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Le Nouvelliste

« Les journalistes ne sont pas là pour résoudre les crises, ils sont le miroir de la société », affirme Frantz Duval

Feb. 20, 2020, midnight

Frantz Duval répondait aux questions des journalistes Junior Célestin et Esaie Fénélus à propos du fonctionnement du paysage médiatique, notamment des stations de radio en Haïti, à l’occasion de la Journée mondiale de la radiodiffusion commémorée le jeudi 13 février. Observant consciencieusement la réalité, l'éditorialiste n’a pas caché son inquiétude face à l’avenir de la radiodiffusion dans le pays.  Actuellement, aucune structure ne peut préciser le nombre exact de radios qui évoluent sur la bande FM, notamment au niveau de la région métropolitaine, explique le patron de la radio Magik 9. Frantz Duval se dit inquiet, d’une part, de la manière dont le Conseil national des télécommunications (Conatel) attribue les fréquences en Haiti; d’autre part, du fait que le marché publicitaire haïtien ne parvient pas à soutenir le nombre de radios existant afin d’assurer leur production ou pour leur permettre de rémunérer leurs employés. « Haïti est un endroit où il n’y a pas d’aide aux médias, notamment aux stations de radio (média le plus populaire dans le pays), pas d'aide à la production, que ce soit pour réaliser de bons documentaires ou de bons magazines… », observe le journaliste, soulignant qu’il n’existe pas de financement pour une bonne qualité de vie des médias.  « Il est temps que l’Etat se rende compte que la radio constitue un véritable service public. Il doit cesser de distribuer les fréquence, par-ci, par-là. Les radios doivent également réfléchir sur leur avenir », croit-il, se référant à l’évolution du numérique favorisant la création de plus de nouvelles formes de médias. Doit-il exister une instance qui contrôle les médias ? A cette question, Frantz Duval se veut formel. De son point de vue, le pays n’a pas besoin d’une instance qui contrôle ce qui est dit dans les médias. Si, souvent, on signale des dérives enregistrées dans les médias en Haïti, le président de l’ANMH, qui n’entend nullement les cautionner, croit néanmoins que chaque directeur de média, chaque responsable de salles de nouvelles ou journaliste (présentateur) doit être responsable de ses propos. « Il doit être responsable de ce qu’il dit et en assumer les conséquences, lorsqu’il véhicule quelque chose d’incorrect… », avance l’éditorialiste. Au niveau de l’ANMH,  Frantz Duval affirme que l'association tient à ce que la diffamation reste au niveau du code pénal, pour éviter qu’on fabrique une nouvelle loi qui peut museler les médias. Pour lui, la frontière est mince entre  « le désir de contrôler et la tentation de museler la presse ». Les médias ne sont pas assez à l'écoute de la population... Du haut de ses trois décennies d’expérience comme journaliste en Haïti, le rédacteur en chef du Nouvelliste estime qu’il existe un « grand décalage » entre les attentes de la société et le fonctionnement des médias. « Beaucoup de médias, y compris Le Nouvelliste, d’autres radios et des télévisions, accordent beaucoup trop de place à la politique. Malheureusement, nous ne sommes pas assez à l’écoute de la population », reconnait-il. Dans le déséquilibre observé, Frantz Duval relate qu’il n’y a pas assez d’émissions traitant des vrais problèmes de la population, de ce qui l’intéresse au quotidien. «Nous allons plus vers la politique qui est similaire au traitement accordé au football en Haïti. C’est une distraction pour nous d’assister aux conflits entre les acteurs. Les dénonciations réciproques. Nous aimons beaucoup cela. Les radios sont tombées dans le piège. Elles accordent beaucoup de place à cela. Alors qu’il y a beaucoup de sujets qui intéressent la population (santé, économie, commerce, emploi, migration) et beaucoup d’autres aspects que nous n’abordons pas… », constate le patron de média.Pour Frantz Duval, la population et les directeurs de médias se rejoignent pour cultiver et alimenter cette passion pour l'information spectacle.  Les journalistes ne sont pas là pour résoudre des crises dans un pays... Un peu plus tranchant sur la question, Frantz Duval soutient que les journalistes ne sont pas là pour résoudre les crises dans un pays, ils sont le miroir de la société. « Les radios n’ont pas de rôle dans la résolution des crises. Les médias constituent un thermomètre. Ce dernier ne guérit pas le malade. Il détecte un problème, ou une maladie. Les radios ne peuvent résoudre aucune crise. Le journaliste fait partie du monde médiatique qui n’existe pas pour résoudre de crises. Ce n’est pas le travail du journaliste, des radios, des journaux et des télévisions. Nous sommes un élément de la société… », soutient celui qui évoque une dérive de la presse haïtienne plongée dans cette pratique. « Souvent, les médias, les journalistes se prennent pour ce qu’ils ne sont pas, comme si nous pouvions aider à résoudre les problèmes. Souvent nous parlons et les chefs n’écoutent pas. Les gens qui ont les moyens d'agir dans beaucoup d'autres domaines n’écoutent pas non plus... », regrette-t-il.