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Le Nouvelliste

Le compas 2 carreaux s'éteint, le konpa gouyad s'étend !

Aug. 25, 2020, midnight

À chaque nouvelle vague du compas, certains prédisent sa mort prochaine. Ce n’est pas nouveau, chaque génération est convaincue que la musique de sa jeunesse était la meilleure. La vérité est que le genre d’une œuvre musicale n’est pas statique, elle évolue, même si le style d’une époque peut se cristalliser et produire des références. Chaque génération devient le produit de ce qu’il hérite.  Hier façonne le lendemain ! Néanmoins si les mouvements sociaux, la mode, l’apport technologique sont autant de déterminismes qui orientent la musique.    Déjà les purs et durs de la génération 46 croyaient que le compas, bébé de Nemours Jean Baptiste, était mort-né. Ça ne marchera pas, disaient-ils. Et pourtant, le compas avance, se régénérant périodiquement. Kite konpa mache !   À force de marcher, notre compas est, malgré les assauts du temps, à son 65e année de son long marathon de musique et de danse… Mais les temps changent, les fans et la musique aussi. On vieillit dans un monde qui se rajeunit et se renouvelle, souvent à notre insu… Les changements qui s'opèrent dans la musique populaire contemporaine sont d'ordre économique et technologique. Si on estime  que la qualité baisse, il faut s'assurer que le meilleur soit disponible et proposé avec respect et considération, sans dédain ni avanie. Voilà la véritable démarche logique et efficace des aînés envers les descendants.  Personne n’a jamais réussi à figer le temps. C’est inutile de tuer le présent pour tenter de ressusciter le passé. La conception compas des années antérieures à 1990 ne survivra pas sans le mécénat privé ou les subventions étatiques. Comme cela se passe avec la musique classique, en Occident.   À partir des années 80, la scène fut investie par de jeunes groupes : Zèkle, Top Vice, Phantoms, Kajou, Zenglen, Skandal, Digital Express, Zenglen, Zin, Lakol, Papash, Kadans, Konpa Kreyòl, Krezi Mizik, etc. C’était l’éclosion digitale, simultanément à une révolution identitaire, culturelle et linguistique.   Aujourd’hui, le konpa gouyad est un phénomène populaire ancré dans sa temporalité. Selon Dj Jean Nonez de Montréal, « nous assistons à un chambardement de tout ce que nous avons connu ». Le circuit de promotion se fait, surtout, via l’Internet. Les jeunes écoutent, de moins en moins, la radio. Le monopole des médias traditionnels s’est évaporé. Les plateformes comme YouTube, Sound Cloud, Deezer, Spotify, ITunes, les remplacent…   Cette génération est, rappelons-le, celle de la continuité de l’informatique musicale, du développement du « home studio » et des Dj « Beat makers » comme Tony Mix, Senk lan. Ce même phénomène se produit dans les musiques contemporaines comme afrobeat, le RnB, le hip hop, le reggaeton, le dancehall et même la bachata…    Le jeune musicien compose dorénavant en intimité avec sa boite de son électronique en renforçant l’autonomie de l’artiste. Dans le même temps, la source de création devient variée et non linéarisée et monopolisée par la seule culture nationale d’origine. Ceci débouche sur une hybridation de la musique et le compas n’en est pas exempt.   Nous assistons actuellement à une montée en puissance de multiples influences … Shedley Abraham, musicien haïtien qui mène une prolifique carrière internationale, a démontré dans le film « Martinique, seconde patrie du compas ? » que la rythmique compas influence, elle aussi, les courants musicaux mondiaux dominants. Dans notre monde moderne globalisant, les frontières entre genres musicaux deviennent de plus en plus mouvantes.   La bonne nouvelle est qu’un public hétéroclite de mélomanes, grâce à Internet, devient plus accessible à la musique. Le compas n’a jamais été autant partagé et écouté par autant de nationalités différentes. Le marché s’étant élargi grâce au progrès-informatique, comme c'était le cas au XIXe siècle avec l’arrivée du phonographe de Thomas Edison.   Selon Jean Nonez, « le Konpa gouhad ou compas urbain évolue hors du HMI dominé par une petite communauté de promoteurs, avec plus ou moins une dizaine de groupes musicaux ».   Le compas urbain y échappe. La révolution digitale permet à de jeunes artistes haïtiens dans la vingtaine de la diaspora et d’Haïti d’entrer en contact direct, sans intermédiaire avec la planète. La musique est créée par l’artiste et arrangée par le producteur. Ce dernier intervient à différentes étapes du processus de création : pré-production, mixage, arrangement, background vocal, mastering. C’est l’architecte, comme le décrit Jean Nonez…   Il arrive que les deux soient la même personne. C’est le cas de musiciens qui s’autoproduisent, comme l’étoile montante de la musique haïtienne, Joe Dwet File, qui fait du Konpa gouyad, du zouk et du RnB. Il est auteur, compositeur, ingénieur du son, producteur… Il a rempli la mythique salle La Cigale de Paris, le 31 mars 2019, devant un public équitablement composé de jeunes Maghrébins, Français, Africains, Antillais, et Haïtiens…   La musique haïtienne a pris un tournant. Ne cherchez plus la relève… Le compas de demain fit ses débuts, depuis hier !