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Le Nouvelliste

PNH : une digue a sauté…

March 11, 2020, midnight

Le Premier ministre Joseph Jouthe a désavoué l’état-major de la PNH, explosé le petit reste d’illusion de cohérence et de continuité de l’action gouvernementale en obtempérant totalement aux injonctions des policiers favorables à la création d’un syndicat et à la réintégration de cinq membres du SPNH révoqués par le DG Normil Rameau sur recommandation de l’IGC  à cause, entre autres, des actes de violence enregistrés à l’inspection générale le 7 février 2020. Sous pression, après une nouvelle journée émaillée de coups de feu, de violence verbale sur des employés de la fonction publique, d’attaques contre des ministères, de destruction partielle de véhicules, de mobiliers de l’Etat par des policiers de « 509 Fantômes » et d’autres individus encagoulés sur fond de passivité de toutes les unités spécialisées en charge de la sécurité et du maintien d’ordre, le Premier ministre Jouthe a capitulé. La fermeté observée sous Jean Michel Lapin a été abandonnée. L’improvisation, l’une des caractéristiques de la gouvernance sous Jovenel Moïse, a montré ses limites. Une nouvelle fois. Une fois de plus. L’exécutif et l’état-major de la police ont perdu l’épreuve de force après avoir étalé incurie, maladresse et incapacité à prendre toute la mesure du malaise pour y apporter un sédatif à défaut de solutions plus globales et plus durables. Pour le moment et selon toute vraisemblance, des hommes et des femmes en uniforme ont « gagné ». Mais ils ont marché sur le serment de protéger et de servir, de respecter et veiller au respect de la loi, de rechercher les auteurs et complices de contraventions, des crimes et de délits pour les déférer à la justice. Avec ce qui s’est passé ce mardi, une digue a sauté. La cohésion institutionnelle, le respect des aînés, des gradés, la fierté de porter l’uniforme, le mythe, la doctrine, l’idéal d’être, en tant que serviteur de l’Etat, prêt au sacrifice ultime sont devenus vides de sens. Des policiers ont fait comme les militaires d’avant 1994 en imposant leur volonté à la pointe du fusil et avec les pistolets  de dotation, Taurus 9 mm, payés avec l’argent du contribuable. Pourtant, les signaux d’un profond malaise ont été émis. Il y a eu ce concert d’armes  début décembre 2017 à « l’alma mater », le centre de formation de la PNH, à Frères, lors des funérailles d’un des deux policiers tués mi-novembre  par des bandits lors d’une opération à Martissant. L’effondrement de l’autorité de l’IGPNH, la police des polices, a été constaté le 7 février 2020 lors de la convocation de la policière Yanick Joseph, coordonnatrice du SPNH. Des coups de feu ont été tirés en face des locaux de l’IGPNH. Dix jours plus tard, en face de la direction générale de la police à Pétion-Ville, des balles ont aussi été tirées. Les symboles liés à la formation, au maintien de la discipline, à la gestion de l’institution ont été profanés. La gravité de ces gestes témoigne cependant de la détresse des troupes, de l’absence de bergers attentifs. Les conditions de travail sont exécrables, le salaire modique. Les frustrations liées aux avancements en grade réelles.  Les funérailles de policiers souffrent de l’absence d’un protocole respecté à la lettre, d’exaltation du sacrifice suprême. Leurs dépendants n’ont pas encore d’indemnités coulées dans le béton d’une loi ; leurs dépendants ne jouissent pas d’une discrimination positive à l’accès aux services sociaux de base. Mourir en devoir, pour cette patrie, n’a rien de beau. C’est une bien triste vérité. La prolifération des gangs, leurs rapports privilégiés avec des autorités, l’augmentation du nombre de policiers tués  constituent aussi des sources de préoccupation pour des hommes et des femmes en uniforme. Sorti des rangs, l’actuel directeur général de la police, Normil Rameau, est poussé dans les cordes. Il n’a pas de répit. Rien ne dit qu’il y a autour de lui l’union sacrée des gradés, des commissaires, inspecteurs. Il peine à imprimer, à développer une relation organique avec la base. Cependant, il faut être dans les souliers du remplaçant de Michel-Ange Gédéon pour connaître ses difficultés, à quelle sauce des démons veulent le manger. Ex-DCPJ, crédité de l’arrestation de l’ex-sénateur élu Guy Philippe, des membres de « Baz Galil », il ne serait pas aimé de tous les enfants de la grande famille Tèt Kale dont certains tètent encore le lait idéologique du banditisme légalisé. Par rapport aux défis pour assainir l’administration de la PNH et garantir la sécurité publique que Normil Rameau peine à relever, son brillant parcours de patron de la PJ est aujourd’hui presque anecdotique.   Loin d’être le premier choix du président Moïse comme chef a.i. de la Police, Normil Rameau avait compté des appuis, dont les Américains qui n’ont pipé mot sur la situation de la PNH ces temps-ci. Qu’il ait été ou non en pole position au moment de désigner le remplaçant de Michel-Ange Gédéon, Normil Rameau est le choix du président Jovenel Moïse. La PNH, à côté de Washington,  a été l’un des piliers à avoir supporté la présidence de Jovenel Moïse en temps de « peyi lòk ». Avec la crise au sein de la PNH, il est difficile d’être catégorique sur l’existence d’un soutien indéfectible ou non à l’homme de la banane.  Mais il y a une addition à faire. La police n’a pas gardé l’édifice rose sans promesses d’attention à son égard du président Moïse. Le temps a passé, la conviction de certains policiers d’être mieux lotis a été éprouvée. La dégringolade de la gourde par rapport au dollar, (97 gourdes pour 1 dollar), l’inflation, 19 ,1 % en septembre ne sont pas de nature à calmer les appréhensions des policiers qui peinent à arrondir leurs fins de mois. La précarité socio-économique n’est pas seulement le lot des hommes et femmes en uniforme. Elle est celle d’une bonne partie de la population dont 4,6 millions vivent dans une insécurité alimentaire. Rien ne dit que le peuple  crèvera de faim tranquillement. Rien ne peut garantir non plus que des membres de la population ne seront pas tentés de recourir à la violence pour exprimer leurs revendications comme l’ont fait des policiers et des policières. Dans le processus d’effondrement des institutions, une digue a sauté. C’est au jour le jour  que l’on continuera de mesurer les conséquences… Roberson Alphonse