Le Nouvelliste
Le nouveau droit des sûretés (1)
June 15, 2020, midnight
La relance de notre économie requiert des investissements dont l’importance dépasse les ressources de l’épargne nationale. Le peu d’empressement des institutions financières à risquer des sommes importantes ne tient pas seulement à notre environnement sécuritaire. Par rapport aux autres pays de la région, l’obsolescence du droit des affaires haïtien joue un rôle certain dans le manque d’attractivité de notre environnement. Nous souffrons d’un manque de compétitivité et particulièrement d’un manque de compétitivité juridique. La modernisation de la législation des affaires dont certains aspects sont commentés dans ces colonnes vise à combler ce fossé. L’un des aspects de cette obsolescence concerne le droit des sûretés. Les sûretés concourent à la disponibilité du crédit et la législation les régissant doit conforter le potentiel créancier dans sa décision de prêter. À cet égard, le décret du 9 avril 2020, paru au Moniteur, numéro spécial 7, du 14 mai 2020, opère une profonde réforme de la matière dont il convient de présenter ici les grandes lignes. Dans le présent article, nous présenterons les grandes lignes du nouveau droit des sûretés et les sûretés personnelles. Suivront ensuite deux autres articles, l’un présentant les sûretés mobilières où se situe l’essentiel de la réforme, et le dernier consacré à la présentation des sûretés immobilières et des privilèges. Avant l’adoption de ce décret, la législation haïtienne mettait à la réalisation des sûretés des obstacles que l’on ne rencontre pas ailleurs, particulièrement dans le cas des sûretés mobilières. La chose donnée en gage devait faire l’objet d’une procédure judiciaire assortie d’une expertise et d’une vente aux enchères avant que le créancier ne fût satisfait. Cette exigence était difficilement transposable dans le cas de gage d’espèces, ou de nantissement de monnaie scripturale (compte en banque) ou d’instruments financiers. Le pacte commissoire qui permet au créancier de s’approprier la chose gagée sans une procédure judiciaire était prohibé. Le gage était par définition un contrat réel qui se formait par la dépossession d’un bien meuble individualisé en faveur du créancier, à part les exceptions que nous verrons plus tard, d’où son inutilité pour le financement d’acquisition d’équipements industriels, et l’impossibilité de constituer son stock en garantie. Il était quasiment impossible de gager des choses futures. Par ailleurs le créancier gagiste ou nanti vient en concurrence avec d’autres créanciers privilégiés et le code civil n’établissait pas clairement une règle de conflit entre les divers privilèges que sont les privilèges généraux et les privilèges spéciaux, les privilèges mobiliers et les privilèges immobiliers. Pour pallier ces handicaps légaux, la pratique locale a recueilli des instruments contractuels utilisés ailleurs mais ignorés jusque là de notre législation. Nous en prendrons deux exemples. La garantie autonome, (lettre de crédit stand-by), mécanisme contractuel par lequel le garant promet de payer une somme soit à première demande, soit selon des modalités convenues, en garantie d’une obligation souscrite par un tiers. La garantie autonome diffère du cautionnement car, contrairement à la caution, le garant ne s’oblige pas à exécuter l’obligation du débiteur. D’où l’inopposabilité des exceptions qu’aurait pu soulever le débiteur principal. Ces nuances évidentes pour un familier du droit des affaires sont peu accessibles à un avocat ou un juge ignorants de la matière ou tout simplement de mauvaise foi. Une assimilation malencontreuse de la garantie autonome au cautionnement risque de bloquer tout le mécanisme de ce crédit. D’où la nécessité de la consacrer légalement. Le deuxième exemple concerne la propriété retenue comme garantie exprimée dans les contrats de vente par la clause de réserve de la propriété. L’ensemble de la doctrine et la jurisprudence s’accordent pour la classer au rang des sûretés. Par cette clause, l’effet translatif de la propriété est suspendu au paiement intégral de la chose vendue par dérogation à la règle supplétive qui rend la vente parfaite dès l’échange de consentement sur la chose et le prix. Cet instrument trouve son intérêt dans le financement d’équipement industriel ou commercial. La propriété retenue comme garantie n’était pas réglementée. Ce qui entraînait un manque de sécurité juridique pour les autres créanciers qui pouvaient avoir