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Le Nouvelliste

Décès de l'ancien ministre Yves Romain Bastien

Sept. 21, 2020, midnight

L’ancien ministre de l’Économie et des Finances de l’administration Privert/Jean Charles, Yves Romain Bastien, s’est éteint après une longue bataille contre un cancer, à Lyon, en France, samedi 19 septembre 2020. « C’est un allié inconditionnel et un grand ami dont je pleure, aujourd’hui, la disparition », a confié au journal l’ex-président Jocelerme Privert ce lundi. « Les relations que j’ai tissées avec Yves, au cours de ces quatre dernières années, vont au-delà d’une simple collaboration entre un ministre et un président », a souligné Jocelerme Privert, en évoquant ce ministre proposé par le Premier ministre Fritz Alphonse Jean. « Yves reste, de l’avis de plus d’un, non seulement, comme le ministre le plus efficace de la transition, mais encore l’un des meilleurs ministres de l’Économie et des Finances des quinze dernières années », a dit l’ex-président Jocelerme Privert avant de fouiller le fond de sa mémoire, ses souvenirs de Yves Romain Bastien. « A la fin des années 70, j’ai intégré, comme jeune étudiant, l’Institut national d’administration de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI). A cette même époque, ils étaient rares les professionnels, d’autres disciplines, à ne pas fréquenter ce sanctuaire du savoir de l’avenue Christophe. C’est là que j’ai fait la connaissance de Yves Romain Bastien. Il faisait partie de ces professionnels recrutés sur titre. Il y était pour peaufiner ses connaissances en gestion des affaires », a indiqué Privert, qui évoque une passionne commune pour le football.  « Yves Romain Bastien et moi n’appartenions pas à la même promotion. Mais nous nous sommes rencontrés au sein de l’équipe de football de l’INAGHEI participant au championnat interuniversitaire. On ne s’était pas, pour autant, noués, des relations d’amitié. Nos chemins et nos fonctions ne nous ont pas permis de nous rencontrer. Bastien n’est donc pas devenu ministre par suite de ses relations personnelles ou privilégiées avec moi », a poursuivi Privert, qui n’en finit pas de mettre en avant les compétences de Yves Romain Bastien qui avait vu la mort venir au point d’exprimer le souhait de revenir chez lui. « Au cours de ma dernière conversation avec lui, il y a environ deux semaines, il m’avait annoncé son retour imminent au pays afin de poursuivre avec la chimiothérapie », a indiqué Jocelerme Privert, qui écrase un regret. « Yves, mon ministre, mon collaborateur, mon ami, mon frère, est parti sans avoir eu la chance de contempler cette nouvelle Haïti à laquelle il a consacré sa vie », a regretté l’ex-chef d’Etat. « Paix à son âme », a dit Privert au moment de s’épancher. « Toute existence est menacée parce qu’elle s’inscrit dans le devenir. Depuis la naissance, toute existence humaine a rendez-vous avec la mort, cet irrémédiable absolu. C’est cette pensée de Jean Paul Sartre qui m’est venue à l’esprit, quand on m’a annoncé, le dimanche 20 septembre 2020, la nouvelle de la mort de Yves Romain Bastien », a-t-il confié Jocelerme Privert. Bastien « un grand serviteur de l’Etat »  « Avec Yves Romain Bastien, on formait un duo gagnant pour la réussite de la transition qui avait pour objectif la préservation des acquis démocratiques. Grand argentier de l’État comme on aimait à appeler le ministre des finances, il voulait toujours maintenir l’équilibre entre la satisfaction des obligations de l’État et la priorité aux exigences incompressibles de l’État », a confié l’ex-ministre de la Justice Me Camille Edouard Junior, qui se souvient des navettes et des séances de travail tantôt au MEF, tant au ministère de la Justice sur « le processus électoral en cours » et d’autres dossiers. « C’était un grand serviteur de l’Etat, infatigable travailleur et brillant technicien de Finances publiques. Il avait des qualités utiles au service public: le sens de l’Etat et le sens de la rigueur. Sa rigueur l’a rendu souvent incompris de ses collègues tant leurs requêtes étaient assez souvent restées sans suite », a indiqué Me Camille