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Le Nouvelliste

Lancement de Agora avec un débat passionnant sur l'état de la démocratie en Haïti

Sept. 21, 2020, midnight

Plus de trente ans d'exercice démocratique en Haïti, et le pays semble ne pas maîtriser les rouages de ce système politique. La machine câle bien souvent face à des comportements ou réflexes antidémocratiques qui s'apparentent à une piste d'obstacles, les unes plus insurmontables que les autres. Pour comprendre, poser les vrais problèmes et saisir le rôle ou le jeu des acteurs,un panel sélect de quatre personnalités a été mis sur pied à l'initiative de la délégation de l'Union européenne en Haïti. Durant près d'une heure, après la présentation de Sylvie Tabesse, ambassadrice de l’Union européenne en Haïti, sur le plateau de Agora et sur Zoom, Nesmy Manigat, ancien ministre de l’Éducation et président du comité éthique du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), Renan Hédouville, protecteur du citoyen (OPC), Marie Yolène Gilles, de la « Fondasyon Je Klere », et Frantz Duval, éditorialiste et rédacteur en chef du Nouvelliste, ont opiné sur des thématiques comme les droits de l'homme, l'éducation à la démocratie, les libertés fondamentales, dont celle de la presse.  Concernant l'état de la démocratie en Haïti, les intervenants ont dressé un tableau sombre de la gouvernance démocratique dans le pays. Pour eux, au regard du mode d'organisation des pouvoirs de l'État - le régime politique en vigueur, les principes et règles juridiques établis - la «démocratie n'existe en Haïti que sur papier». «Le pays n'est pas dirrigé». «L'entrée dans l'ère démocratique n'était préparée ni voulue par les dirigeants d'après 1986 ». Les gouvernements successifs «ne respectent pas la Constitution», garantie de l'État de droit ou ne «l'appliquent qu'en partie». «Les droits humains ne sont pas respectés». «Bien de chemin reste à parcourir».  Renan Hédouville : corruption et impunité les ennemis de la démocratie Dans cet esprit, Renan Hedouville croit que la démocratie en Haïti est un processus avec des moments de hauts et de bas, des incompréhensions et ignorances qu'il faut traiter par un apprentissage de ce mode d'organisation étatique et sociétale. « En matière de démocratie il y a des indicateurs comme le pluralisme politique, la tolérance, la liberté économique, l'organisation d'élections honnêtes de manière périodique dont la mise en œuvre dépend de l'État. Il y a des entraves au processus démocratique. Deux maux rongent tout processus démocratique : l’impunité (nous avons une justice à géométrie variable) et la corruption », a indiqué le protecteur du citoyen.  Nesmy Manigat: l'Education à la démocratie est la clé S'il a été souvent évoquée lors de ce débat, l'incompréhension des gouvernés dans notre régime démocratique de la question d'apprentissage et d'instruction citoyenne sur les contours du nouveau régime depuis 1987 fait l'objet de vives préoccupations. Car les velléités de transformation radicale de l'exercice du pouvoir d'un régime autocratique ou dictatorial à celui dit démocratique n'ont pas fait cas de l'éducation à la démocratie. Comprendre les règles du jeu, définir les limites de l'exercice des droits et libertés fondamentaux, les devoirs des citoyens et des gouvernants sont autant de vides à combler, de notions à maîtriser.  «L’éducation à la démocratie, c’est quelque chose qui se vit. La personne qui a des droits dans une société démocratique doit avoir connaissance de ses droits et du fonctionnement de la cité. Qu'importe le système d'apprentissage, il faut une transmission de valeurs, de morale démocratique pour que le citoyen puisse l'exercer. [...] L’école devrait être un espace d’exercice de la démocratie. Elle peut être actrice pour favoriser la démocratie », a expliqué l'ancien ministre Nesmy Manigat.  Marie Yolène Gilles :« la démocratie est danger» La démocratie meurt dans les ténèbres, dit-on. Avec leur rôle de chien de garde de la démocratie, les organisations de la société civile et les médias apportent pour leur part une contribution assez importante dans la consolidation de tout régime démocratique. Par les dénonciations, les rapports d'observation et la diffusion d'informations fiables, la presse et la société civile maintiennent l'éveil citoyen pour un dialogue constant entre les dirigeants et le peuple autour des enjeux démocratique et du progrès. « Le devoir des organisations de la société civile et de la population en général c’est de faire l’effort de consolider les acquis démocratiques », a précisé Marie Yolène Gilles.  Toujours selon la militante des droits humains, le «pays n'est pas dirigé ». Il y a la République de Port-au-Prince et le reste du pays. A cause des violences liées aux gangs armés qui opèrent sans être inquiété, circuler sur le territoire devient amplement difficile, a-t-elle expliqué. « aujourd'hui, en Haïti la démocratie est en danger si on considère», a déclaré Marie Yolène Gilles avec une voix empreinte de vigueur en prenant exemple du fait que le président Jovenel Moïse concentre entre ses mains tous les pouvoirs. «Je crois que les organismes de droits humains doivent redoubler d'efforts et de vigilance pour aider à sauver les acquis démocratiques dans le pays», a-t-elle ajouté.  Frantz Duval sur l'acceptation du jeu démocratique et le rôle des médias «Depuis 1986 on a essayé de mettre en place un régime démocratique, et aujourd'hui on est encore dans ce processus. Je crois sans cesse qu'il faut essayer de relancer la machine. Il n'est pas nécessaire que tout le monde soit éduqué pour que nous puissions connaître une vraie démocratie. Au contraire, il faut assumer la responsabilité dès les plus jeunes âges. Nos dirigeants comme dans le sport doivent apprendre à perdre et accepter la victoire des autres », a déclaré Frantz Duval, qui souligne au passage le fait qu'il nous manque de dates commémoratives de la démocratisation du pays ou de la consécration du choix de vouloir vivre ensemble dans une société démocratique.   A propos du renforcement du processus démocratique en Haïti, Frantz Duval pense que «la presse de son côté défend la démocratie mais ne forme pas à la démocratie.» Est-ce que les médias peuvent renforcer la démocratie ? Oui ! Est-ce qu’ils peuvent la détruire ? Oui ! Car il s'agit d'une arme à double tranchant. Mais « ce qu’il nous manque, ce sont des penseurs. La démocratisation du pays a du chemin à faire. La construction du processus démocratique a également besoin de guides [...] La presse peut faire mieux. Il faut tout simplement oser », a poursuivi le rédacteur en chef du Nouvelliste.  Les prochains rendez-vous avec « Agora, Chita pale sou dwa moun » en 2020 auront lieu lors de la Journée internationale des droits de l'enfant, 20 novembre, la Journée internationale contre la violence à l'égard des femmes, 25 novembre, la Journée Internationale des personnes handicapées, 3 décembre, la Journée mondiale des droits de l'homme, le 10 décembre.