Le Nouvelliste
Le pacte pour l’éducation[1] 2016-2020 est-il mort ?
June 9, 2020, midnight
« Les signataires s’assurent qu’au cours de la période 2016-2020, l’État haïtien consacrera au financement public de l’éducation le plus élevé des deux montants suivants : soit 35% du budget national, soit 8% du Produit intérieur brut (PIB) du pays. C’est le montant minimum à consacrer au financement public de l’éducation ». Le pacte pour l’éducation signé le 19 octobre 2015 signé par de nombreux candidats à la présidence, aurait pu être le mouvement de fond de la dernière décennie pour réduire les inégalités sociales et la ségrégation scolaire en Haïti, comme l’est aujourd’hui le “Pacto Educativo” dominicain qui a mobilisé aussi candidats à la présidence, parlementaires, société civile. En réussissant à faire avancer l’agenda des réformes éducatives et à doubler ses allocations au secteur de l’éducation, la république Dominicaine a pu tant bien que mal pratiquer en plein COVID-19, la continuité pédagogique numérique grâce à une distribution massive d’ordinateurs et de tablettes dans ses écoles publiques, qui représentent 75% de l’offre scolaire. Certains diront que notre pacte national pour une Education de qualité n’est jamais né, malgré ses 10,000 signataires, également candidats à la présidence, parlementaires, directeurs d’écoles, directeurs de médias (ANMH, AMIH), professeurs, artistes, journalistes etc... Ils n’auront pas tout à fait tort car, cinq ans après, la signature de ce pacte prévu déjà dans les recommandations du Groupe de Travail sur l’Education et la Formation (GTEF) de 2010, peu s’est passé, ni au niveau des réformes ni au niveau du financement. L’arrêté présidentiel portant réforme des établissements scolaires de la république de septembre 2014 (12 mesures) et le pacte qui reposaient sur la continuité des axes du Plan Opérationnel 2010-2015 ont eu peu de suivi. Au contraire, en novembre 2016, le gouvernement d’alors choisissait de lancer officiellement la rédaction d’un nouveau plan décennal 2017-2027[2], encore dans la phase d’élaboration aujourd’hui encore. Entretemps, les financements internationaux ont ralenti faute en partie d’un nouveau plan sectoriel et les financement nationaux également comme le montre ce tableau. De 20% à la signature du pacte en 2015, l’allocation relative du secteur de l’éducation est passée à 10% dans le budget 2019-2020. Pareil en valeur absolue, passant de 23 milliards de gourdes en 2015 qui représentait environ 400 millions de dollars à environ 21 milliards de gourdes représentant environ 200 millions de dollars aujourd’hui. On peut facilement imaginer la dégradation graduelle des conditions de vie du corps enseignant et l’impact au niveau de la salle de classe. Tout ceci, dans un pays qui disposait de moins de 90 dollars par tête pour scolariser ses enfants, contre 1000 dollars en république dominicaine, vu que ses recettes fiscales annuelles sont 10 fois moins que la république voisine. Il est donc tout à fait « normal » que le parc public d’éducation ne soit que de 20%, cinq ans plus tard. La subvention aux écoles privées, sans contrepartie même d’accréditation, ne peut être une solution durable. Certes, les montants inscrits dans les budgets ne suffisent pas pour analyser les priorités. Trop de montants sont noyés dans des dépenses de salaires de fonctionnaires inutiles, de primes et autres, au niveau de Port-au-Prince. A cela, il faut ajouter que souvent, même avec des budgets d’investissement importants, les décaissements n’ont pas lieu, faute de projets rédigés et crédibles. Néanmoins, ils restent des indicateurs de base pour le pays et les partenaires internationaux. Le modèle actuel de financement des 80% d’écoles privées supportées par des parents pauvres et des 20% d’écoles publiques mal financées par l’Etat, n’est ni soutenable économiquement, ni viable socialement. Avec la dégradation de la situation économique, la dépréciation de la gourde, cela risque de conduire à terme à un chaos social. Cela ne peut conduire à terme qu’à un chaos social. Rappelons-nous aussi que nos problèmes d’inégalités, d’insécurité, de vulnérabilités, incluant de santé publique, découlent en majeure partie du non-investissement et du mauvais investissement que nous faisons dans l’éducation. La COVID-19 nous rappelle aujourd’hui que l’éducation de qualité demeure le premier des vaccins. Donc, la formation et certification des maîtres, la condition enseignante, l’accréditation des écoles, la poursuite des réformes en particulier sur l’aménagement linguistique, les nouveaux curricula de la petite enfance et du nouveau secondaire, le suivi de la loi sur la formation technique et professionnelle font partie des urgences qui ne peuvent plus attendre, ni dépendre des financements extérieurs. Aujourd’hui, face à l’échec du pacte comme modèle de consensus, il devient nécessaire de mettre sur la table l’option du Costarica qui a choisi d’indiquer dans sa constitution l’exigence de 8% au minimum du PIB pour l’éducation, avec les résultats qu’on connaît. Pour arriver à faire le suivi des réformes et les financer, l’Office du Partenariat pour l’Education (ONAPE) qui n’a pas non plus tenu ses promesses devra désormais exercer sa mission de table de dialogue permanent. Il est aussi grand temps de mettre sur pied le Conseil Supérieur de l’Education et de mobiliser d’autres mécanismes de concertation, en particulier les Commissions Municipales d’Education (CME), le groupe des partenaires locaux d’éducation etc. Plus que jamais, pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village. Au prochain pacte, dans la nouvelle constitution, qui devra aussi être un engagement en faveur des réformes politiques et éthiques capables de faire croitre parallèlement l’économie locale et nationale avec le capital humain nécessaire. [1] https://lenouvelliste.com/article/151274/le-pacte-national-pour-une-education-de-qualite-presente-aux-candidats-a-la-presidence [2] http://www.hpnhaiti.com/nouvelles/index.php/societe/54-education/2005-haiti-education-lancement-du-processus-d-elaboration-du-plan-operationnel-post-2015