Le Nouvelliste
Homme ou femme ? Homme puis femme ? Halte aux apprentis sorciers !
June 18, 2020, midnight
« Seigneur, protégez-moi de mes amis. De mes ennemis, je m’en charge ! ». Telle devrait être la réflexion du Président Moïse en découvrant la portée du texte sur lequel il a apposé sa signature, le décret du 11 mars 2020 portant sur le numéro d’identification nationale unique et la carte d’identification nationale unique, paru dans Le Moniteur spécial no. 9 du 16 juin 2020. Ce texte recèle des approximations qui chamboulent dangereusement tout le système de l’état civil, viole des principes essentiels du droit pénal. Un examen plus approfondi, fait par d’autres, je l’espère, permettra de les débusquer pour en souligner la malignité. Notre propos, ici, se concentre sur une petite phrase que les yeux perspicaces des lecteurs ont pu découvrir, bien qu’elle ait été insérée en catimini dans les profondeurs de l’article 5, à l’alinéa 2. « Toute personne, ayant subi des changements morphologiques, fait la mise à jour y relative dans les deux mois qui suivent ces changements au bureau de l’Office national d’identification ». Pour parler clairement, on pourrait, suite à une opération chirurgicale, par une simple démarche administrative, changer de sexe ! La teneur de l’article nous démontre, après un examen plus sérieux, qu’il s’agit là plutôt d’une démarche administrative qui devrait consister à entériner des opérations et procédures antérieures qui se révèlent impossibles, dans l’état actuel de notre droit. Nous touchons ici à plusieurs questions relatives à la validité d'une opération chirurgicale pour changer de sexe, la possibilité de modifier son état civil pour changer de sexe et à l’intégrité du système de l’état civil. Mais avant d’aborder ces trois points, il convient de pointer le péché originel qui entache cet alinéa d’article. ABSENCE DE DÉBATS DE SOCIÉTÉ La question de l’identité de genre tient au fondement même du ressenti de l’individu quant à sa personne. Elle tient aussi à la conception que le corps social dans son ensemble se fait d’un élément fondamental de sa civilisation : qui est homme et qui est femme ? Quels sont les rapports entre eux ? Cette question n’est point, même dans les pays qui l’admettent, une question qui relève de la seule fantaisie individuelle, mais une question sociale légalement encadrée et régie. L’encadrement légal n’ayant évolué qu’après de longs débats de société, publics et contradictoires, contrastés, parfois violents, avant que, les choses étant décantées, des référendums ne soient organisés ou que les parlements se ne prononcent. Ici, le débat public est esquivé, et la population se réveille choquée par une disposition qui heurte, j’ose m’avancer, la conscience de la majorité. Au lieu d’un débat public, au lieu d’une décision d’une majorité de la représentation populaire, sur une question qui touche au cœur de notre société, la démarche d’un fonctionnaire mû par je ne sais quelle pulsion. Dans le souci de complaire à la mode ou à quelque bailleur de fonds étranger exigeant, on a oublié cette vérité fondamentale que le droit des personnes et le droit de la famille demeurent le siège des particularismes nationaux. L’INDISPONIBILITÉ ET L’INVIOLABILITÉ DU CORPS HUMAIN La démarche visée par ce texte suppose auparavant des « transformations morphologiques » opérées chimiquement et chirurgicalement. La nature et l’étendue de ces transformations n’est pas précisée pour qu’elles soient légalement prises en compte. Elles supposent une convention écrite ou orale conclue entre un individu et le chirurgien. Or, seules les choses qui sont dans le commerce peuvent faire l’objet de conventions (art. 919 code civil). Le corps humain est par essence hors du commerce et ne peut faire l’objet de conventions ; c’est le principe de l’indisponibilité du corps humain. Seules sont licites celles tenant à l’hygiène (coiffure, manucure, pédicure) et, par permission de la loi, celles ayant une visée thérapeutique (convention de soins médicaux ou chirurgicaux). En dehors de ces exceptions légales, toute atteinte à l’intégrité physique, qui ne serait pas justifiée par la loi, constitue une atteinte à l’inviolabilité du corps humain, principe sacro-saint de toute nation civilisée. Elle est alors qualifiée de coups et blessures