Le Nouvelliste
Brésil-Haïti, l'aventure migratoire continue
Nov. 5, 2019, midnight
Le Nouvelliste: L’immigration haïtienne vers le Brésil a connu un pic après le séisme de 2010. Près de dix ans plus tard que disent les statistiques ? Fernando de Mello Vidal: Àprès le triste épisode du séisme du 12 janvier 2010, face à la situation sociale déplorable et infrastructurelle à laquelle Haïti était confrontée, avec la détérioration des conditions économiques déjà précaires, le Brésil était l'option privilégiée pour la migration. La présence de la MINUSTAH sous le commandement général de l'armée brésilienne, l'important contingent brésilien qui interagissait avec le peuple haïtien, la nature amicale et réceptive du Brésilien et ses similitudes culturelles avec le peuple haïtien, la présence d'ONGs et d'églises opérant dans la reconstruction du pays, ont tous contribué à cette option privilégiée. Un autre aspect qui motive la migration vers le Brésil est la présence d’une diaspora haïtienne importante dans le pays. À partir de 2017, avec la nouvelle loi sur l'immigration brésilienne, les Haïtiens ont commencé à voyager sous l’égide de la nouvelle loi sur l'immigration, qui autorisait l'octroi de visas d'aide humanitaire et de regroupement familial, facilitant et offrant ainsi toutes les conditions légales pour l’obtention de la résidence permanente, et du même coup, l’opportunité de travailler et de faire des études pour les migrants et leurs parents directs. Aujourd’hui, on estime à environ 100 000 le nombre de citoyens haïtiens vivant au Brésil, dont 50 000 travailleurs inscrits au registre du travail. Selon le secteur consulaire de l’ambassade du Brésil à Port-au-Prince, on estime que plus de 80 000 visas ont déjà été accordés entre 2012 et 2019: a. 2012: 1.404 b. 2013: 5.186 c. 2014: 6.994 d. 2015: 17.150 e. 2016: 18.989 f. 2017: 12.252 g. 2018: 9.015 h. 2019: 5.753 (jusqu’au 30 septembre) i. Total: 79.995 Ce ne sont pas tous les Haïtiens qui ont émigré au Brésil au cours de ces 10 années d’immigration, qui ont pu obtenir la résidence permanente du Brésil. Beaucoup d’entre eux ont quitté le Brésil pour aller s’établir dans d’autres pays d’Amérique du Sud tels que l’Argentine, le Chili, le Pérou, l’Uruguay, sans mentionner les routes migratoires traditionnelles comme les États-Unis et l’Europe. L.N. : Quelle est la tendance aujourd’hui ? F.deM.V. : Ça continue. Le secteur consulaire de l’ambassade du Brésil à Port-au-Prince continue à accorder environ 1000 visas humanitaires par mois. Les récentes troubles politiques, qui obligent parfois à la fermeture de l’ambassade, ne nous aident pas à maintenir ce haut niveau mensuel tous les mois. L.N. : Comment le Brésil voit la présence haïtienne ? F.De.M.V. : Les enregistrements parvenus au secteur consulaire de l'ambassade sont positifs. Les immigrants haïtiens sont réputés éduqués, serviables, discrets, travailleurs et possédant certaines qualifications et spécialisations. En général, ils effectuent des stages dans la construction, l'agriculture, l'hôtellerie, la restauration, l'assistance hospitalière entre autres. Voici une observation très importante. La diaspora haïtienne au Brésil est très organisée. Elle dispose d’une association d’Haïtiens qui soutient l’arrivée de nouveaux immigrants, les accueille, les nourrit, les guide dans le cadre des procédures juridiques et bureaucratiques avec les autorités migratoires brésiliennes. Assez souvent, elle réussit à trouver du travail pour ces Haïtiens. Au cas où il s’avèrerait nécessaire, elle fournit également une assistance juridique par le biais d'avocats qu’elle-même embauche. L.N. : Quel est en moyenne le nombre d’Haïtiens qui sollicitent un visa pour se rendre au Brésil ces deux dernières années par exemple ? F.De.M.V. : En Haïti, le gouvernement du Brésil et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont conclu un accord de coopération pour le traitement des visas de regroupement familial et humanitaire depuis 2015, avec la création au local de l’OIM, du centre de réception des demandes de visa pour le Brésil (BVAC). Cet accord permet de guider le demandeur et de le soutenir lors de la collecte des documents nécessaires, la numérisation et le traitement du formulaire RER (Request Delivery Record) et de ses pièces