accordé un crédit sur la base d’un patrimoine surévalué puisqu’en cas de faillite ou de déconfiture un des éléments du patrimoine convoité par la masse des créanciers se verrait revendiqué par son véritable propriétaire. Des créanciers pouvaient même avoir reçu en gage un bien non encore entré dans le patrimoine du débiteur. Le créancier ayant retenu la propriété en garantie ne jouissait pas non plus d’une sécurité juridique à toute épreuve ; l’absence de publicité le privant du droit de suite. Vis-à-vis d’un acquéreur de bonne foi, ses prétentions pouvaient être anéanties devant le principe « en fait de meubles, possession vaut titre ». Pour pallier ces lacunes juridiques, au lieu d’une réflexion globale sur le droit des sûretés, le législateur haïtien avait procédé jusqu’ici à des réformes ponctuelles ne portant que sur le gage sans dépossession. Opérant un progrès limité, un premier groupe de textes permit d’offrir en garantie des équipements industriels, du cheptel etc., mais les créanciers bénéficiaires de ce nouveau type de gage n’étaient que la défunte BNDAI et les sociétés financières de développement (en pratique, seulement deux institutions financières). Un second texte, la Loi du 27 novembre 2008 sur le Gage sans Dépossession, a ouvert à tous les dispensateurs de crédit ce mécanisme de garantie. Procédant d’une maîtrise approximative des concepts juridiques, la loi du 27 novembre 2008 assimilait au gage sans dépossession le nantissement des titres de créances en ignorant que l’ensemble des valeurs mobilières peut faire l’objet de gage, tout en permettant l’enregistrement d’une vente avec réserve de propriété qui est tout sauf un gage ; les dispositions sur le gage de stock étaient insuffisamment précises et surtout, le texte de 2008 ignorait les autres types de garanties que la pratique moderne a découverts. Elle n’innovait pas suffisamment en maintenant l’interdiction du pacte commissoire ce qui constituait un frein à la soumission au droit haïtien de contrats de financements en provenance de l’étranger. Devant la nécessité d’améliorer le climat propice aux investissements, le décret étudié saisit l’opportunité de moderniser l’ensemble du droit des sûretés. Il vise ainsi à renforcer d’un coup l’attractivité du droit haïtien particulièrement vis-à-vis du secteur bancaire désireux de sécuriser les capitaux locaux ou internationaux susceptibles de financer le commerce ou l’industrie. Le système du droit international privé s’en trouvera harmonisé car la règle de conflit haïtienne permettra désormais la réalisation en Haïti de sûretés constituées sous l’empire d’une loi étrangère, comportant alors des mécanismes connus du droit haïtien. En réalisant cette réforme, une question se posait à savoir s’il fallait préparer un texte spécial ou inclure les nouvelles dispositions dans les codes existants. Le Gouvernement a opté pour l’inclusion de l’essentiel des nouvelles dispositions dans le code civil, ce pour trois raisons principales. Le code civil représente la constitution civile des Haïtiens, le texte qui réglemente tous leurs rapports. Si les conventions instituant les sûretés peuvent avoir comme parties toutes les personnes, physiques ou morales, commerçantes ou non, le réceptacle naturel de la réforme est bien le code civil. Deuxièmement, les sûretés étant les accessoires des obligations juridiques, il faut donc continuer à les associer dans le code civil. Enfin, il faut éviter la dispersion des textes dans des lois spéciales isolées alors qu’il est déjà assez difficile d’obtenir l’information légale. Cette réforme s’inscrit donc dans les codes existants sans en modifier l’architecture. Par l’effet de cette réforme, Il est créé une loi no. 28-1 intitulée : « Sur les sûretés en général », la loi no. 29 du code civil est intitulée : « Sur les sûretés personnelles », la loi no. 32 du code civil est intitulée : « Sur les sûretés mobilières », la loi no. 33 du code civil est intitulée : « Sur les privilèges et les sûretés immobilières », la section Ière du titre VI du Livre Ier du code de commerce est intitulée : « Du gage et du nantissement ». Nous commençons aujourd’hui, comme annoncé précédemment, par la présentation des dispositions générales sur les sûretés et de celles relatives aux sûretés personnelles. I.