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Le Nouvelliste

Le Système d’identification des citoyens d’Haïti: Pour la vérité et pour l’histoire

Sept. 3, 2019, midnight

Le Système d’identification des Haïtiens est géré par l’Office National d’Identification (ONI), institution créée par décret, le 1er juin 2005 avec pour mission de :1- Fournir un Numéro d’Identification National (NIN) dès la naissance à chaque Haïtien ou au moment de son enregistrement au Registre National d’Identification ; 2- Fournir une Carte d’Identification Nationale (CIN) à chaque Haïtien ayant atteint l’âge de 18 ans ; 3- Créer un Registre National d’Identification pour gérer les données collectées des citoyens haïtiens. Grâce à un appui de l'Organisation des États Américains (OEA) et du Canada la première campagne d’enregistrement des citoyens a pu être lancée et la distribution des premières Cartes d’Identification Nationales effectuées pour qu’ils puissent voter aux élections de 2006. Ce premier Système de Gestion d’Identité a été conçu et mis en place par une équipe technique de l’OEA dans un contexte purement électoral. Cette année-là, 2005, l’OEA a enregistré 3.5 millions d’Haïtiens de 18 ans et plus dans le registre National d’Identification et a totalement exclu tous les Haïtiens âgés de 0 à 17 ans. Le système enregistrait l’empreinte des deux index du citoyen et générait un Numéro d’Identification National de 17 chiffres. En 2012, un contrat a été attribué à SMARTMATIC, une entreprise vénézuélienne, pour achever les travaux initiés par l’OEA, moderniser le système technologique existant et aussi permettre les enregistrements et la génération de NIN pour chaque citoyen dès la naissance. Ainsi, en décembre 2014, SMARTMATIC a déployé un nouveau Système de Gestion d’Identité avec une composante biométrique qui enregistrait les empreintes des dix doigts des citoyens et générait un NIN composé de quatorze chiffres. À propos du système mis en place par SMARTMATIC Depuis le mois de novembre 2018, une myriade de rapports trompeurs et incohérents ont été publiés sur le Système National de Gestion de l’Identification d’Haïti. Des soi-disant experts cités dans ces rapporta affirment que l’ancien système mis en place par SMARTMATIC pouvait encore travailler pour de nombreuses années. Je tiens d’abord et avant tout à démentir ces informations qui sont totalement fausses car depuis la mise en production par la firme vénézuélienne en décembre 2014 de ce système qui a coûté53.5 millions de dollars à l’État Haïtien, une seule évaluation a été effectuée par un expert du PNUD enjanvier 2017. Dans ses conclusions, il a établi que le système d’identification mis en place par SMARTMATIC est incohérent et non fiable, étant donné qu’il y existe deux types d’empreintes (deux doigts et dix doigts) et deux types de numéros d’identification (14 et 17 chiffres). Il a donc recommandé que le Gouvernement remplace ce système. Une grande partie de ce qui a été dit sur le plan technique ces derniers temps ne profite pas vraiment à Haïti, mais plutôt à des intérêts particuliers. Ces opinions ne sont pas liées aux besoins fondamentaux du pays. C’est sur cette base que je rédige aujourd’hui ce document en tant qu'ancien Directeur Général de l'ONI que j'ai passé 18 mois à diriger. Pendant cette période, j’étais le principal responsable de la technologie, agissant parfois en tant qu'administrateur de base de données, architecte et concepteur d'applications, développeur, etc. Des responsabilités que j’ai pu assumer grâce à mes 23 années d’expérience à IBM où j’ai travaillé en tant qu’Architecte en chef de solutions informatiques en Technologie de l’Information spécialisé en « Systèmes d’information, Infrastructure Technologique et Middleware ». Connu comme Architecte de solutions multi-compétences et d’excellents atouts dont le leadership, des capacités de mentorat et une connaissance intuitive de la meilleure façon d'utiliser la technologie pour résoudre des problèmes d'affaires complexes pour les 100 