Le Nouvelliste
Vous avez dit félicité ?
Sept. 8, 2020, midnight
Nous sommes souvent débordés par notre quotidien, incapables de réaliser que telle personne, à laquelle nous prêtions telles qualités, accordions crédit, ait pu commettre des actes honteux, pris des décisions choquantes qui nous laissent sonnés d’incompréhension. Évidemment il est naïf de croire que tout le monde peut se sublimer. Mais que serions-nous sans cette naïveté qui est un ancrage dans l’enfance, un optimisme qui donne foi dans la vie et le genre humain, qui fait que l’on croit, pour répéter un vers de Louis Aragon « que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne »? L’époque est vulgaire. Pas parce que cette génération a inventé la bêtise, mais parce qu’elle a les moyens de la montrer, d’en faire un produit vendeur qui rameute ceux qui sont en mal de succès, même sans avoir la capacité de produire une œuvre, de construire un discours, d’être dans un engagement social. Les vieilles âmes, cela n’a rien à voir avec l’âge, ceux qui s’accrochent à une certaine beauté, une certaine noblesse des choses, qui croient qu’il y a une manière d’être, une manière de voir, de dire, qui font dans la nuance et la subtilité pour contrer les fausses évidences, sont les nouveaux marginaux, ringards, hors du coup et du temps. L’actualité est occupée par des crimes de sang, des dénonciations, des délits de gravité variable, des faits divers, mais le moindre petit détail renseigne sur un état d’infection préoccupant dont les poussées de fièvre, les éruptions diverses, l’odeur déjà fétide, annoncent une irréversibilité qui fait que certains commencent à pleurer le mort, à enterrer leurs espoirs d’un avenir meilleur. Ce grand corps à la renverse renferme pourtant encore tant de jeunesse et d’énergies ! Une jeunesse vantée, portée comme un étendard, dont beaucoup ont décidé qu’elle ne passera jamais. Ici nous sommes jeunes un peu plus longtemps qu’ailleurs. Elle est souvent prétexte, folie et diversion. Parfois, quand on la loue, c’est pour oublier de définir des missions, attribuer des responsabilités, être dans les normes. La jeunesse est, heureusement, indépendamment et envers les clichés, cette force qui tracte de belles envies de vivre, d’habiter un pays autre, de travailler, de n’être ni dans la posture ni dans l’imposture. Il y a un devoir de choisir tous les matins d’être vivants. Peu importe son âge. Poser la pierre qui fera partie de la digue contre les effondrements ; dire le mot utile, qui trouvera sa place dans cette phrase qui n’est que balbutiée depuis trop longtemps. Dans la longue journée qui s’écoule qui fera partie de la courte vie à laquelle nous avons tous droit, chacun a une dette à payer, une faveur à recevoir et nous devrions intégrer que l’ascension a des limites mais que la chute n’en a point. Il y a un éloge de l’écoute à faire. Parce que c’est l’une des plus belles qualités humaines et parce que ceux qui n’arrêtent pas de nous encombrer l’espace s’écoutent parler beaucoup plus qu’ils ne s’adressent à nous. Et c’est pénible ! On ne se rend compte du mal, hélas, que quand on est gavés, l’estomac rempli, écœurés. Mais l’on sait que ce n’est pas ainsi que les légendes se construisent. La félicité à sens unique est un mal de notre temps. C’est un mirage. C’est un malentendu. Emmelie Prophète