Edouard Junior. « D’une très grande culture, ses prises de paroles en Conseil des ministres ne laissaient jamais ses collègues sur leur soif. Il avait toujours le souci d’expliquer ses démarches et ses positions en raison de leur caractère difficile. Souvent, nous nous sommes retrouvés en désaccord sur la stratégie et les moyens car sa politique de cash management pouvait impacter sur les exigences publiques de sécurité. Un arbitrage prudent nous a permis de conjuguer nos efforts communs en fournissant les moyens indispensables pour la police nationale, dégager les fonds nécessaires suivant les requêtes du Conseil électoral de l’époque tout en continuant de répondre aux obligations de l’État », a indiqué l’ex-ministre de la Justice Camille Edouard. « Rares sont ceux qui savent qu’il était un collectionneur d’art et était un joueur de tennis de niveau avancé et participait à des compétitions régionales. Yves Romain Bastien était un homme qui avait le courage de ses convictions. C’est une grande perte pour le pays », a témoigné Me Camille Edouard. Yves, un « homme de conviction » « J’ai collaboré avec Yves en plusieurs occasions et dans des espaces différents. Comme consultants, on a élaboré des dossiers de stratégies de mise en marché de certains produits ; alors doyen de la Faculté des sciences économiques et politiques de l’Université Notre-Dame d’Haïti, j’ai sollicité son appui. Il a accepté volontiers  de dispenser des cours de finances en dépit des difficultés financières de la jeune institution. Et il le faisait avec professionnalisme et passion », a confié l’ex-gouverneur de la BRH, Fritz Alphonse Jean. « Homme de conviction, les discussions ne finissaient jamais avec lui. Et les désaccords s’accumulaient sur des sujets d’importance, sans pour autant attiser des animosités. Au début de la décennie 2010, à travers le Centre de promotion d’actions citoyennes qui deviendra plus tard l’INHOPP,  Yves nous prodiguait ses recommandations sur l’économie du vaudou avec rigueur, et ceci, jusque très tard dans la nuit à Sainte-Suzanne. Il en profitait aussi pour savourer le Magnum Band au Trou-du-Nord, avouait-il », a raconté Fritz Alphonse Jean. « Il avait sa vision de la gestion de la chose publique. Et trop souvent, on n’était pas sur la même longueur d’ondes.  Mais son intelligence et la maitrise de son art (les finances) lui permettaient de pouvoir écouter et accepter des idées contraires », a poursuivi Fritz Alphonse Jean. « Yves a fait un parcours de qualité. Un étudiant brillant en mathématiques selon ses camarades d’université ;  un professeur de secondaires, des universités, et de l’académie militaire qui transmettait un savoir maitrisé », a détaillé Fritz Alphonse Jean. « Bonne traversée Yves », a souhaité l’ex-gouverneur à son ami l’ex-grand argentier de la République. L’ex-ministre de l’Économie et des Finances a été l’une des chevilles ouvrières de la CEMEP. Il a toujours assumé, en dépit des critiques de certains, la privatisation de certaines entreprises publiques. Pour lui, l’Etat a choisi ses taxes. Partisan d’une gestion rigoureuse des finances publiques, Yves Romain, pourtant indexé dans le rapport sur l’utilisation des fonds PetroCaribe, s’était prononcé contre la subvention publique à l’ED’H et des produits pétroliers. Explications sur PetroCaribe « J’ai pris le temps de parcourir le document « Audit spécifique de gestion du fonds PetroCaribe, rapport 1 » préparé par la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. Sincèrement, je m’attendais à tout, sauf à retrouver mon nom inscrit en toute première ligne comme l’une des personnalités épinglées dans ce dossier. Alors que tout se dégrade dans notre pays, j’espérais lire un rapport définitif montrant la voie royale devant épingler ceux qui ont détourné l’argent public », avait écrit Yves Romain Bastien dans une lettre au président de la CSC/CA Pierre Volmar Demesyeux. « Mes connaissances et longues expériences dans le domaine de la finance me permettent de constater que, malgré tous les efforts déployés, le rapport de la Cour ne permet pas de statuer une fois pour toutes sur la responsabilité