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Le Nouvelliste

Revisiter « La vocation de l’élite » du Dr Price-Mars un siècle plus tard

March 16, 2020, midnight

La Vocation de l’élite n’est pas l’ouvrage de Price-Mars dont on parle le plus, constate non sans regret le Dr Byron, en comparaison, dit-il, avec Ainsi par l’Oncle, par exemple. Il suffit, poursuit-il, de comparer le nombre de rééditions de ces deux ouvrages. « On a attendu seulement 1976 pour rééditer La Vocation de l’élite », souligne le Dr Byron, assimilant le peu d’importance accordée à La Vocation de l’élite à une réception particulière de l’œuvre de Price-Mars et à la représentation faite de ce personnage. Étant lui-même un homme politique, député de la Grande-Rivière-du-Nord entre 1905 et 1908 et candidat malheureux à la députation en 1917, l'auteur de La Vocation de l’élite, qui est un ouvrage politique, affirme le Dr Byron, une prise de position politique dans le contexte haïtien. « Ce que propose Price-Mars ce n’est pas un essentialisme […] c’est l’idée d’une citoyenneté élargie qui part du fait qu’il y a une culture importante de cette société –la culture de la grande masse à mettre au-devant pour essayer d’organiser cette société », souligne le Dr Byron pour qui Price-Mars est avant tout un homme d’action doublé d’un écrivain. En 1919, quatre ans après le premier débarquement des Américains, Price-Mars publiait « La vocation de l’élite ». Un siècle après la parution de l’ouvrage, Gérard Daniel Rouzier observe avec effroi combien « notre société́ civile est encore démobilisée, son leadership désenchanté́, son forum décapité. Notre pays est scindé en une multitude de groupuscules individualistes n’ayant aucune ambition de développer ensemble une stratégie sociale, économique ou politique à long terme ».  Au-delà de ce constat d’échec national, Gérard Daniel Rouzier préconise de revenir aux grands penseurs haïtiens pour proposer des solutions intelligentes aux différents problèmes du pays. Pour l’homme d’affaires, notre salut ne peut venir que de la cohérence et de la cohésion d’une vision commune.  Haïti ne pourra progresser, estime-t-il, citant Price-Mars, « qu’autant que chaque individu, formant une pièce de l’agrégat national, se sente indissolublement lié à la destinée de ses coassociés de la communauté politique, ses concitoyens et ses compatriotes. » Pourtant force est de constater que la situation n’a pas beaucoup changé un siècle plus tard. Notre élite présente encore ce comportement « d’apaches… montrant le spectacle des lâchetés auxquelles elle se prête pour la possession de l’assiette au beurre », déplore Rouzier, dépité du fait que la société avait applaudi en 1991 lorsqu’un diplomate américain avait traité l’élite haïtienne de répugnante. « Récemment encore, le président américain lui-même doublait la mise et n’hésitait pas à choquer le monde entier, lorsque sans tact et sans décence il qualifiait Haïti de  pays de merde et nos élites ont à peine réagi », se désole Rouzier, se demandant à qui s’adresserait Price-Mars s’il était encore vivant. D’entrée de jeu, analyse-t-il, il est primordial de noter qu’il emploierait le terme « élite » dans son plus large sens et ne saurait le confiner à une petite aristocratie.  « Croire qu’il se rapporte uniquement aux quelques familles qui habitent Pétion-Ville est absurde.  Il s’applique plutôt à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont transcendé et qui dominent toutes les facettes de notre pays, qu’il s’agisse dans les domaines de l’art, des lettres, des sciences, de l’économie, de l’éducation, de la santé, du sport ou de celui de la politique. »  Pour Rouzier, si Price-Mars fait figure de relique et semble être tombé dans l’oubli, dans la déshérence et même dans certains cercles sociopolitiques dans le rejet pur et simple, il n’empêche que la question de la race et de couleur reste encore pertinente de nos jours. « Lorsqu’il parle de race, l’Oncle est inclusif… intraitable et sans équivoque », note Gérard Daniel Rouzier, soulignant que par éducation sociale Price-Mars veut élever les élites, les sensibiliser et les amener à une empathie citoyenne. « Le seul étalon auquel on puisse mesurer la valeur d’une élite est son utilité sociale  », disait à juste titre l’Oncle dont le discours, de l’avis de Rouzier, n’est ni de gauche ni de droite, mais plutôt celui d’un humaniste qui aime son peuple et veut le voir prospérer.    Aujourd’hui plus que jamais, prescrit Rouzier, il est primordial pour l’élite de ce pays de rentrer en introspection profonde pour rétablir l’équilibre moral et retrouver la crédibilité qui lui manquent pour non seulement dénoncer, mais surtout pour apporter des solutions concrètes aux dilemmes économiques, écologiques et sociaux qui sont encore patents aujourd’hui.