plus grandes compagnies, entreprises et institutions tant publiques que privées à travers le monde. J’ai une vaste expérience pratique de la conception et de la mise en œuvre de solutionsde systèmes d'application hautement sophistiqués, d'intégration d'applications de middleware, et de la transformation numérique. À mon arrivée à l’ONI, j’ai vite compris que les cadres techniques de l’ONI ne savaient pas grand-chose du système installé par SMARTMATIC car la firme n’avait fait aucun transfert de connaissances. Il y avait pourtant tellement de failles techniques que j’ai été obligé de m’adresser à SMARTMATIC par e-mail car cette firme n’avait aucune branche technique ou administrative en Haïti. C’est ainsi qu’un des responsables de la firme m’a dit personnellement qu’au moment où je les contactais, la compagnie ne disposait pas de ressources techniques pour résoudre les problèmes du système et m’a proposé de mettre en place un nouveau projet qui serait considéré comme la phase 2 de celui terminé en 2014. C’était début juin 2016, moins de deux ans après la mise en production du système de plus de cinquante millions de dollars qu’ils avaient installé. Ce système qui était contrôlé par les techniciens de SMARTMATIC au Panama. Ce système que l’équipe technique de l’ONI ne pouvait que surveiller en vue d’appeler un technicien de SMARTMATIC lorsque quelque chose ne fonctionnait pas. Aussi, il était très difficile pour l’État haïtien de savoir exactement ce qui avait été fourni pour les 53,5 millions de dollars dépensés. Un projet qui aurait été un excellent pas en avant pour le pays s'il avait été bien implémenté. Mais sa mise en œuvre a été très médiocre puisque les travaux étaient incomplets, provoquant ainsi un gaspillage de ressources financières. Problèmes posés par le système de SMARTMATIC Incohérence de donnéesLe système actuel de l’ONI, qui a été implémenté dans un contexte électoral, était focalisé sur l’enregistrement de tout le monde et de n’importe qui – la quantité l’emportant sur la qualité. À cette date, il est toujours considéré comme un système à visée électorale – 95% de la population continuent à appeler la Carte d’Identification Nationale (CIN) “carte électorale”. En janvier 2017, une analyse complète des données de 2005 à Décembre 2016, et un test de bout en bout des incohérences a révélé que 54% des données collectées sur les 6.3 millions de citoyens enregistrés à l’ONI ne sont pas cohérentes. À cette date, il existe plus de 20 mille citoyens dont l’enregistrement est dupliqué dans le système. Ces doublons s’étendent de 2005 à 2014. Et plus de 40 mille citoyens sont bloqués par le système automatisé d’empreintes digitales (AFIS). Ces citoyens ne peuvent pas obtenir d’identité en raison d’enregistrements multiples. Les duplications enregistrées alors dans le système ne sont donc pas seulement dues au fait que le citoyen y existe déjà mais aussi du fait de la mauvaise qualité des équipements. De plus le système n’a pas l’intelligence de filtrer sans intervention manuelle les 40 000 citoyens bloqués par le système automatisé d’empreintes digitales (AFIS) en raison d’enregistrements multiples, SMARTMATIC n’ayant pas pris en compte cette procédure. Les procédures de recours n’étaient donc pas en place pour résoudre ces problèmes. Le système de Gestion de l’Identité (IDMS) En Décembre 2016, ONI n'a pas pu délivrer les cartes CIN aux citoyens de la commune de Port-au-Prince qui venaient d'avoir 18 ans. C’est à ce moment qu’on a été découvert que l’algorithme utilisé pour générer les NIN a atteint sa limite. Une évaluation du système a démontré que l’algorithme conçu par SMARTMATIC pour générer les 14 chiffres du NIN est incorrect. Cet algorithme est construit sur l’hypothèse qu’aucune commune du pays n’aurait à enregistrer une population supérieure à 9,999 personnes pour une seule année de naissance. Au-delà de ce nombre, le système s’arrête et les CIN pour cette commune ne peuvent plus être produites pour ladite année de naissance. En Février 