jointes, en validant la véracité des informations présentées et l’authenticité des documents comme autres aspects non moins importants. Les dossiers finalisés à ce noveau sont transférés au secteur consulaire de l'ambassade pour un traitement rapide. Il n’y a pas de frais pour ces types de visas. L'OIM demande des frais administratifs qui sont de 60 USD (soixante USD), lesquels frais servent à couvrir l'installation, l'embauche du personnel spécialisé, la formation, l'achat et la maintenance du matériel informatique, et autres dépenses. Selon les statistiques de l'OIM, en 2018 il y a eu environ 6 500 demandes de visas d’aide humanitaire et de réunion familiale, dont 6 000 ont été traitées cette année. Les 500 autres ont été traitées en 2019 en raison de l'augmentation du nombre de demandes. À ce propos, il y a déjà eu jusqu’à présent environ 5 000 demandes de traitement. L.N. : Pour quels motifs ? F.De.M.V. : Parce que les conditions du pays n'ont pas changé. Les problèmes politiques, économiques et institutionnels compromettent encore les investissements étrangers, l'amélioration du climat des affaires, la création d'emplois sont entre autres des aspects qui éviteraient aux individus de quitter le pays en quête d'opportunités. L.N. : Au moment où nous parlons, le regroupement familial se poursuit? F.De.M.V. : Oui, comme mentionné précédemment, la communauté haïtienne au Brésil est très importante et nombreux sont ceux qui, à l'origine, n'y avaient pas de la famille, et après s'être installés dans le pays, demandent un visa de regroupement familial pour permettre à leurs familles et plus particulièrement à leurs enfants de faire des études et dans le futur, de travailler. L.N. : Il y a de nouveaux venus ? F.de.M.V. : Oui, chaque jour, des Haïtiens arrivent au Brésil. L.N. : Comment se répartissent les Haïtiens du Brésil? F.de.M.V. : La diaspora haïtienne au Brésil est présente dans presque tous les États du Brésil. De 2004 à 2014, il y a eu une certaine concentration dans les États du nord du pays, en raison des caractéristiques de la migration à cette époque, comme je l'ai mentionné précédemment lors des voyages clandestins, sans documentation adéquate, traversant les rivières et la forêt amazonienne, entrant dans le pays par-delà les frontières du Pérou et de la Bolivie principalement. À partir de 2015 et surtout en 2017, avec l'application de la nouvelle loi sur l'immigration, les destinations sont devenues les États du sud-est et du sud du Brésil, pour deux raisons fondamentales. Tout d'abord, parce que ce sont des régions du pays économiquement plus développées et, par conséquent, plus aptes à absorber la main-d'œuvre immigrée. Une autre caractéristique concerne le type de visa qui a été accordé aux immigrés haïtiens. Les visas humanitaires imposent aux immigrants de suivre la procédure de résidence permanente dans les 90 jours qui suivent leur arrivée, faute de quoi ils devront quitter le pays et se rendre dans une mission consulaire du Brésil à l'étranger pour prolonger leur visa de 90 jours. C’est fait à partir des États du Midwest, du sud-est et du sud du Brésil, qui ont des frontières avec d'autres pays d'Amérique du Sud. Au niveau logistique, cela aide l'immigrant qui se trouvait dans cette situation à demander l'extension de son visa et à résoudre les problèmes juridiques et bureaucratiques pour son établissement dans le pays. L.N. : La motivation première des Haïtiens qui partent pour le Brésil, c'est pour y trouver du travail. Est-ce que parallèlement vos services consulaires délivrent beaucoup de visas étudiants ? F.de.M.V. : Pas beaucoup. Les visas d'étudiant exigent des conditions telles que faire partie d’un établissement d'enseignement en Haïti, recevoir une acceptation d'un établissement d'enseignement au Brésil, disposer d'une assurance-maladie au Brésil, du paiement des frais de scolarité, entre autres. Cependant, il est possible de postuler aux programmes spécifiques qui acceptent des étudiants de différents pays, y compris Haïti. La majorité des visas d'étudiant accordés récemment sont délivrés aux membres d'églises de confessions et d'obédiences différentes, dont l’objectif principal est la formation théologique, philosophique et pastorale. Les demandeurs de ces visas font partie d’entités