- DISPOSITIONS GÉNÉRALES SUR LES SÛRETÉS La loi no 28-1 du code civil, créée par le décret du 9 avril, sur les sûretés en général, contient un premier chapitre qui représente une introduction générale au droit des sûretés annonçant la nouveauté que les sûretés pourront porter sur des biens futurs ou des ensembles de biens. Ce chapitre rappelle le caractère accessoire de la sûreté et annonce les différents types de garanties qui seront régies dans les dispositions suivantes du décret. Le second chapitre de cette loi s’applique aux opérations de financement complexes dont notre milieu a déjà eu à faire l’expérience. En effet, il arrive parfois que des projets d’investissements importants dépassent les capacités de financement d’un seul établissement de crédit et que plusieurs banques et institutions financières s’allient pour financer un projet immobilier ou industriel d’importance. Pour éviter que toutes participent aux procédures de constitution ou de réalisation des sûretés, elles désignent l’une d’entre elles qui agira en son propre nom et au nom des autres ; l’institution financière désignée peut parfois n’être pas créancière d’une obligation garantie. Elle est désignée sous le nom d’agent des sûretés. L’agent des sûretés n’est pas à proprement parler un mandataire. Il n’est pas révocable par chacun des autres créanciers qu’il représente et le produit de la réalisation de la sûreté passe dans son propre patrimoine à charge pour lui de le répartir entre les autres créanciers gagistes ou nantis. La singularité de la fonction d’agent de sûretés est encore plus grande quand il n’est pas lui-même titulaire d’une créance garantie mais qu’il est titulaire d’une sûreté ou que le produit de la réalisation de la sûreté transite par son patrimoine sans qu’il n’en soit propriétaire car il agit au profit d’autrui. Cette particularité réclamait un régime particulier parent mais distinct du mandat et réclamait que l’on y consacre des dispositions particulières que l’on retrouve dans ce chapitre. II.- LES SÛRETÉS PERSONNELLES Le cautionnement était jusqu’à aujourd’hui l’unique sûreté personnelle reconnue par notre droit. Grâce à cette réforme les sûretés personnelles s’enrichissent de deux autres mécanismes, la garantie autonome et la lettre de confort. Conséquemment, la loi no. 29 du code civil s’intitule désormais : « Sur les sûretés personnelles ». A.- Le cautionnement Les dispositions relatives au cautionnement ne connaissent pas de changement majeur à part deux modifications en apparence mineures mais significatives. L’article 1780 comprend deux nouveaux alinéas. Le premier édicte la nécessité de l’acte comportant la mention écrite par la caution de la somme maximale garantie, dans une formule qui admet comme écrit le document électronique, conformément à la nouvelle législation sur la signature électronique modifiant le droit de la preuve en Haïti. Le deuxième réglemente les formalités à remplir dans le cas d’une caution qui ne sait ou ne peut écrire. L’article 1782 est modifié pour éliminer les dispositions relatives à la contrainte par corps, le rendant ainsi conforme à l’article 11 du Pacte Interaméricain sur les Droits Civils et Politiques ratifié par Haïti. B.- La garantie autonome Imaginée par la pratique, cette garantie reçoit une consécration légale pour éviter qu’elle ne soit confondue avec le cautionnement et qu’elle ne donne lieu à des abus. Elle est définie comme l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues (art. 1809-1 al. 1 c. civ.). L’engagement de payer une somme distingue nettement l’obligation du garant de celle de la caution qui doit exécuter l’obligation du débiteur principal. L’inopposabilité des exceptions qui caractérise cette garantie rend nécessaire la protection des particuliers en interdisant que des personnes physiques puissent souscrire cette garantie soit comme donneurs d’ordre soit comme garants. En effet, seules des personnes morales détiennent la surface financière et les ressources humaines et techniques nécessaires pour évaluer le risque et s’engager dans un tel mécanisme. Ce mécanisme est ensuite réglementé pour éviter une constitution ou une réalisation abusive ou frauduleuse (art. 1809-2 à 1809-9 c. civ.). C.- La lettre de confort Le décret donne un fondement légal à la lettre de confort, connue dans la pratique bancaire, qu’il définit comme l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier (art. 1809-10 c.civ.). La qualification de la lettre de confort en obligation de moyens ou en obligation de résultat, l’apparentant à une promesse de porte-fort, dépendra de la précision des termes de cette lettre. Dans le prochain article, nous présenterons les sûretés mobilières.