2017, compte tenu de la situationà ce moment-là, ONI était obligé de trouver une solution temporaire de sorte à permettreles personnes nées en 1997 et plus dans la commune de Port-au-Prince d’avoir les CINs. La solution permanente nécessiterait une nouvelle conception du composant de génération de NINdans lequel ONI laissait le problème en suspens qui sera résolu dans le futur.Un autre problème majeur est celui lié au fait que les Certificats de Garantie d’intégrité et de Sécurité des Données fournis par SMARTMATIC sont arrivés à expiration en 2017. Ces certificats permettent d’encrypter les données personnelles des citoyens et d’éviter qu’elles ne soient manipulées par des personnes non autorisées. De plus, les serveurs ont été fournis avec des versions d’essai des licences de softwarequi ont expiré dès la première année de la mise en production du système. Autre problème, la fonction de recherches par empreinte digitale qui permet de rechercher un citoyen par son empreinte n’a pas été fournie ce qui empêchait l’ONI de retrouver dans le système le dossier d’un citoyen ayant perdu sa carte CIN et est incapable de fournir ses informations personnelles correctement.Les équipements d’enregistrement des citoyens Le sous-système appelé aussi Parmobiles et fourni par SMARTMATIC dans le cadre du contrat avec l’État haïtien, a été utilisé par l’ONI pour collecter les informations des citoyens à travers l’ensemble du pays. Ces informations sont ensuite envoyées via internet au système central (Identification Management system,IDMS). Initialement SMARTMATIC avait fourni 700 de ces Parmobiles. En 2017, 400 d’entre eux étaient complètement hors d’usage. Et les 300 restants ne fonctionnaient qu’à 50% de leur capacité. Par exemple, les cameras prennent des photos qui ne respectent plus les standards de qualité requis ; l’équipement pour les empreintes digitales fonctionne avec difficultés ; le système d’exploitation des appareils d’enregistrement basé sur Windows XP fonctionne avec beaucoup de difficultés et souvent les citoyens doivent revenir plusieurs fois pour réenregistrer les informations déjà collectées mais corrompues pendant le traitement pour l’émission des cartes. Le système d’impression des cartes CINLe système d’impression des cartes CIN a été sous-contracté avec la firme Delarue qui a fourni les imprimantes et autres matériels pour imprimer les CIN. Ces matériels fournis sont en « Laminate Teslin », matériau non appropriéà notre climat ce qui affecte grandement la durabilité de la CIN. De plus, ce matériau étant facilement accessible sur le marché, la carte peut être aisément contrefaite. C’est ainsi qu’on trouve un nombre important de fausses CIN, particulièrement en République Dominicaine.Le pilote de l’identification des enfants à la naissance Au mois de juin 2017, le programme « Konte m Mwen Konte »a été lancé en vue d’attribuer un NIN à la naissance à des enfants de certaines zones de la capitale. Ce projet permettait à l’ONI d’exécuter une de ses missions fondamentales définie par le Décret du 1er juin 2005. Cette initiative promue par la Première Dame, Madame Martine Moise, nous a amené à conduire un pilote dans quatre hôpitaux de la zone métropolitaine (OFATMA, Hôpital Général, Hôpital de la Paix et Hôpital de Sans-Fil). Ce pilote qui consistait à délivrer des ‘’Certificats de naissance’’ aux nouveau-nés de ces hôpitaux s’est déroulé de juillet à octobre 2017. Il a été encore une fois l’occasion de constater que les ‘’ Parmobiles’’ étaient complètement inadaptés à cette utilisation, notamment pour la collecte et la remise de ces CN et la transmission des informations aux Archives Nationales. Une nouvelle architecture du système devait être redéfinie avant de pouvoir poursuivre ce programme et l’étendre à tout le pays. Actions entreprisesEn vue de résoudre les problèmes susmentionnés, j’ai proposé, alors que j’étais encore Directeur Général de l’ONI, de mettre en place un nouveau système pour :• répondre au problème de NIN causé par unalgorithme mal