volontaires punis par le droit pénal. En la matière, le consentement de la personne opérée n’est pas exonératoire. Ce qui explique le caractère punissable de l’euthanasie ou du duel. Or, l’article 5-2 du décret ne permet pas l’opération. Il permet qu’on enregistre un changement de sexe sans que les moyens physiques de ce changement n’aient été préalablement permis par un texte légal. Sous un premier chef, le changement est impossible. L’INDISPONIBILITÉ DE L’ÉTAT DES PERSONNES « L’état des personnes se définit comme l’ensemble des caractéristiques individuelles permettant de déterminer la situation de la personne au regard des institutions » (Bruno PETIT, Sylvie ROUXEL, Droit des personnes, p. 81). Le sexe fait partie de ces caractéristiques parmi lesquelles se trouvent le nom, le domicile, la nationalité. L’état des personnes ne concerne pas que l’individu, il intéresse la société en ce qu’il permet d’identifier un individu sans qu’il ne puisse être confondu avec un autre. En ce sens, il revêt une fonction de police. C’est pourquoi a été dégagé le principe essentiel de l’indisponibilité de l’état des personnes selon lequel un individu ne pourrait disposer de manière pleine et entière d’éléments de sa personnalité juridique, ni un tiers pour lui. C’est parce qu’un individu ne peut modifier à sa guise son état que tous les changements d’état sont strictement réglementés et le plus souvent soumis à la sanction judiciaire. Nous citons pour exemple : la reconnaissance d’un enfant, l’adoption, le mariage, le divorce, le désaveu ou la contestation de paternité, le changement de nom. Dans tous les pays qui ont adopté ce genre de changement d’état, celui-ci n’intervient qu’au terme d’un long processus chirurgical, hormonal et psychologique permis et encadré par la loi qui culmine par un jugement consacrant le changement de sexe et ordonnant par voie de conséquence le changement de nom. Alors qu’ici, sans aucun contrôle, quelqu’un pourrait changer de sexe, et, pourquoi pas, revenir au sexe initial. Par application du principe de l’indisponibilité de l’état, qui n’a pas encore chez nous été abrogé, l’ONI NE DEVRAIT PAS APPLIQUER L’ARTICLE 5 al. 2 du décret. Il faudra au préalable une loi encadrant le changement de sexe, et organisant la coordination de ce changement avec le système de l’état civil. Donc, sous ce deuxième chef, le changement de sexe est impossible. L’INSTAURATION DU DÉSORDRE DE L’ÉTAT CIVIL L’article 5-2 se remarque enfin, tristement, par le désordre qu’il ne manquera pas d’instaurer dans le système de l’état civil. Celui-ci est le réceptacle de tous les actes instaurant ou modifiant l’état civil des individus se trouvant en Haïti. Il remplit les fonctions de preuve et de police que nous avons évoquées plus haut. Il est menacé lorsqu’un individu, à l’issue des illégales manœuvres examinées tantôt, obtient un certificat attestant de son « nouveau » sexe, alors que les registres de l’état civil le désignent encore sous le sexe opposé et porteur d’un nom différent. En effet, il n’existe dans ce décret aucune indication de la relation devant exister, sous ce rapport, entre la base de données de l’ONI et les registres de l’état civil. À qui a-t-on légalement affaire, à Jean, de naissance, ou à Jeannette, transformée ? Si Jean est marié et se transforme à l’insu de son épouse, sera-t-on en présence d’un mariage homosexuel alors que l’acte de naissance du mari le désigne encore comme un homme ? Le mariage est-il dissous de plein droit, en raison de l’impossibilité du mariage homosexuel ? Mais, comme les actes d’état civil ne sont pas rectifiés, s’agit-il vraiment d’un mariage homosexuel ? Voilà le genre de désordres auquel aboutit la rédaction de textes à portée législative par des cerveaux ignorants du droit servis par des mains malhabiles. L’article 5-2 du décret du 11 mars 2020, ne bénéficiant pas des préalables qui auraient dû le précéder, se révèle en pratique inapplicable et dangereux pour l’ordre et la sécurité juridiques. Ceux qui l’ont conçu auraient dû, avant de se mettre à l’ouvrage, se pénétrer des paroles de Montesquieu : « Il est vrai qu’il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Lorsque le cas arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante » et, ajouterai-je, experte. (les Lettres persanes, 1721, Lettre 79)