, du côté d’Obléon, il ne pleut pas. Un homme est tabassé par des membres de sa communauté. Ce ne peut être que de sa faute. Vlan pour le faiseur de sécheresse qui a le pouvoir d’arrêter les pluies, de faire monter le mal jusqu’au ciel. Une bande audio qui circule. On entend une voix qui ressemble à celle du Premier ministre, un langage qui ressemble, hélas, à celui du Premier ministre, qui parle d’un ministre pris à coups de pied, traite des citoyens de « salopri », nie quasiment l’existence d’un pays qui s’appellerait Haïti. Le manager du « club » ne sait qu’une chose : il fait « son business », et tout le reste est secondaire. Les paysans de la montagne croient qu’un des leurs, qui doit vivre pourtant dans des conditions difficiles comme eux, a le pouvoir d’assécher le ciel. L’individualisme sauvage et l’ignorance. Du Premier ministre, on est en droit d’attendre un démenti. Est-ce bien sa voix ? Sont-ce bien ses mots ? Il a un exemple à donner, s’il est encore temps de donner des exemples. Car si les deux autres anecdotes témoignent d’un manque de civisme et de savoir et des conséquences désastreuses de tels manques, la bande audio attribuée au Premier ministre, si elle est authentique, témoigne de quelque chose de pire : la perte de repères républicains (attitude, langage) au sommet de l’État. Une telle perte ne peut que renforcer, conforter l’individualisme sauvage et l’ignorance. Le ministre pris à coups de pied n’a pas démissionné ? Le Premier ministre ne présente pas d’excuses aux éventuels candidats et aux éventuels électeurs traités de « salopri » ? Le président ne blâme pas le Premier ministre pour de tels propos ? Il les cautionne donc ? Depuis l’ère jean-claudiste, on assiste dans ce pays à une dégradation des références aux valeurs sociales. Le slogan fondateur avait été lancé lors du fameux procès des Timbres : un accusé avait dit qu’il faisait « du business ». Même dans sa logique criminelle, le duvaliérisme première manière se réclamait (faussement) d’un principe d’équité sociale. Depuis le jean-claudisme, avec une accélération impressionnante depuis le règne du PHTK, il n’est plus question de valeurs mais de réussite. Le PHTK a repris du duvaliérisme première manière le langage de la violence et de l’autoritarisme, et il poursuit dans la logique jean-claudiste de la réussite personnelle. Dans un contexte dominé par une épidémie qui a fait déjà trop de morts : l’individualisme sauvage, l’ignorance accompagnée de scepticisme (l’État nous a toujours couillonné, pouquoi changerait-il ?). Et l’incapacité pour les responsables politiques de parler une langue républicaine et de donner l’exemple de pratiques saines, démocratiques, transparentes.