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Le Nouvelliste

«Il y a plusieurs petites épidémies en Haïti», affirme le Dr Louise Yvers professeure associée à l'université Havard

April 21, 2020, midnight

Dépistage massif, types de test, traçabilité des cas, surveillance active, capacité de nos hôpitaux, tels sont les sujets sur lesquels le Dr Louise Yvers, professeur agrégé de santé mondiale et de médecine sociale à l'université de Havard, a été appelée à émettre son opinion. «Il y a deux types de test qu'on réalise actuellement. Le premier est un test antigène capable de détecter la présence du virus de manière spécifique, le second est un test anticorps capable de détecter des substances produites par un organisme après avoir été en contact avec le virus», a fait savoir le Dr Yvers dans un langage clair et précis. Le test antigène vous dit si vous avez, au moment du prélèvement, le virus à l'origine du Covid-19 (SARS-Cov-2), le test anticorps vous dit si vous avez été en contact avec le virus. La notion de type de test et le nombre de tests sont fondamentaux pour comprendre et combattre le Covid-19. Elle est cependant très complexe. À ces notions préliminaires de test antigène et test anticorps, il faut ajouter les concepts de «Faux positif» et «Faux négatif». Le faux positif est la probabilité qu'une personne déclarée positive soit en réalité négative. Cette probabilité est faible avec le test antigène pratiqué actuellement en Haïti. Le faux négatif est la probabilité qu'une personne testée négative soit en réalité positive. Cette probabilité est plus élevée dans le cas des tests anticorps présentés sous forme de test rapide qui a suscité beaucoup de débats dans la société récemment. Au-delà de cette différence entre les types de test, le Dr Louise Yvers s'intéresse à la stratégie du «testing». En Haïti, jusqu'à présent, on teste majoritairement ceux qui présentent les symptômes liés au Covid-19. Pour le professeur agrégé à la Faculté de médecine de l'université de Havard, il faut une autre stratégie. «La détection des cas est primordiale comme étape clé dans la lutte contre le Covid-19. Après avoir détecté un cas, il faut essayer de remonter le plus loin possible dans la chaîne de transmission, c'est-à-dire rechercher les contacts, les personnes exposées pour couper la chaîne de propagation», précise le Dr Yvers qui répondait aux questions de Roberson Alphonse et Robenson Geffrard. Il est important, soutient le Dr Yvers, que la détection des cas fait suite systématiquement à la recherche des contacts. «Avant qu'une personne présente les symptômes, elle était déjà en mesure de transmettre la maladie. C'est pourquoi quand une personne est testée positive, il faut remonter à deux jours pour trouver avec qui elle était en contact.» La recherche des cas contacts est d'autant plus difficile, reconnaît l'infectiologue, qu'il est impossible de retrouver avec exactitude tous ceux avec qui une personne testée positive était en contact. «Parfois, on croise des inconnus dans un supermarché ou autres lieux publics qu'on ne se rappelle même pas. C'est pourquoi il est capitale de limiter nos déplacements et respecter la distanciation sociale», rappelle le Dr Yvers sans perdre de vue la réalité de ceux qui vivent au jour le jour en Haïti. Une réalité qui mérite d'être adressée avec beaucoup de compréhension et de compassion. Interrogée sur le nombre et la répartition des cas en Haïti, le Dr Louise Yvers affirme avoir beaucoup de réserves. On a 57 cas confirmés (40 cas importés et 17 cas de transmission communautaire répartis dans 7 départements). «Normalement chaque cas importé est en mesure d'infecter au moins deux personnes. Comment est-il possible qu'on a 17 cas de transmission locale pour 40 cas importés en Haïti? Je pense qu'il y a plusieurs petites épidémies en Haïti. Faut-il croire que les département du Nord-Ouest n'a qu'un seul? Comment cette personne a été contaminée? Avec qui était-elle en contact? Faut-il croire que les départements du Sud, du Nord et de la Grand-Anse n'ont aucun cas?», se questionne la spécialiste qui a travaillé avec Zanmi Lasante et l'hôpital Saint-Boniface en Haïti. Par ailleurs, elle dit qu'elle serait ravie s'il y avait une proportionnalité entre les cas réels et les cas confirmés, mais il n'y a qu'un seul moyen d'être sûr: il faut tester le maximum de personnes possible. Il faut aussi une surveillance active dans les zones à risque. En ce qui a trait aux mécanismes de réponse de notre système de santé dans l'éventualité que le nombre de cas augmente de façon exponentielle dans les prochains jours, la directrice exécutive du «Massachusetts General Hospital Center for Global Health» ne cache pas sa stupéfaction. « Un tiers des cas infectés dans mon hôpital sont dans un état critique. Même les cas modérés demandent un déploiement de ressources humaines et matérielles que malheureusement Haïti n'a pas. Avec environ 47 lits pour les cas critiques, le système de santé haïtien ne prendra pas beaucoup de temps avant d'être dépassé par les événements si jamais les choses s'aggravent, ce que je n'espère pas», avance le Dr Yvers, conseillère spéciale chez l'organisation internationale «Partners in Health». Consciente des difficultés auxquelles les autorités font face dans la traçabilité des cas, notamment parce que les gens ont peur d'être stigmatisés, le Dr Louise Yvers invite les autorités à instaurer un climat de confiance avec la population et à utiliser les agents de santé communautaire pour faire passer les messages clés. « La communication est un point fondamental en santé publique», rappelle la détentrice d'un doctorat de recherche en médecine à l'université nationale d'Irlande.