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Le Nouvelliste

Quelque chose en nous de Henri Christophe

Aug. 21, 2020, midnight

Les grandes célébrations et les dates mémorables offrent l’occasion de revisiter l’histoire avec ce qu’il existe comme documents écrits, comme patrimoines tangibles, mais aussi avec ce que nous apporte la transmission orale, de génération en génération, faite d’anecdotes ainsi que de légendes. En cette année de célébration des 350 ans de la ville du Cap-Haïtien, on parle beaucoup du roi Henri Christophe. Son ombre plane avec force sur le grand Nord et sur toute la République. Notamment parce qu’ont été bâtis, selon sa volonté et sous ses ordres, la citadelle La Ferrière et le palais Sans-Souci et Ramiers qui sont les principaux sites du Parc national historique, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982. La figure du roi, depuis toujours, fait débat, suscite les passions. Elle est conspuée, admirée, mais généralement respectée. Ce personnage complexe, gargantuesque, avait de grands rêves. Des hommes et des femmes sont entrés à genoux dans ses rêves. Ils y ont laissé leurs corps et leurs âmes. Le prix a été trop élevé en vie humaine, disent certains. L’écrivain Lyonel Trouillot pense que seul William Shakespeare aurait pu camper la cruauté du roi Henri et ses partis pris souvent en contradiction avec les intérêts de ses sujets. Aimé Césaire, admiratif du roi Christophe, comme beaucoup d’autres, lui donne une stature exceptionnelle dans la pièce « La tragédie du Roi Christophe » tout en touchant du doigt la gangrène de la division, des mauvaises rivalités, des guerres d’ego, qui ronge le pays depuis sa fondation. La tirade de Métellus, dans son dialogue avec Magny, dans la scène 5 de La tragédie du Roi Christophe, donne quelques clés pour comprendre ce qui se jouait à l’époque, entre les dirigeants du Nord et ceux de l’Ouest, au détriment du bien-être collectif et l’on sait déjà comment ces comportements ont malmené et presque anéanti la victoire la plus emblématique, la plus humainement aboutie de tous les temps, la guerre de l’indépendance haïtienne. « Foutre, nous allions fonder un pays (…), Mais sont venus les procurateurs, divisant la maison. (…) Christophe ! Pétion ! Je renvoie dos à la double tyrannie, celle de la brute, celle du sceptique hautain et on ne sait de quel côté plus est la malfaisance ». Les mots de l’officier résonnent plus que jamais au cours de cette difficile année de commémoration, dans une réalité difficile qui rend les échanges et les partages autour de cette période historique très difficiles. Il ne s’agit pas de prendre parti, l’histoire est ce qu’elle est. On ne peut pas la changer, mais porter la discussion à d’autres niveaux pour savoir comment ce dirigeant, dont on dit qu’il fut un « despote éclairé », est perçu 200 ans après sa mort, particulièrement dans le Nord. Savoir également si sa compréhension du progrès, de l’effort et de la grandeur sont compatibles avec nos aspirations. Prendre chaque mot pour ce qu’il signifie, constater l’antinomie entre les termes « despote » et « éclairé », questionner la préservation de l’immense patrimoine attaché à la période de règne du roi Henri Christophe, l’approcher pour éprouver la majesté et la fierté collées à chaque pierre, leur faire dire l’avenir en questionnant ce passé si loin et si proche où un roi qui avait connu plusieurs vies, dont celle de domestique, rêvait de développement et de toute-puissance. Nous avons chacun en nous, peut-être, quelque chose de Henri Christophe. Emmelie Prophète