Le Nouvelliste
La crise politique en Haïti et Jovenel Moise
Oct. 28, 2019, midnight
La crise politique en Haïti est profonde, elle est à la mesure de l’espérance suscitée le 7 février 1986. Placée d’abord en Aristide et en Préval, cette espérance a été déçue. Les facteurs demeurent, il est vrai, nombreux et complexes. Les opportunités ratées, comme celle de la solidarité internationale lors du séisme du 12 janvier 2010, s’expliquent par la dénégation et même par le refus de reconnaître la nécessité d’une refondation de l’Etat et de la nation après la longue et macabre parenthèse dictatoriale duvaliériste de trente ans.En 2011, les morts du séisme n’étant même pas comptés, on saute vers la panacée des élections, sans qu’on se demande si les conditions existent ou non. On comprend que la route pouvait être ainsi grande ouverte pour un essaim de candidats à la présidence (54 reconnus) et de partis politiques (211) qui envahissent les urnes. Certes, comme on le sait, il n’y a pas que les Haïtiens qui soient des votants (potentiels), le gouvernement américain est majoritaire et vote aussi en s‘appuyant sur les représentants locaux de leurs intérêts. Et Martelly pouvait sortir de leur manche avec aisance. La crise qui jusqu’ici était inséparablement politique et économique - et cela avec l’orientation néolibérale exigée par les Clinton - se déploie désormais en mode catastrophe avec une tonalité de guerre civile.Le plongeon actuel du pays vers la catastrophe est lié à une situation immédiate inédite : l’incroyable dilapidation des 4 milliards 200 millions de dollars par l’équipe de Martelly face à la misère crasse de la majorité de la population qui vit avec moins de 2 dollars par jour. L’actuel président Jovenel Moïse n’est que le prête-nom de l’assurance d’impunité pour les dilapidateurs. Le scandale n’est pas caché, Jovenel Moïse prétend le justifier d’autant plus qu’il est lui-même impliqué et indexé d’après le rapport de la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif. La crise politique vient donc se fixer autour de la personne de Jovenel Moïse. Pourquoi est-il donc celui qui est responsable de l’exacerbation de la crise déjà profonde que traverse le pays ? Et pourquoi devra-t-il sortir du pouvoir pour que le pays connaisse au moins la possibilité d’une gestion de sa crise par lui-même, à défaut de disposer d’une solution immédiate satisfaisante ?Peine perdue de reprocher à Jovenel Moise d’avoir été mal élu, d’avoir fait des promesses impossibles dignes d’un père Noël, de ne rien comprendre aux institutions de l’Etat, ou même de mettre obstacle au procès du PetroCaribe, d’être incapable de mettre un frein à l’inflation (environ 20 %) et de travailler à l’appauvrissement des plus pauvres ou d’être le défenseur d’une infime minorité d’affairistes. Ces raisons me paraissent insuffisantes.Le fond du problème est ailleurs : c’est de vouloir s’entêter à rester au pouvoir - sans gouverner - face à un pays tout entier vent debout à travers toutes les classes sociales et tous les secteurs (économiques, religieux, associatifs et politiques) qui réclament son départ du pouvoir. Dans divers pays aujourd’hui (Chili, Equateur, Liban, Algérie, Irak, pour ne citer que ceux-là) la crise du néo-libéralisme produit des crises sévères, mais aussi dans plusieurs cas les autorités tentent de prêter l’oreille, sauf en Haïti avec le gouvernement de Jovenel et le Core Group dominé par le gouvernement de Trump, ce qui est assez paradoxal, puisque les investissements du Core Group en Haïti paraissent dérisoires.Jovenel maintient cet entêtement au prix d’une paralysie de la nation, du système scolaire, d’un effondrement de l’économie et d’une descente aux enfers jamais encore vécue pouvant mettre en péril l’idée même de nation haïtienne. Mais par quel moyen ? Essentiellement par la seule vertu des armes à feu - comme protection - qui a déjà produit de nombreux cadavres. Le massacre de La Saline faisant 60 à 70 morts accompagné d’actes de barbarie, analysé par l’ONU comme massacre d’Etat, ainsi que la floraison de gangs armés dans des quartiers périphériques de la capitale en vue de rendre impossible la circulation à travers le pays constituent la raison suffisante du cri moral lancé quotidiennement par les manifestations pour la démission du président. Certes, les luttes sont entreprises avec quelques maladresses, suscitent parfois des incertitudes. Quoi de plus normal tant qu’un projet commun ne voit pas encore le jour ? Mais plus Jovenel Moïse reste au pouvoir, plus la situation du pays s’aggrave.Qu’en est-il maintenant des gestes comme le vote contre Maduro au Venezuela, pendant que le pays (à travers des mains particulières) dispose de l’argent du Petrocaribe ? Qu’en est-il de l’appel à l’OEA pour contrôler la Cour supérieure des comptes fautive d’avoir indexé Monsieur le président qui ne semble plus croire dans les institutions du pays ? Qu’en est-il de l’invitation à recevoir sur le sol de Dessalines et de Rosalvo Bobo des soldats américains de Donald Trump » ? Que peut signifier un appel à l’aide alimentaire alors que des gangs armés empêchent l’approvisionnement des villes en détournant les convois de marchandises ? Où sont donc les signes de pénurie alimentaire invoqués auprès du gouvernement américain ? Tous ces gestes énoncent une impuissance, ils sont peut-être même en réalité le chant du cygne et constituent les symptômes d’un homme aux abois, qui ne dirige plus rien et qui cherche une porte de sortie.