Le Nouvelliste
Élections : le CEP du 22 septembre
Sept. 22, 2020, midnight
Au Palais national, le ballet de véhicules rutilants ne laisse place à aucun doute. On reçoit. À l’entrée d’une grande salle préfabriquée, il y a un screening sanitaire. Sans broncher, un préposé asperge des mains d’alcool, prend la température des invités à la cérémonie d’investiture des membres du Conseil électoral provisoire. Les chaises d’un rouge plus vif que le tapis sont espacées. La page Covid-19 n’est pas encore tournée. On prend ses précautions. Les minutes traînent et agonisent au fil des conversations et des embrassades entre Tèt Kale, membres du gouvernement, directeurs généraux et des têtes connues du régime comme l’ex-DG du SMCRS, Magalie Habitant, ou le DG en poste Eudes Lajoie. On s’occupe comme on peut. A part le représentant de l’OEA, Cristobal Dupouy, il n’y a pas encore de diplomates étrangers dans la salle, peu après 14 heures. Les représentants de partis politiques de l’opposition ne sont pas là. Les têtes connues de partis alliés non plus. Des pontes, chefs d’organisations de la société civile spécialisées dans l’observation électorale, ne sont pas dans le décor. Un entre-soi est parfait. A un jet de pierre du Palais, à la Cour de cassation, une exigence constitutionnelle achoppe sur un obstacle majeur. Le quorum constaté pour l’assermentation d’un haut fonctionnaire de l’Office de protection du citoyen (OPC) s’évapore. Le vice-président de la cour, magistrat Jean-Claude Théogène, donne la raison. Il y a une « différence d’opinion » entre les juges. Le sursoit à la prestation est annoncé par le vice-président de la Cour de cassation. Le sursoit à la prestation laisse encore pendantes les requêtes de la Fédération des barreaux d’Haïti, d’organisations de défense des droits humains et du parti politique Ayiti an Aksyon pour refuser le serment aux 9 membres du CEP à qui le président Jovenel Moïse, en violation de la Constitution, a donné la mission d’organiser un référendum pour doter le pays d’une nouvelle Constitution. Au Palais, la nouvelle s’ébruite. La claque est donnée. « Je jure de respecter la Constitution et les dispositions de la loi électorale et m’acquitter de ma tâche avec dignité, indépendance, impartialité et patriotisme » n’est pas prononcé par les membres du CEP chargés d’une mission en violation de la Constitution. De longues minutes filent. Un petit flou qui s’installe est vite dissipé par un employé de la présidence. Les membres du CEP dont une majorité de personnalités méconnues du grand public ont rejoint le Palais. La cérémonie aura lieu, confie-t-il, alors que la salle se remplis petit à petit. Quelques étrangers — mais pas de diplomates connus — entrent. A 3 heures 50, l’hymne présidentiel retentit. Le président Jovenel Moïse, la première dame Martine Moïse, le Premier ministre Joseph Jouthe, des membres de son cabinet, le directeur général a.i de la PNH, Rameau Normil, le commandant en chef a.i des FAD’H, le gouverneur a.i de la BRH, Jean Baden Dubois, sont là. On avance. Le maître de cérémonie, Daniel Joseph, après la lecture de l’arrêté de nomination des membres du CEP, tranche : « Haïti est définitivement sur la route des élections. » Ce qui s’est passé à la Cour de cassation n’est pas évoqué. Le non-respect de l’article 194-2 de la Constitution, en ces lieux, n’est même pas anecdotique. L’un des conseillers électoraux, Patrick Numas, exprime sa « gratitude » au président Moïse pour la confiance placée en lui et en ses pairs. Il donne des gages, promet que ce CEP organisera des « élections impartiales, transparentes, honnêtes et crédibles ». Loin d’avoir le bagout, Patrick Numas soutient que le pays a besoin de stabilité. Ce CEP se met à la tâche, a-t-il dit. Il a presque demandé d’être jugé à l’aune des résultats, ici où il y a des appréhensions vis-à-vis des institutions. Le président Jovenel Moïse, sans détour, y va d’un engagement de laisser le CEP, déjà décrié et présenté par des opposants comme un CEP-PHTK et alliés. « Je prends l’engagement solennel en présence de tous ceux qui m’écoutent et qui me regardent que l’exécutif ne va pas s’immiscer dans les décisions du Conseil électoral », a dit le président Jovenel Moïse, de plus en plus royal, qui avance comme un bulldozer. « La mission du CEP est clairement définie dans l’arrêté qui lui a donné naissance. Nous nous engageons à vous donner les moyens pour accomplir cette mission qui consiste à permettre aux citoyens de participer librement aux décisions politiques par leur vote », a indiqué le président Jovenel Moïse. « Je demande au ministre de la Justice et aux autorités policières de garantir la sécurité de tous les membres du CEP (…) On ne peut pas promouvoir la démocratie dans l’intolérance, l’intimidation et la violence aveugle. Vouloir s’en prendre à des citoyens manifestant la volonté de mettre leur compétence et leur savoir au service de leur pays est condamnable », a instruit le chef de l’Etat avant de dégainer une menace contre les adeptes de « l’intolérance et le culte de la pensée unique violent ces règles et principes démocratiques ». « Je demande donc aux autorités judiciaires de prendre acte de toutes les déclarations incendiaires et les menaces publiques proférées à l’endroit des membres du Conseil électoral sur les réseaux sociaux, par voie de presse et autres », a menacé le président Moïse. « Il est inacceptable de cautionner pareils comportements en 2020 », a poursuivi le président Jovenel Moïse accusé par plusieurs secteurs de la vie nationale d’avoir violé la Constitution. Le président Moïse, qui tape, soutient qu’il faut en finir avec l’hypocrisie. Il dénonce les discriminations séculaires dans le pays, soutient que tous les secteurs de la vie nationale sont égaux. Personne ne sait si le président Moïse digère l’érosion de sa capacité de convocation de certains secteurs ayant par le passé désigné des représentants au sein de précédents CEP. Capable de grandes pirouettes, le président Moïse menaçant est celui qui tend la main, qui prône « le consensus » et une « entente » entre tous les secteurs. « L'heure est grave. Les temps sont difficiles. L’horizon est embrumé. Pourtant nous pouvons et devons convertir ces ondes négatives en ondes positives en mettant de côté ce qui nous divise, en mettant l’emphase sur le peu qui nous unit », a insisté Jovenel Moïse qui croit qu'il y a des opportunités à saisir pour effectuer les réformes nécessaires. Le président Moïse, en annonçant que fonds seront mobilisés dans le budget 2020-2021 pour organiser les élections, a souhaité que le CEP soit capable de donner les tendances des résultats le jour même des élections. Le nez dans le guidon, le président Jovenel Moïse avance, fait comme si plusieurs secteurs n’étaient pas vent debout contre ce CEP monté en dehors d’un accord politique avec une mission anticonstitutionnelle... Roberson Alphonse