religieuses opérant dans le pays. Chaque année, des dizaines d’étudiants haïtiens sont sélectionnés pour participer à des programmes comme PEC-G, PEC-PG, UNILA et OEA, offres des places universitaires gratuites. L.N. : Vous avez une idée du nombre d'étudiants haïtiens qui font leurs études dans les universités brésiliennes et les filières qu'ils priorisent ? F.de.M.V. : Il est difficile d’en déterminer le nombre exact, car de nombreux Haïtiens au Brésil deviennent étudiants tout au long de leur séjour et le gouvernement n’en sait rien. Mais comme indiqué dans la réponse précédente, des dizaines d’étudiants haïtiens reçoivent une bourse pour se rendre au Brésil chaque année. En 2019, près de 100 étudiants ont déjà été sélectionnés. Ils fréquentent différentes universités sur tout le territoire brésilien, à Ceará (région du nord-est), à Rio Grande do Sul (région sud), à Minas Gerais (région du sud-est). entre autres. L.N. : Est-il facile pour un Haïtien de faire des études au Brésil, d'intégrer une université brésilienne ? D’obtenir une bourse? F.de.M.V. : Les similitudes entre les langues française et portugaise facilitent l'intégration des étudiants haïtiens, qui ont montré des résultats très positifs dans les études qu'ils développent dans leurs établissements d'enseignement. Le diplôme délivré par les universités brésiliennes offre de meilleures opportunités aux Haïtiens diplômés. L.N. : Quels sont les points forts de la coopération entre Haïti et le Brésil? F.de.M.V. : Le point fort de la coopération technique entre le Brésil et Haïti réside probablement dans les principes de la coopération Sud-Sud. Quelle que soit la taille du projet, le souci constant de maintenir la communication entre toutes les parties impliquées (Brésil, Haïti, agences internationales) garantit que des solutions définies conjointement répondent efficacement aux besoins haïtiens. C’est ce paradigme qui a été appliqué, par exemple, à la construction et à la maintenance des trois hôpitaux communautaires de référence de Carrefour, Bon-Repos et Beudet et qui, avec la forte implication du gouvernement brésilien, du MSPP et des agences impliquées (UNOPS, PAHO, PNUD), devrait apporter des solutions sanitaires durables au peuple haïtien. L.N. : Quels sont aujourd’hui les axes de cette coopération? F.de.M.V. : La référence pour le Brésil en termes de développement de projets de coopération en Haïti est le « Plan de Développement Stratégique d'Haïti », préparé par le ministère de la Planification et de la Coopération externe en 2012 dans le but de transformer la nation haïtienne en un pays émergent à l'horizon 2030. Des ajustements au plan, tels que les priorités définies par l'actuel président de la République, sont également envisagés. L.N. : Après le départ des troupes brésiliennes d’Haïti, que privilégie le Brésil dans sa coopération avec Haïti et Haïti avec le Brésil ? F.de.M.V : L'objectif principal du Brésil dans le cadre de sa coopération avec Haïti est d'assurer le développement durable de ce pays. La priorité réside, dans la préparation des projets, les besoins présentés par le gouvernement haïtien dans le cadre du plan de développement stratégique mentionné ci-dessus. L.N. : À combien s'élèvent les échanges commerciaux entre Haïti et le Brésil et vice versa? F.de.M.V. : En 2017, le Brésil a exporté vers Haïti surtout des produits en céramique pour un montant de US$ 68 millions de dollars américains. À l'inverse, il a importé pour un montant de 1 million de dollars américains des huiles essentielles de fleurs. L.N. : À combien s'élèvent les envois de fonds des migrants haïtiens vers Haïti ? F.de.M.V. : - Transferts de la diaspora haïtienne en 2015 (pas de données plus récentes): - États-Unis: US$ 1,3 milliard. - République dominicaine: US$ 490,4 millions. - Canada: US$ 133 millions - France: US$ 89,04 millions. - Chili: US$ 87 millions - Brésil: US$ 57,6 millions. L.N. : Dans le classement des pays émetteurs d'envois de fonds vers Haïti, quelle position occupe le Brésil ? F.de.M.V. : Il est important de souligner qu'Haïti est la principale destination des ressources brésiliennes pour la coopération technique Sud-Sud, avec des projets fondamentaux liés à l'agriculture, à l'éducation et à la santé, tels que détaillé dans les questions précédentes.