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Le Nouvelliste

Motivation citoyenne

Sept. 4, 2020, midnight

Les temps ne sont pas cléments. L’ont-ils jamais été ? Évidemment, le furoncle est arrivé à maturité. La dégradation de l’environnement s’est accélérée. Il y a une atmosphère délétère qui perdure. Les nouvelles vont vite. Tout le monde est reporter et producteur d’informations grâce aux réseaux sociaux, l’on se perd dans les mots, les images et les sons. Il y a mille et une opinions qui se font concurrence tous les jours. Une course infernale au paraitre. La recherche à tout prix de suiveurs et de « likes». La diffamation, le sexisme, le racisme, l’homophobie, la grossièreté, les opinions biaisées et bidon, les analyses à deux sous, les commentaires bancals constituent un arsenal intimidant pour forcer à garder les débats en surface, en les rendant anecdotiques. Il n’y a pas moyens d’ailleurs de mener un vrai débat sur les réseaux. Il y a trop de pollutions. Bien sûr, il n’y a aucun mal, au contraire, à vouloir être acteur de la vie publique, à embrasser un combat collectif, à utiliser tous les moyens pour le faire triompher. Mais on sent dans les commentaires, le plus souvent, un besoin de faire mal, de caricaturer, de prendre de la place aux dépens du collectif, de dénigrer. C’est un territoire du tout permis, plus c’est outrancier, plus ça a du succès. À la décharge des « haters », des donneurs de leçons, des demi-experts, faux sachant, qui font tous les jours l’expérience des limites, il est, en vérité, difficile de saisir le réel. Comprendre ce qui se joue. Au profit ou au détriment de qui. Dans un espace ou tout a déjà proprement explosé, nous laissant désemparés, étonnés par le déferlement de violences, mais sans proposition convaincante sur les discours à tenir. Nous ne pouvons ignorer les injustices sociales, les inégalités, la désinstitutionalisation programmée à laquelle nous assistons qui acculent tout le monde. Il y a toujours eu cette difficulté à devenir citoyen. Nos parents, nos grands-parents, ne le furent pas au sens propre du terme. Les générations d’avant ont vécu dans la flétrissure de l’occupation américaine, le silence de la dictature, conscients du rêve inabouti de l’égalité et de la fraternité. Qu’est-ce qui pourrait porter le natif d’Haïti aujourd’hui à faire œuvre qui vaille en étant sincèrement motivé par l’intérêt collectif et ayant accepté l’idée qu’il va vivre de toute façon dans son pays, que cela vaut le coup d’investir du temps et des idées dans l’avenir ? Le débat serait long, utile, et forcerait peut-être au consensus, parce qu’aucune victoire collective n’est possible sans consensus. Il faudrait que nous essayions de savoir où commence le jeu, où s’arrêtent les faux-semblants. Quelles vérités sont les plus susceptibles de nous rassembler, au-delà des dissemblances réelles qui se sont accumulées dans notre société au fil des chocs, des trahisons, des refus de mise en commun. Maintenant qu’il est de plus en plus improbable de partir se réaliser ailleurs dans un contexte de droitisation des pays riches, de difficultés économiques aggravées par la crise sanitaire mondiale, il est peut-être venu le temps des bons silences, des actes et des paroles à portée collective et aussi du salutaire : « quoi faire ? » Dans les défoulements qui se font sur les réseaux, dans les rues, expressions souvent de colères justes, il est beaucoup question de ce qu’il faudrait détruire. Et de fait, nous détruisons. La nature aussi se déchaîne souvent contre nous, nous renvoyant brutalement à nos manques et à nos incompétences. Il n’empêche que l’autre face de la médaille ne peut être ignorée. Par quoi commençons nous la grande construction de nos espaces de vie et de nos âmes ? Emmelie Prophète