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Le Nouvelliste

Claire Neptune Prosper, une éducatrice de carrière, est partie

Sept. 7, 2020, midnight

Claire est née à Jacmel le 20 mai 1928, de parents haïtiens, originaires du Sud du pays. Son père vient des Cayes. Sa mère, une Jacmélienne, vient d’une famille de migrants juifs qui avaient laissé les côtes hollandaises pour s’installer dans le Sud d'Haïti vers le début du XIXe siècle, en passant par Curaçao. «Ma belle-mère me racontait que son grand-père était un Juif orthodoxe ultra-conservateur, qui portait même le chapeau», confie Etelka Molnar Prosper, qui a eu des relation très privilégiées, très étroites avec Mme Prosper. Une femme sur laquelle elle ne tarit pas d’éloges. Une belle-mère qui aura marqué sa vie d’adulte, et qui, pour elle, est de la trempe de ces hommes et femmes que le pays ne verra plus de sitôt. «Ma belle-mère était mon amie. La mère que je retrouvais après avoir perdu ma propre mère d’un cancer. Nous étions très proches, nous vivions ensemble depuis plus de 30 ans, dans la maison familiale. Je ne me souviens pas m’être discutée avec elle, une seule fois. Nous nous entendions très bien. Je suis reconnaissante de l’avoir eue à mes côtés dans ma vie de jeune femme adulte», dira sa belle-fille, qui accorde cette entrevue. Quatrième enfant d’une fratrie de sept enfants, Claire devient orpheline très tôt, car sa mère décède des suites de mauvaises couches alors qu’elle n’a que cinq ans. Elle grandit avec sa marraine et mère adoptive, veuve, Léonce Megie, née Cecile Surin, dans une pension de famille où elle rencontre d’autres enfants qui seront ses amis, jusqu’à leur mort. Ses études classiques terminées, elle rentre à Port-au-Prince à l’âge de 19 ans et commence à enseigner à l’Externat La Providence, une école des soeurs de la Congrégation de St-Joseph de Cluny. La-bas, elle retrouve son amie Lorette Célestin, veuve Rubens Mathias. Au tout début des années 50, elle rencontre le sénateur Fernand Prosper, celui qui deviendra son mari. Ensemble, en avril 1957, ils fonderont le collège Fernand Prosper. Il faut comprendre que, tel que l’a expliqué l’historien Michel Soukar, qui est intervenue à l’émission Di m m a di w avec Marvel Dandin sur Radio Kiskeya le vendredi 4 septembre 2020, consacrée à Mme Prosper, la création du collège Fernand Prosper, s'est faite dans un contexte particulier où des milliers d’intellectuels, de professeurs et de professionnels haïtiens sont poussés à l’exil par le régime dictatorial des Duvalier. En ce sens, l’institution, sise à la deuxième impasse Lavaud, a comblé un vide créé par le régime des Duvalier permettant à des familles des classes moyennes, et même des classes populaires, d’avoir accès à une éducation de qualité qu’ils ne pouvaient plus recevoir dans les lycées, où des laboratoires de chimie ou de physique avaient été fermés par le régime, sous prétexte qu’ils allaient apprendre aux élèves à fabriquer des bombes. Faut-il rappeler qu’en 1959 le lycée Pétion est temporairement fermé par le régime de François Duvalier, qui l'accusait d'être infiltré par les communistes? Pour l’historien qui a connu et rencontré en différentes occasions Mme Prosper, «C’était une éducatrice dans l’âme, une de ces personnes qui croyaient en des valeurs humanistes et citoyennes. De moun ki te panse ke on jèn dwe non sèlman gen on konesans akademik, men fòk li se on sitwayen tou. M pa kwè nan peyi Dayiti ou ap jwenn anpil moun konsa ankò. Et c’est bien malheureux», a-t-il confié, pour parler de cette femme qui tenait l’amour et le respect de la patrie en haute estime et qui s’efforçaient d’inculquer ces valeurs à d’autres jeunes, en cette période ô combien difficile. À la mort de son mari dix-sept ans plus tard, soit le 13 janvier 1972, Mme Fernand Prosper prend les rênes de l’école, une des meilleures de la capitale, à ce moment. Son amie Lorette Mathias sera son bras droit jusqu’à la mort de celle-ci en septembre 2013. Elles ont à elles deux conduit, dirigé le collège depuis 1972. Pascale Carrière, qui a assuré la direction de l’établissement scolaire entre 2006 et 2007, garde de Mme Prosper le souvenir d’une personne très disciplinée. D’autres comme Marvel Dandin se rappellent la générosité et l’empathie de Mme Prosper qui valorisait les gens avant même l’argent. En effet, elle avait une sollicitude toute particulière pour tous les enfants vulnérables ou qui étaient orphelins. «20 à 25 % de l’effectif de l’école était boursier. Ce n’était pas l’argent qui nous motivait. Ce n’était pas une oeuvre mercantile», rapporte Etelka Prosper, qui a intégré l’équipe de l’école à la fin de 1999. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a porté un grand coup à cet établissement scolaire qui a vu sur ses bancs des personnalités exceptionnelles telles que la première femme présidente d’Haïti Ertha Pascal Trouillot, le journaliste Marvel Dandin, des anciens ministres de l’Éducation nationale tels que Pierre Buteau, ou Rémy Zamor,  le recteur de l'UNIQ Jacky Lumarque ou encore des politiques tels que Jude Celestin. «Nous avions un bâtiment sur étages et un rez-de-chaussée, 18 salles de classe, une salle d’informatique. L’immeuble ne s’était pas effondré, mais il a été sérieusement touché. Au lieu de le rafistoler au risque de mettre en péril la vie de nos élèves, nous avons préféré l’abattre, pour le remplacer par une reconstruction sommaire du FAES», a expliqué Etelka Prosper. Si l’établissement existe encore, il ne fonctionne cependant qu’avec un effectif très réduit, et dessert en grande partie des enfants défavorisés. Entre lutter contre un cancer et  effectuer sa licence en relations internationales à l’UNIQ, il est difficile pour sa belle-fille de tenir la barque dans ces circonstances particulièrement difficiles. «Depuis plus d’une dizaine d’années, l’éducation n’est pas au coeur de l’agenda de l’Etat.  D’ailleurs le budget alloué à l’éducation est infinitésimal. Je n’avais pas le support de l’État. Ça m'a découragé de continuer à lutter pour tenir les rênes de l’école, d’autant que je n’avais plus l’énergie », avoue Etelka, qui appelle à faire de l’éducation une urgence nationale. Les éloges ne manquent pas pour saluer la mémoire de cette femme qui a consacré sa vie à l’éducation. Mme Prosper ne se contentait pas d’offrir le pain de l’instruction, elle voulait former des citoyens et citoyennes pour ce pays.” Pour beaucoup, c’est un modèle d’altruisme, d’empathie, qui rentre dans l’histoire de l’éducation en Haïti pour avoir formé des générations d’hommes et de femmes pendant plus de cinquante ans. Une femme d’une singulière rectitude, respectée pour sa grandeur d’âme et sa capacité à s’élever et à ne pas se laisser aller à des querelles inutiles qui rabaissent. Les funérailles de la veuve Fernand Prosper seront chantées le mardi 8 septembre 2020 à 8h 30 a.m. Elle laisse derrière elle sa fille Margareth, ses fils Pierre Michel Maurice et Jean Philippe Prosper ainsi que 7 petits-enfants et 7 arrière-petits-enfants.