des personnes indexées dans l’utilisation des fonds PetroCaribe. Le gouvernement, dont je faisais partie, n’a adopté qu’une résolution portant sur les dettes encourues par l’administration précédente pour un montant d’environ trente trois millions deux cent mille dollars américains (33 200 000 $ US), desquels quinze millions huit cent mille (15 800 000 $ US) ont été dépensés dans le souci d’éviter que les firmes recrutées pour la réalisation de projets d’infrastructures ne se désengagent, obligeant l’État à d’importants débours pour achever ces réalisations », avait écrit Yves Romain Bastien. « Ce gouvernement, qui a passé environ une année à gérer les affaires de l’État, n’a initié aucun projet d’infrastructure engageant les fonds PetroCaribe. Pour l’édification des membres de la Cour, je n’ai jamais eu l’opportunité de rencontrer  le responsable d’une firme ayant eu un contrat financé par les fonds PetroCaribe », avait-il souligné. Un temps inquiété et interdit de quitter le pays, Yves Romain Bastien s’est toujours rendu disponible pour expliquer que c’est selon le principe de la continuité de l’Etat que plus de 40 millions de dollars ont été avancés à une firme chinoise dans le cadre de la réhabilitation de l’aéroport Toussaint Louverture.  Sans se départir, Yves Romain Bastien avait concédé la faute de l’Etat haïtien qui avait fait ce prêt concessionnaire, en dépit de l’engagement pris envers les bailleurs de fonds après l’annulation de la dette externe d’Haïti. Connu pour son franc-parler, Yves Romain Bastien, mi-2019, avait évoqué le problème de compétences académiques de nombreux parlementaires. Selon Bastien, beaucoup de parlementaires, avec un niveau d’éducation pas plus élevé que la population, n’étaient pas en mesure de comprendre les conséquences de leur prise de position contre l’augmentation du prix de l’essence par exemple. « Il va falloir les éduquer, les former. Ce n’est pas de l’arrogance. Il faut prendre le temps de leur expliquer les conséquences pour le pays de se retrouver à financer le courant. Ce n’est pas acceptable », avait soutenu Yves Romain Bastien, qui n’a pas épargné le président Jovenel Moïse. « La politique n’est pas pour les amateurs. C’est pour les professionnels. Il n’a été qu’un amateur qui se retrouve au pouvoir sans une compréhension des dynamiques du pouvoir. Cela lui a causé beaucoup de problèmes. La pire des choses qui pourraient nous arriver c'est l'anticipation négative. Comment gérer des anticipations négatives à un moment où les gens n’ont pas confiance en leur chef, la personne qui prend des décisions pour eux ? », avait indiqué Yves Romain Bastien, estimant que le pays "s’en va" et qu’il ne revient pas uniquement au président Jovenel Moïse d’agir. « Il y a une infinité de décisions que nous pouvons prendre, mais il faut que le pouvoir soit plus légitime. Les gens veulent entendre et croire le président », a-t-il poursuivi, soulignant qu’aujourd’hui, avec les problèmes actuels, les dépenses de 7 millions de dollars en frais d’hélicoptère ne plairont pas. Avec cet argent, l’Etat aurait pu acheter deux hélicoptères et former en pilotage d’hélicoptère au Chili, au Mexique des jeunes militaires haïtiens. « Il faut avoir le courage de dire non. Vous êtes dans un pays qui n’a pas de ressources. Il faut faire des choses pour limiter les dégâts », avait estimé Yves Romain Bastien, qui a rajouté une couche. « Il faut comprendre que onze millions de personnes ne peuvent pas se laisser conduire à l’abattoir. Il va falloir décider de construire  ensemble et éviter de se trouver dans la même situation d’avoir des gens qui n’auraient ni la capacité ni l’épaisseur pour gouverner et leur permettre d'occuper un poste», a indiqué Yves Romain Bastien. L’ex-ministre Yves Romain Bastien avait indiqué qu’il revient au secteur privé, à la presse, à la société civile, bref, à tout le monde d’agir, de faire des choix stratégiques pour sortir Haïti de l’extrême pauvreté. Ce ne sera pas facile, avait reconnu Yves Romain Bastien, qui appelle les acteurs à changer d’approches pour résoudre les problèmes, les conflits.   Roberson Alphonse