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Le Nouvelliste

Haïti, le Printemps de l’Art : itinéraire d'excursionnistes émerveillés au contact des galeries d’art

Jan. 26, 2021, midnight

8 heures 30 minutes. Nous sommes devant le Karibe Convention Center, le samedi 23 janvier. Temps ensoleillé. Vent timide. Présence policière (Politour). Tout est fin prêt, le bus vient d’arriver. Dans le respect des mesures barrières, les voyageurs s’installent confortablement, entreprennent entre eux des échanges nourris, témoignage de l’alchimie créée par la première journée d’excursion du samedi. Les 31 degrés Celsius affichés dans l'autobus ne peuvent apaiser la chaleur d’aventurier des gens qui ne cessent de se remémorer les souvenirs d’hier et d'anticiper sur ceux qui les attendent. Nous arrivons à Espas Estetik à Fermathe 53, notre première destination. Emmelie Prophète et Pascale Faublas, la vedette du jour, nous accueillent avec leur sourire plein de grâce. En effet, Espas Estetik  est le siège d’une exposition de Faublas, appelée «Miwa Fanm», « une expression poétique d’une série appelée Fanm qui parle de l’esprit féminin, du divin féminin». Elle a débuté en 2018 présentant « un peu une autre Pascale assez monochrome auparavant mais qui utilise beaucoup plus de rouge, de rose dans cette série ». Elle expose entre autres diverses images de la femme comme son sexe. D’autres qui expriment le syncrétisme dans le vodou haïtien, tel que «Fanm pa la vyèj», un tableau en 12 petits formats qui reprennent des vierges dans la religion judéo-chrétienne qui sont les égales de Fréda et de Dantor dans le vodou également exposées. Une particularité qui laisse les aventuriers  sous le charme. Curieux, ils bombardent l’artiste de questions parfois malicieuses; maîtrisant son sujet, Faublas s’en sortait avec aisance et sarcasme. Pascale Faublas est la première chouchou de ce public qui possède l’art d’apprécier. Nous prenons la direction de la galerie Festival Art, propriété de Marie Alice Théard. Moins souriante que les deux premières dames, mais beaucoup plus chaleureuse et enthousiaste, elle fascine le public autant que ses 70 tableaux et autres œuvres d’art d’artistes et d’artisans contemporains haïtiens exposés dans sa galerie. L’agencement des œuvres d’art manifeste l’expression d’un travail scénographique impeccable. À côté de chaque grand maître, nous raconte-t-elle, elle place l'œuvre d’un artiste en herbe. D’une simplicité banale nous pourrions voir un tableau, mais c’est bien avant qu’elle  la présente et qu’elle raconte l’histoire qui se cache derrière lui. Une approche qui change assez souvent toute une appréciation autour de l’œuvre. D’ailleurs, Alice Théard possède une histoire pour chacun de ses tableaux. C’est une bibliothèque ambulante, des archives ; elle est riche en anecdotes. Elle maîtrise l’histoire de l’art plastique haïtien sur le bout de ses droits ; elle est l’une des rares docteures en Histoire de l’art en Haïti. Si Mme Théard n’est pas artiste, elle est en revanche écrivaine,  l’auteur de Présence féminine dans l’art haïtien. Un livre qui parle des réalisations faites par les femmes haïtiennes dans le domaine de l’art en Haïti comme à l’étranger. Racontons pendant que nous y sommes, qu’à cause de cet ouvrage, elle a fait tout un procès avec notre animateur culturel Dominique Domerçant qui vient d’ouvrir un Musée des femmes qui malheureusement ne l’avait pas conviée le jour de l’inauguration. Pour une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui ne fait pas usage de la langue de bois, elle a reglé son compte à l’ancien de l’ENARTS, qui, tant bien que mal, essaie d'avancer des explications pour se sortir du gouffre. À Festival art, au-delà de toute une collection qui expose des maîtres et des jeunes artistes baignée dans le vodou, la riche campagne haïtienne, le quotidien des paysans et paysannes, des histoires politiques, les excursionnistes ont pu rencontrer une dame vivace de grande culture, qui vit et respire l’art. L'entrée de la Galerie Monnin est un peu corsée. Plus de deux chiens ont effrayé les aventuriers. Une frayeur vite oubliée au contact de l’hospitalité de Pascale Monnin, directrice de la galerie et artiste également. Conviviale, elle ne perd pas de temps; elle introduit le public à l’œuvre de Patrick Ganthier, dit Killy, qui partage le rez-de-chaussée  avec André Blaise. Le premier étage comporte exclusivement les œuvres de Frantz Zéphirin. Un ami de longue date de madame Monnin qui nous gâte avec des anecdotes illustrant le peintre, certaines beaucoup plus intéressantes que d’autres. Ce qui a sublimé l’assistance, c’est la diversité de l’œuvre de Zéphirin dont certaines sont réalisées pour l’occasion. Il peint sur l’amour, les problèmes sociaux, politiques du monde en général et d’Haïti en particulier. Il possède même un tableau qui présente « la dame  coronavirus ». Le Capois a « l'esprit du détail », renchérit Monnin. Chaque point, chaque signe sur son tableau exprime une pensée et ne doit pas être pris à la légère. Quoiqu’il se soit fait  une notoriété, à voir l’étonnement des visiteurs, on aurait dit qu’ils étaient en passe de découvrir un jeune artiste ou une autre facette de l’artiste. Frantz Zéphirin est sans doute l’artiste qui a le plus marqué cette deuxième journée d’excursion. Le dernier rendez-vous avec les galeries nous conduit à Pèlerin 1, chez Jacinthe V. Zéphir, propriétaire de la Galerie des trois visages, réservée pour l’occasion à l’exposition de différents types de dessins. Céleur, Iris, Samdi, Nico sont les artistes qui sont exposés. Le fameux Thony Louis, de son vrai nom Anthony Louis-Jeune, est également exposé. Présent sur les lieux, ce dernier explique l’essence de ses œuvres aux aventuriers qui s’approprient davantage les travaux  d’un artiste qu'ils avaient l’habitude d’apprécier de loin. Ils sont étonnés des chemins déjà parcourus par le jeune artiste qui est aussi bédéiste, peintre, sculpteur et musicien. Il a travaillé avec Rich Buckler, l’un des créateurs des super-héros Deathlok et All-star Squadron, sur plusieurs pièces de collection ainsi que des posters pour Marvel et DC Comics. Une opportunité dont il a bénéficié à la suite d’une interview avec l’humoriste américain M. O’Brien lors de laquelle la promotion de sa bande dessinée «Djatawo» a été assurée.  Après la pause-déjeuner chez Kay atizan, un restaurant qui s’est créé une belle renommée auprès des excursionnistes, nous nous rendons à l’école St-Joseph des Frères de l’Instruction Chrétienne, à Festi Grafiti  pour admirer des photographes, un sculpteur, des graffeurs en œuvre dans leur spontanéité. Nous finissons l’excursion en beauté à l’Université Quisqueya, visitant les artistes de rue, eux aussi se produisant sur place sous le regard curieux du public.