Le Nouvelliste
Un vendredi à Port-au-Prince
Oct. 9, 2020, midnight
Au petit matin, vendredi 9 octobre, des rafales d’armes automatiques ont été entendues à Morne-Lazarre, dans les hauteurs de Pétion-Ville. Des témoins ont également rapporté des échanges de coups de feu entre des hommes armés non encore identifiés et des agents de la police qui sont intervenus pour ramener l’ordre. Le mobile exprimé de ces actes est un mélange de revendications pour la construction d’une route, pour l’octroi de services sociaux et pour l’accès à de l’argent, « pou n ka byen pase », ont en substance expliqué deux jeunes hommes dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux. Si ces deux hommes masqués ont souligné n’avoir rien à voir avec le PHTK, le parti au pouvoir, il convient cependant de souligner que l’an passé, des manifestations de l’opposition ont essuyé des attaques -coups de feu, jets de pierres, de bouteilles- dans ce secteur. Le pouvoir comprendra ce qui se passe, a assuré un résident de cette zone, cette fois, sur les ondes de Radio Zénith. Des usagers de l’avenue Panaméricaine, des résidents de Morne-Lazarre et des environs ont partagé, comme c’était le cas des habitants de Martissant, du Bicentenaire, de Cité-Soleil, de Butte-Boyer, de Carrefour…, le pain amer de la peur, de l’incapacité à se déplacer d’un point à l’autre à cause d’un mouvement violent. En milieu de journée, le calme est revenu. La circulation automobile a repris. Mais cette démonstration de force, de trouble à l’ordre public avec des armes de guerre, a signé une présence, un nouveau point chaud, un de plus dans la capitale. La scénographie, le mode opératoire dans ce processus d’affirmation est le même. La terreur reste, pour ces hommes armés, un moyen de se faire entendre et, en bout de piste, comme c’est le cas d'ailleurs, de se faire payer par des agents du pouvoir, selon nos sources. Il y a quelques mois, à une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU sur Haïti, Marie-Yolène Gilles, de la Fondation Je Klere, avait indiqué que 23 gangs armés ont été disséminés dans la capitale (Port-au-Prince), et le tiers du territoire est sous le contrôle des gangs. Les évènements de ce matin, dans ce quartier de Pétion-Ville, souligne aussi que des « baz », des groupes ou gangs armés opèrent sous le radar. Ils se renforcent en armes, en munitions, en appui nécessaire à leur pérennité avant d’investir l’échiquier pour devenir des partenaires de politiques ou de gens du milieu des affaires. Avant et de manière encore plus évidente ces derniers mois, les gangs armés, le G-9, par exemple, se sont imposés sur l’échiquier. Ils deviennent des partenaires, des intermédiaires. L’État, ces temps-ci, a baissé pavillon et a abdiqué sa responsabilité de lutter contre les gangs qui ont des connexions presque partout. La peur est dans le camp des pouvoirs publics. On tue des protecteurs de la société, policiers intègres et magistrats honnêtes, ceux qui repoussent les largesses de certains avocats véreux dont la cupidité et l’absence de toute intégrité et de sens moral pour monnayer la libération de criminels de sang met toute la société en danger. Parmi ces magistrats assassinés, il y a Fritzgérald Cérizier, substitut du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince. « Comme beaucoup de magistrats qui ont choisi d’exercer la fonction en restant dignes et propres, Fritzgérald Cérisier a vécu dans le dénuement. Il a servi la justice de son pays jusqu’à son dernier souffle, et en retour il en a récolté plusieurs projectiles dans la tête. Yo keyi l tankou pijon! », avait décrit dans une lettre acide au ministre de la Justice d’alors, Me Lucmane Délile, la substitut du commissaire du gouvernement à la cour d’appel de Port-au-Prince, Me Farah Cadet. « Vous savez, Monsieur le Ministre, il avait reçu des menaces de mort, ce n’était un secret pour personne. Il était à la tête d’une cellule où des dossiers dangereux et délicats sont traités. Il a manifesté à maintes reprises qu’on le retira de ladite cellule car il avait peur, il n’était pas protégé ! », avait-elle écrit. « Monsieur le Ministre, un groupe de policiers revendique son assassinat, ceux-là même chargés de protéger les magistrats. Tout le monde en parle en murmurant, nous exigeons Justice et respect ! », pouvait-on lire dans cette lettre. Ici, les assassins sont protégés. Même en prison, ils sont capables de commanditer assassinats et enlèvements. Pour le moment, les préposés à la sécurité peinent à gagner la confiance de la population. La gestion de la crise ayant débouché à la création du SPNH, les défaillances de la PNH face à Fantom 509 qui impose ses desideratas à la pointe des fusils, qui incendient des biens publics ont fragilisé encore plus l’institution policière. Des digues ont sauté. Il est aujourd’hui illusoire de prétendre ramener la sécurité dans les rues, les cœurs et les esprits en multipliant des opérations éclairs, des opérations coups de poing s’inspirant du titre de films série B qui font plus rire qu’autre chose. Pour détricoter les alliances politico-mafieuses, utiles au grand banditisme, à tous les trafics (drogue, armes, munitions, véhicules…), il faut plus qu’un chef de la police animé de bonnes intentions. Il faut beaucoup plus, une petite armée d’ hommes et des femmes pétris par le sens du bien commun, prêts à tous les sacrifices, incorruptibles en uniforme (PNH, AGD, Immigration), dans la magistrature, au Parlement et au Palais national. La triste vérité est qu’il y a des gangs qui se renforcent en plusieurs points du territoire. C’est comme un cancer en métastase. Roberson Alphonse