conçu, et par les deux premières générations (17 chiffres et 14 chiffes). Ce système garantira un numéro d’identification permanent qui ne sera pas affecté parles changements volontaires ou accidentels dans les documents d’état civil ;• produire une CIN qui répondra aux normes internationales ; et• remplacerla carte en Teslin par du Polycarbonate, matériau plus durable, plus sécurisé et mieux adapté à la réalité du pays. Cette CIN aurait une puce électronique intégrée pour garantir la sécurité, l’intégrité, et la confidentialité des données des citoyens. Des firmes ont été contactées pour produire des offres qui peuvent être ainsi résumées : Smartmatic Delarue DermalogEnregistrement, IDMS et système d’impression 50.000.000 27,700,000IDMS and Printing System Only 48,525,000 • N.B.L’offre de 50 millions de Smartmatic incluait le remplacement préalable de Parmobiles pour un montant de 2.8 millions de dollars américains.À propos de la nouvelle Carte d’Identification NationaleSolution :La firme de Dermalog a mis en application une nouvelle carte d’identification sur la base du modèle de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI)de type d’e-ID, c’est-à-dire une carte à puce sans contact d’étiquette RFID. La technologie sans contact RFID apporte une sécurité indispensable à de nombreux échanges de données électroniques en particulier sur les données d’identification. Elle est fortement sécurisée et presque impossible à contrefaire.Un deuxième élément important pour l’identification des travailleurs manuels (agriculteurs, ouvriers, artisans, etc.) qui n’ont pas d’empreinte digitales, c’est l’introduction pour la première fois en Haïti de la biométrie oculaire. La reconnaissance par l’iris est l'un des plus grands et des plus répandus systèmes de sécurité actuels.Grâce a cette nouvelle carte, un citoyen haïtien aura finalement un numéro d’identification national non-signifiant conçu pour rester immuable sa vie durantcomme le définit le décret de 1er Juin 2005. Les deux premières générations de carte créées par l’OEA et Smartmatic étaient basées sur une structure de codage signifiant, qui exposait les informations confidentielles du citoyen comme le mois et l’année de sa naissance.Pour résoudre ces problèmes exposés ci-dessus, la nouvelle carte a un numéro d’identité basé sur l’algorithme existant du NIF adopté par l’État haïtien depuis 1987 etservant à identifier de façon unique une personne dans le répertoire national d'identification. Ce numéroest conçu pour rester immuable la vie durant etn’est pas affecté par les changements volontaires ou accidentels des documents d’état civil tout en permettant deretracer les informations relatives à chaque individu.En guise de conclusionJe conçois mal que des gens prennent plaisir à véhiculer des informations mensongères et erronées sur des sujets aussi cruciaux que ceux qui se rapportent à l’identification de toute une population. Je ne me tairai pas et ne me ferai point complice de telles démarches. Le pays est à la traine dans beaucoup de domaines cruciaux pour son développement. Il est vraiment encourageant de constater que la nouvelle carte d’identification proposée répond aux exigences technologiques et aux normes internationales actuellement en vigueur.C’est pourquoi j’invite les acteurs politiques à se battre sur un terrain qu’ils maitrisent. En matière de technologie, il faut avoir l’humilité de s’adresser à des spécialistes. Les compétences en technologie ne sont pas l’apanage de tout le monde. Lire des articles ou des textes sur internet ne fournit pas les connaissances requises pour s’ériger en expert. L’expertise dans un domaine est l’aboutissement d’un processus complexe découlant de nombreuses années d’études et d’expériences pratiques éprouvées. Je demeure engagé dans mon champ de compétence et me tient disponible pour éclairer l’opinion publique et les acteurs de bonne volonté sur les solutions technologiques qui peuvent aider Haïti à changer de cap et à entrer de plein pied dans le XXIème siècle.