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Le Nouvelliste

Covid-19 : quasiment autant de guéris que de morts, le Dr Ernst Noël analyse la situation

May 6, 2020, midnight

Avec un taux de létalité de 11%, aucun pays proche d'Haïti, économiquement ou démographiquement, ne fait face à un taux de létalité aussi élevé. Pour 8 480 cas confirmés, la République dominicaine enregistre à présent 345 décès, soit un taux de létalité de 4%. 473 cas confirmés, 9 décès et 56 guéris, soit un taux de létalité de 1.9% résument la situation actuelle de la Jamaïque. En Équateur, le taux de létalité est de 4.92% ; en Bolivie, elle est de 4.8%. Sur 261 cas confirmés, aucun décès n'a été rapporté au Rwanda, selon le site de l'université Johns Hopkins qui collecte ces données à travers le monde. Dans une entrevue exclusive accordée au quotidien Le Nouvelliste, le Dr Ernst Noël, licencié en bactériologie et en virologie, essaie de comprendre la réalité du Covid-19 en Haïti à travers les chiffres. «Nous avons une population qui ne va généralement pas à l'hôpital pour des symptômes comme une grippe ou une fièvre. Souvent les cas sont déclarés dans un état assez grave. Nous avons, en plus des comorbidités parfois non diagnostiquées, un statut immunitaire assez faible qui pourrait expliquer un risque de décès plus élevé en Haïti. Au final, on observe une prise en charge hospitalière qui ne cadre pas avec la réalité haïtienne », avance de façon condensée le professeur de virologie en guise d'explication concernant le taux de létalité en Haïti.  4 millions d'Haïtiens sont menacés par l'insécurité alimentaire. La drépanocytose est plus fréquente chez les Noirs, les maladies chroniques ne sont pas contrôlées, la tuberculose et le sida font partie des problèmes qui expliquent pourquoi le pays doit toujours rester sur ses gardes par rapport au Covid-19, estime le Dr Ernst Noël.  Une prise en charge négligée  «Aujourd'hui, on entend parler beaucoup plus de l'argent de la prise en charge que de la prise en charge elle-même», se désole le spécialiste en maladies infectieuses.  En outre, il a fait remarquer que "s'il existe un protocole de prise en charge, il n'est pas connu du côté des personnels impliqués dans la chaîne de soins en Haïti." Qu'à cela ne tienne, le protocole ne doit pas mimer ce qui se fait ailleurs sans prendre en compte la réalité du pays. "Pourquoi les plus grands centres hospitaliers du pays hébergent des centres de traitement du Covid-19? Les patients qui nécessitent des soins lourds liés aux autres pathologies chroniques, où vont-ils se rendre? Pensez-vous que les hôpitaux ont la capacité de contenir le virus dans une unité spécifique? Comment faire pour éviter la propagation du virus dans un grand centre hospitalier? La population se sentira-t-elle en confiance pour aller dans ces centres qui traitent des cas de Covid-19? Est ce qu'on a communiqué suffisamment sur ce sujet?", autant de questions pour lesquelles, le virologue Ernst Noel souhaite apporter des éléments de réponse.  Pour ce professeur qui occupe le poste de directeur du programme national de sécurité transfusionnelle au ministère de la Santé publique et de la Population, il faut utiliser les hôpitaux de deuxième échelon un peu partout à travers le pays dans la prise en charge du Covid-19, notamment dans la prise en charge des cas légers et modérés. Parce que, a-t-il compris, dans l'évolution de la maladie, ce sont les cas légers et modérés au début qui se transforment le plus souvent en cas sévères.  «La population est sous-testée, il faut réquisitionner les laboratoires des hôpitaux départementaux pour faire tous les tests liés à la prise en charge du Covid-19, et les laboratoires des hôpitaux universitaires pour rechercher le SRAS-COV-2», conseille le spécialiste en microbiologie, qui estime que souvent ce sont les infections opportunistes qui tuent à l'hôpital, d'où la nécessité de penser à utiliser les antibiotiques dans la prise en charge. Pour une population qui n'aime pas se rendre à l'hôpital, avoir des centres de traitement Covid-19 dans les grandes villes ne va pas aider. Il faut des centres de proximité. La prévention et les prévisions  Toujours dans cette entrevue, le professeur de bactériologie exprime des réserves sur la manière dont on a autorisé le fonctionnement des industries en plein confinement. «Cela a envoyé un mauvais signal en termes de prévention. Alors qu'on n'est pas encore au pic de la maladie, la population a tendance à baisser la garde. C'est comme si le Cap le plus décisif de la maladie avait été franchi.» À cela s'ajoute, selon le Dr Noël, la façon dont les prévisions catastrophiques ont été annoncées. "Une fois que la population constate que les jours avancent et que le Covid-19 n'a pas causé les dégâts annoncés, elle a tendance à minimiser la maladie." A ce titre, il invite la commission multisectorielle et la commission scientifique à fournir des explications à la population sur l'évolution de la maladie, les caractéristiques des malades et les causes des décès enregistrés. Par ailleurs, le Dr Noël estime également que la communication se porte beaucoup plus sur la prévention primaire et que les membres de la population ne savent pas quoi faire au cas où ils seraient tombés malades. «L'une des certitudes qu'on a : plus on fait des tests, plus on a la capacité d'isoler, de traiter les gens et d'espérer avoir le contrôle de la pandémie en Haïti. Sinon, on risque de vivre pendant longtemps avec une maladie virale qui progresse timidement à force de ne pas tester les gens», prévient le Dr Noël, qui pense qu'on a encore une chance puisque la maladie n'atteint pas encore les villes surpeuplées, les bidonvilles et les quartiers défavorisés. "Le pire est à craindre, personne ne sait quels dégâts le virus va causer dans ces zones de grande promiscuité." In fine, le Dr Ernst Noël rappelle que la courbe de la pandémie est moins effrayante dans les régions chaudes et la médecine traditionnelle nous aide beaucoup.Cependant, il soutient que si pour 50% de personnes guéries, on a 50% de décès, on ne peut pas encore crier victoire. Le pire est à craindre.