Le Nouvelliste
La sous-traitance textile en Haïti au temps du coronavirus
May 12, 2020, midnight
Après les envois de fonds de la diaspora, le secteur de la sous-traitance textile représente la deuxième source de devises brutes pour Haïti. Des estimations de l’USAID font de ce secteur d’activité le plus grand employeur formel du secteur privé, avec 55 000 emplois directs pour environ 40 000 emplois indirects. Comptant pour 90% des exportations totales du pays, la sous-traitance a affiché une insolente croissance de 10% en 2019 malgré les épisodes de « peyi lòk ». Ces quelques statistiques suffisent pour illustrer le fort potentiel de ce secteur et son importance vitale pour l’économie nationale. Pourtant, de l’avis de Pedro Andres Amo, spécialiste senior du secteur privé à la Société financière internationale (SFI), membre du Groupe de la Banque mondiale dont les activités concernent exclusivement le secteur privé dans les pays en développement, le secteur textile en Haïti fait face à « un manque d'analyse ». En effet, les décisions concernant le secteur ne prennent pas toujours compte des données et informations actualisées. Une coordination existe entre les différents acteurs mais, constate-t-il, elle a besoin d’être renforcée. Le spécialiste senior de la SFI a livré ces réflexions sur le secteur de la sous-traitance textile lors d’une intervention à la 10e édition du Sommet international de la finance organisée virtuellement du 28 au 30 avril 2020 par le Group Croissance et ses partenaires. Malgré cette carence de lisibilité, Pedro Andres Amo a rapporté qu’avant la crise causée par le Covid-19, on prévoyait dans les 5 prochaines années que le secteur pourrait attirer 200 000 emplois au total et 3 milliards de dollars d’exportation, c’est-à-dire une multiplication par 4 des volumes actuels des emplois et des exportations. Avec l’apparition du virus, les impacts n’ont pas mis trop de temps pour secouer le secteur provoquant la fermeture des usines – rouvertes depuis sous condition – alors que dans le même temps les acheteurs internationaux réduisent ou annulent leurs commandes. De plus, au-delà du ralentissement de l’économie mondiale affectant la demande des vêtements, l’accès au financement pour les producteurs locaux devient de plus en plus difficile tout en obscurcissant la lisibilité sur le futur, rendant très difficile tout exercice de planification. Malgré ce tableau sombre, Pedro Andres Amo dit entrevoir des opportunités potentielles à court terme dans ce secteur très important pour l’économie d’Haïti. « La demande d’Équipements de protection individuelle (EPI) est en augmentation pas seulement en Haïti mais à travers le monde. Cette augmentation semble ne pas être à court terme. Après quelques modifications dans les systèmes de production, certaines usines en Haïti sont déjà en train de produire des masques, des blouses et d’autres produits de protection », a souligné le spécialiste senior, avertissant que ce matériel de protection n'est pas la panacée ou la solution finale du secteur mais il peut servir de passerelle vers la prochaine phase. M. Amo a ensuite relevé des initiatives de réduction des coûts et la combinaison de la sous-traitance traditionnelle de grandes entreprises avec des opérations plus petites, pouvant être compétitives, comme deux autres opportunités à court terme. « Dans un contexte de baisse de revenus pour les entreprises, des initiatives telles que le paiement électronique des salariés peuvent réduire l'utilisation des ressources », a soutenu Pedro Andres Amo, annonçant que la Banque mondiale va financer des ateliers de couture de seulement 20 personnes. « La coordination reste l'élément clé de la réussite. Les parties prenantes pourraient élaborer une stratégie commune pour relever le défi mais aussi optimiser les avantages apportés par la crise. Cette stratégie peut donner plus de certitude aux opérateurs. Le partage des informations est important, des analyses pouvant aider à la prise de décision plus informée aussi. Des prises de décision pas seulement sanitaires mais économiquement rationnelles. Cela peut sauver des emplois », a prescrit le spécialiste senior en termes d'actions clés pour assurer la survie du secteur sur le court terme. Pedro Andres Amo a aussi plaidé pour la mise en place de plans de continuité et des activités afin de permettre au producteur d’avoir une feuille de route claire en vue de faire face aux possibles scenarii de la crise. En d’autres termes, il faut se focaliser sur le court terme, car on fait face à une crise énorme, et aussi avoir une vision sur le long terme. La création de marchés et d’opportunités d'investissement ainsi que l’amélioration de la compétitivité à long terme grâce à des fonds d'investissement dans les infrastructures, incluant des zones économiques intégrées offrant des services complets, constituent les deux opportunités sur le long terme pour le secteur relevées par Pedro Andres Amo. « Haïti pourrait devenir la prochaine destination d'approvisionnement en vêtements. [La firme] McKinsey a identifié Haïti comme un pays bien positionné pour le rapprochement de la production de proximité (nearshoring) pour les États-Unis », a indiqué le spécialiste senior. Pour que cela arrive, il faudra travailler sur l’amélioration de la compétitivité à long terme et se focaliser sur les investissements dans les infrastructures.